Les enseignements de la lutte anti-tabac face à la crise climatique

Bien que le réchauffement planétaire et tabagisme peuvent sembler être des phénomènes très différents, des facteurs psychologiques et sociaux communs expliquent nos comportements face à ces sujets. Les stratégies mises en place dans la lutte contre le tabagisme peuvent donc inspirer la réflexion autour de nouvelles incitations pour ajuster les habitudes des citoyens face au réchauffement. Par Mathilde Robinet et le docteur Frank Witte*.
A chaque fois qu'un fumeur sort une cigarette, on lui rappelle de manière violente que « Fumer Tue ». Si l'on applique cette observation à un plan de communication sur le climat, les autorités doivent informer, discuter et éduquer de manière claire et accessible à tous.
A chaque fois qu'un fumeur sort une cigarette, on lui rappelle de manière violente que « Fumer Tue ». Si l'on applique cette observation à un plan de communication sur le climat, les autorités doivent informer, discuter et éduquer de manière claire et accessible à tous. (Crédits : Mike Blake)

Le changement climatique est un phénomène qui va bien au-delà des préoccupations environnementales ; il inclut des dimensions géopolitiques, sociales et économiques qui sont liées à la paix, à la prospérité et à la stabilité mondiales. Mais force est de constater que jusqu'à présent, la lutte contre le réchauffement planétaire avance très
lentement et peu de mesures concrètes sont prises. On a, il est vrai, récemment observé une évolution dans la prise de conscience face l'urgence climatique, notamment chez les jeunes, avec en particulier d'impressionnantes « marches pour le climat » partout dans le monde. Celles-ci ont été accompagnées par plus d'engagements politiques concrets et, globalement par une peur grandissante face aux effets du changement climatique, notamment chez ceux qui en subissent déjà les conséquences. Mais devant ces constatations, nos réactions restent irrationnelles : si désormais nous appréhendons la menace, nous ne sommes toutefois pas prêts à agir en conséquence en adaptant véritablement nos comportements individuels.

Qui des 7 Français sur dix qui selon l'Insee vont travailler en voiture est prêt à y renoncer ? A ne plus voyager en avion pour ses vacances ou à substituer à un bon steak un plat végétarien ? Il est pourtant indispensable, et même urgent, que chaque citoyen agisse.  Il est donc important de réfléchir à de nouvelles incitations pour ajuster nos habitudes et modes de vie. Cependant, au lieu de partir d'une feuille blanche, observons un autre phénomène que l'on pourrait qualifier « d'irrationnel » et pour lequel les stratégies mises en place se sont révélées efficaces en contribuant à changer nos attitudes: la lutte contre le tabagisme.

Les personnes les plus vulnérables subissent nos comportement irrationnels

Bien que le réchauffement planétaire et tabagisme peuvent sembler être, de prime abord, des phénomènes très différents, des facteurs psychologiques et sociaux communs expliquent nos comportements face à ces sujets. Par exemple, bien qu'un fumeur soit conscient des dangers très sérieux pour sa santé qu'il prend en allumant une cigarette, il choisit néanmoins le plaisir immédiat que celle-ci lui procure, et attache beaucoup moins d'importance aux risques de cancer ou de maladies cardio-vasculaires, les considérant comme lointains et incertains. De la même façon, bien que nous soyons maintenant très conscients des dangers du changement climatique, nous préférons ne pas renoncer à notre confort plutôt que d'adapter nos comportements.

Un autre point commun est à chercher dans les externalités que ces deux comportements engendrent. Un fumeur passif, (tel un enfant qui inhale la fumée d'un parent), est victime du choix d'autrui de fumer puisqu'il court involontairement des risques pour sa santé. De la même façon, ce sont les personnes les plus vulnérables, souvent dans les pays en voie développement, qui sont les premières à subir les conséquences de nos comportement irrationnels, en souffrant très directement de la pollution et des effets du réchauffement climatique.

De légères augmentations de la fiscalité anti-carbone seront mieux acceptées qu'une hausse brutale des prix.

Ainsi, puisque des politiques et des stratégies anti-tabac ont prouvé leur efficacité depuis plusieurs dizaines années, nous pouvons les analyser et en tirer des enseignements pour lutter contre ces attitudes irrationnelles face aux enjeux environnementaux. La fiscalité est par exemple un élément central des stratégies de lutte antitabac et de nombreuses études montrent l'efficacité de la hausse des prix pour réduire la demande de tabac. D'une part, elle a un impact sur la consommation globale de tabac car l'augmentation des prix réduit la demande. D'autre part, de manière plus conceptuelle, la taxation transforme les conséquences à long terme en coûts à court terme. En effet, les taxes capturent les coûts futurs et les "convertissent" en valeur présente puisque les consommateurs les paient directement et immédiatement. Ainsi, les données révèlent qu'une augmentation de 10% du prix des cigarettes réduit la demande d'environ 4% dans les pays à revenu élevé et de 5% dans les pays à revenu plus faible (OMS, 2018).

En ce qui concerne la fiscalité écologique, dans certains pays, dont la France depuis la loi Barnier en 1995, des efforts politiques notables ont été déployés pour appliquer le principe du « pollueur-payeur », dans le but de faire payer aux agents économiques responsables de la pollution (entreprises ou individus) les dommages qu'ils causent à l'environnement. En se basant sur les enseignements tirés de la taxation du tabac, les politiques climatiques pourraient considérer un mécanisme de taxation similaire, progressif et régulier. Bien que de légères augmentations de la fiscalité anti-carbone n'auront d'abord pas d'effets directs sur la consommation de carbone, à terme, le cumul de toutes les augmentations des taxes liées à l'écologie modifiera le comportement des consommateurs et sera généralement mieux accepté par le public qu'une hausse brutale des prix. Cependant, il s'agit d'une politique controversée et risquée, sujet à de nombreuses critiques, avec des implications socio-politiques et économiques complexes et de véritables difficultés à trouver un consensus large, comme le mouvement des Gilets Jaunes l'a en partie illustré.

Avoir des discours scientifiques et théoriques est inefficace

La deuxième mesure dont on pourrait s'inspirer réside dans la stratégie de communication anti-tabac. A chaque fois qu'un fumeur sort une cigarette, on lui rappelle de manière violente que « Fumer Tue », avec une illustration très concrète de ce que cela veut dire. Il a été prouvé que cet avertissement simple, direct et récurrent, finit par sensibiliser le consommateur, qui, à terme, consommera en moyenne moins de tabac voire arrêtera de fumer. Si l'on applique cette observation à un plan de communication sur le climat, les autorités doivent informer, discuter et éduquer de manière claire et accessible à tous. Avoir des discours scientifiques et théoriques sur les sujets environnementaux est inefficace, voir dessert l'objectif.

Par exemple, lorsque les scientifiques avertissent sur les conséquences que peuvent avoir sur la planète trois « petits » degrés, il nous est difficile de réellement appréhender l'impact que cela aura dans notre vie de tous les jours. Lorsque les médias évoquent ce qui pourrait se passer dans quelques décennies ou bien la possible extinction de l'ours polaire, bien que cela nous émeuve, peu se sentent vraiment concernés et encore moins acceptent de faire d'avantage qu'un éventuel don à une ONG. En effet, ce sont des conséquences distantes, à la fois géographiquement et temporellement, qui auront très peu d'impact sur notre quotidien. Ainsi, en optant pour une communication similaire à celle sur le tabac, c'est-à-dire simple, directe, répétée et qui met en exergue les dangers spécifiques pour le consommateur concerné, nous sensibiliserons un plus large public, afin d'aller vers une modification efficace et durable des comportements.

Des stratégies centrées sur la demande, ciblant les citoyens directement

Une prise de conscience sans action subséquente ne suffit pas. Maintenant que nous comprenons les risques du réchauffement planétaire, nous devons établir un plan d'action concret pour combler ce décalage entre prise de conscience et adaptation des comportements. Les politiques climatiques ont été jusqu'à maintenant principalement
basées sur l'offre et très peu centrées sur la demande. En articulant des stratégies ciblant les citoyens directement, telles qu'un nouveau système de taxation ou une stratégie de communication plus efficace, nous devrions arriver à ce que chacun ne soit pas seulement conscient du danger, mais aussi agisse véritablement, par ses comportements individuels, par ses choix de consommation, ou par ses bulletins de vote.

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*Mathilde Robinet est diplômée en « Arts and Sciences » de l'University College London. Le docteur Frank Witte est professeur d'économie à l'University College London où il enseigne l'économie de l'environnement et l'économie des sciences.

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Commentaire 1
à écrit le 18/12/2019 à 10:38
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"Les politiques climatiques ont été jusqu'à maintenant principalement basées sur l'offre et très peu centrées sur la demande. En articulant des stratégies ciblant les citoyens directement, telles qu'un nouveau système de taxation ou une stratégie de...

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