Service de santé des armées : la médecine de l'avant, ici et maintenant !

OPINION. L'Hétairie publie une note sur le service de santé des Armées extrêmement mobilisé durant la crise de la COVID 19. A la demande du président de la République, le Service de Santé des Armées (SSA) s'est pleinement impliqué dans la gestion de la crise sanitaire, en soutien ou en complément des moyens du ministère de la santé. Dans une perspective de résilience de la Nation, la Revue stratégique avait d'ailleurs mis en exergue la nécessaire synergie d'action entre les moyens civils et militaires. Dans ce contexte, les défis pour les Armées sont nombreux, car il convient d'assurer la logistique et le maintien des différents flux et de la technique, mais aussi de déployer ses capacités, tout en s'appuyant sur les acteurs du soutien interarmées, notamment pour l'acheminement stratégique de ses moyens organiques et surtout pour approvisionner, distribuer et maintenir en condition opérationnelle les produits de santé, depuis le petit consommable ancillaire, jusqu'au scanner projetable, en passant par les médicaments, les dispositifs médicaux, les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, les produits sanguins labiles. Cette chaîne du ravitaillement sanitaire est sans comparaison dans le monde civil et doit être valorisée. Par Alexandre Papaemmanuel, chef du pôle défense nationale de L'Hétairie, enseignant à Sciences Po (note de L'Hétairie)
La médecine de Force est la raison d'être du Service de santé des armées (SSA). En plus de l'Opération Résilience, le SSA soutient les Armées dans les opérations Barkhane, Chammal mais aussi celles sous mandat européen et onusien. (Alexandre Papaemmanuel)
"La médecine de Force est la raison d'être du Service de santé des armées (SSA). En plus de l'Opération Résilience, le SSA soutient les Armées dans les opérations Barkhane, Chammal mais aussi celles sous mandat européen et onusien". (Alexandre Papaemmanuel) (Crédits : DR)

Le 16 mars, Emmanuel Macron annonce le déploiement d'un hôpital de campagne, établissement provisoire de soins, dont la mise en œuvre est ordinairement décidée en temps de guerre,à proximité d'une zone de combat. Le foyer infectieux de Mulhouse fait office d'épicentre et il faut agir vite. Le régiment médical de Valbonne prépare l'installation des structures mobiles à proximité de l'hôpital de Mulhouse et la polémique enfle déjà sur le délai nécessaire à une telle opération.La France, en pleine crise, s'impatiente.

Le 25 mars, le Président de la République annonce, devant un Élément Militaire de Réanimation (EMR), l'opération militaire "Résilience" "entièrement consacrée à l'aide et au soutien des populations pour faire face au Covid-19, en métropole et Outre-mer [...], au soutien des services publics et des Français dans les domaines de la santé, de la logistique et de la protection". Après Sentinelle, une nouvelle opération d'envergure mobilise en un temps record les forces armées sur le territoire national.

Gouverner, c'est prévoir

Alors que la crise sanitaire fait rage, l'État redevient l'ultime rempart pour protéger les citoyens et cette mobilisation prends corps grâce à l'action de son Armée. De la reconstruction d'une cathédrale à la gestion de crise sanitaire (1), de la formation de la jeunesse au maintien de l'ordre, le savoir-faire des Armées compense souvent de nombreuses politiques publiques délaissées par déficit stratégique. L'action des militaires camoufle désormais les difficultés de services publics exsangues.

Gouverner c'est prévoir, mais comment se préparer à l'inconnu ? La surprise stratégique (2) ne s'avère pourtant pas totale car, dans la continuité des deux livres blancs précédents, la Revue stratégique de 2017 avait signalé comme réel le "risque d'émergence d'un nouveau virus franchissant la barrière des espèces ou échappant à un laboratoire de confinement".

La "santé de l'avant"

Les Armées peuvent notamment s'appuyer sur le Service de Santé des Armées (SSA), contributeur actif à la résolution des crises sanitaires. Outil au service de la "résilience de la Nation. [Il] a ainsi été sollicité à plusieurs reprises pour mettre à disposition de l'État des personnels réactifs, organisés, formés à l'urgence et aux situations de crise (3)", comme à l'occasion de l'épidémie de chikungunya à la Réunion en 2008, de la campagne vaccinale durant l'épidémie de grippe H1N1 en 2009 ou lors de la prise en charge de patients Ebola.

Le SSA agit lorsque les moyens civils similaires sont inexistants, indisponibles, insuffisants ou inadaptés. Cette évolution introduite dans la doctrine d'engagement des armées sur le territoire national induit une capacité permanente de réponse sanitaire. Pareille contribution vient compléter l'action des acteurs civils et agit principalement comme effet "starter", pour permettre ensuite au SSA de se régénérer rapidement sans fragiliser sa capacité à remplir sa mission prioritaire de soutien des forces.

Mais la matérialisation de cette "santé de l'avant" sur notre territoire national en temps de paix constitue un fait inédit matérialisé par le balai des évacuations par des moyens militaires ou le déploiement d'hôpitaux de campagnes dans nos régions. Pourtant, le SSA a connu une très forte déflation de ses effectifs (10% en cinq ans) ; et la trajectoire de la dernière Loi de Programmation Militaire (LPM) a commencé à corriger cette tendance car "les effectifs du service de santé des armées ont atteint leur point bas au début de l'année 2017, avec 14.487 équivalents temps plein (ETP)", a rappelé Florence Parly aux sénateurs lors d'une audition. Aussi, quand viendra le moment de tirer les leçons de cette crise, elle a assuré qu'elle veillera "à ce que les réflexions sur le système de santé publique prennent en compte le service de santé des armées (4)". Une vigilance indispensable au regard des évolutions subies par ce service.

Le risque était prévu, pas les moyens

Depuis les années 1980, le SSA connaissait une diminution du recrutement. Mais la fin de la conscription, réduisant de 23% les effectifs du ministère de la Défense entre 1996 et 2001 ainsi que la demande de soins, a conduit les autorités a infligé au SSA une réduction d'un quart de ses effectifs médicaux. Cette très forte déflation a d'ailleurs été actée dans LPM 1997-2002. Les LPM suivantes ont maintenu la réduction budgétaire, symboliquement masquée par la puissance incantatoire de la mention du risque pandémique dans les trois derniers livres blancs. En particulier, le Livre blanc de 2008 précisait : "Le service de santé des armées sera engagé et apportera son expertise dans le domaine médical, ses capacités d'analyse biologique et son personnel soignant" sans que les moyens conférés ne permettent d'espérer tenir ce rôle.

Le mouvement va même s'accélérer avec la survalorisation de la nécessaire efficience de la performance de l'action de l'État. En 2010, dans le rapport "Médecins et hôpitaux des armées", les Sages de la Cour des comptes soulignent ainsi que "le ministère de la Défense doit mieux hiérarchiser ses priorités budgétaires en faveur des dépenses les plus utiles à la santé des soldats. La politique d'autonomie des hôpitaux militaires doit donc être abandonnée et le service de santé doit rechercher avec les autorités civiles une stratégie crédible de redressement". Le document insiste également sur le rééquilibrage des comptes du service de santé des armées pour pérenniser le fonctionnement des hôpitaux militaires.

Le SSA est donc sommé de se réorganiser, apparaissant trop "isolé", "dispersé", "ses emprises, dans l'offre de soins avec des spécialités parfois éloignées du cœur de métier, dans les activités et dans certaines fonctions (5)". Il ne serait pas adapté aux normes et empêché par la lourdeur de sa gouvernance. La performance marchande est érigée en principe d'organisation.

Après cet essorage managérial, pour la première fois depuis 25 ans, la LPM 2019-2025 prévoit une augmentation de postes au profit du SSA : "L'évolution des effectifs du SSA doit permettre de préserver la capacité des armées françaises à entrer en premier sur les théâtres d'opérations et à assurer la sécurité des forces engagées en opérations (6)". Le recrutement d'une centaine de médecins généralistes contractuels et d'une vingtaine de chirurgiens orthopédiques devient alors possible (7).

Mais le SSA doit plus que jamais rester attractif alors que les forces sont en "sur-projection" et que la tension des déploiements extérieurs pèse sur les personnels. Du fait de la concurrence avec le système de santé publique, les personnels civils et militaires du SSA préfèrent souvent des postes mieux payés et moins exposés. En outre, la contribution du SSA à la résolution de la crise sanitaire que nous traversons ne doit en aucun cas fragiliser sa capacité à remplir sa mission prioritaire, à savoir celle du soutien santé opérationnel des forces, véritable raison d'être.

Militarisation de la santé : les défis d'une nécessaire valorisation

Si le SSA est robuste dans sa capacité à faire face, mais fragile dans son équilibre budgétaire, il doit être soutenu et donc pensé en lien avec les prochains efforts budgétaires dont devrait bénéficier le secteur hospitalier civil. En effet, le retex (retour d'expérience, ndlr) COVID 19 des Armées permettra sans doute de donner un nouvel élan aux centres médicaux des armées de nouvelle génération (CMA NG), qui doivent s'inscrire dans une carte de santé nationale sans doute remodelée à la faveur de la crise. Les défis du SSA sont nombreux et ses caractéristiques valorisées.

La médecine de Force est la raison d'être du SSA. En plus de l'Opération Résilience, le SSA soutient les Armées dans les opérations Barkhane, Chammal mais aussi celles sous mandat européen et onusien. Or l'activation du contrat opérationnel de protection à la suite de l'épidémie COVID 19 ouvre une nouvelle phase dans la longue histoire de l'engagement des forces terrestres au profit de la sécurité intérieure. Avec l'opération Sentinelle, l'armée de Terre a mobilisé 10 000 hommes sur le territoire national ; l'adjonction de "Résilience" engendre donc une pression sur la ressource humaine et le cycle de préparation opérationnelle.

Les Armées doivent faire face à un défi de taille : concilier la tension des effectifs entre Résilience et OPEX alors que les carences de personnels sont déjà sensibles dans certaines spécialités telles que les chirurgiens orthopédistes, les dentistes, les infirmiers en soins spécialisés de bloc opératoire diplômés d'État et les masseurs kinésithérapeutes. Or la sur-projection use et conduit parfois un personnel à quitter l'institution. Ce risque ne peut être pris lors de telles crises sanitaires.

C'est pourquoi afin de fidéliser le personnel, il faut éviter la concurrence de la fonction publique hospitalière sur certaines spécialités en mettant en place des passerelles professionnelles après certaines années de service tout en en favorisant des aller retours. Cette approche innovante de la gestion RH permettra le rayonnement des innovations médicales dans les hôpitaux civils.

 Conserver sa militarité et penser sa complémentarité

Le dispositif santé de veille opérationnelle "DSVO" illustre le cœur de la spécificité de la culture du SSA car il permet de mobiliser, sur court préavis, des équipes constituées et entraînées. Ce dispositif est l'étincelle essentielle de l'échelon national d'urgence (ENU) à travers notamment la mise en œuvre d'un groupement santé associés à des moyens en évacuations sanitaires par voie aérienne stratégique ou à des moyens supplémentaires en complément opérationnel. Véritable système santé de réponse opérationnelle d'urgence, ce dispositif,s'il est valorisé dans les premières étapes d'une crise sanitaire et révèle l'apport du SSA dans une gestion de crise, peut venir à manquer aux forces déployées.

La directrice du SSA souligne que son service sauve "actuellement 96 % de nos blessés les plus graves, un résultat comparable à celui des Américains. Nous sommes le seul service européen capable de monter une chaîne médicale complète, de la blessure jusqu'à la réadaptation, avec chirurgie de sauvetage sur le théâtre d'opérations, puis rapatriement sur le territoire national pour une chirurgie plus complète, le tout en moins de 25 heures à partir de la blessure (8)".

Pour assurer ses missions et son contrat opérationnel, "10 à 20 % du contrat opérationnel du SSA en OPEX est assuré par des réservistes. À ce jour 2.900 réservistes participent aux missions du SSA, 50 % d'entre eux sont appelés à partir à la retraite à court terme". Il convient de renouveler ce vivier de réservistes et préserver cette capacité

En conclusion, "nous sommes le premier et le dernier rempart". Si le monde d'après doit s'anticiper, ne résumons pas cette opération militaire inédite à une opération de communication ou un vecteur pour défendre une courbe budgétaire conquérante. Il s'agit d'une mobilisation exceptionnelle en OPINT, preuve de la réactivité de nos Forces posant de la question de l'organisation dans le chaos, de la préparation à l'imprévu.

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Par Alexandre Papaemmanuel, chef du pôle défense nationale de L'Hétairie, enseignant à Sciences Po, président de la commission Digital Défense de l'IHEDN, est directeur défense, renseignement et sécurité au sein d'une entreprise innovante du numérique. Il est co-auteur des "Espions de l'Elysée" aux éditions Tallandier.

NB : cette note est consultable en intégralité à l'adresse suivante : https://www.lhetairie.fr/single-post/SSA-covid

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 (1) "Le général Richard Lizurey, ancien DGGN, va contrôler la gestion de la crise du coronavirus", L'Essor, 30 mars 2020.

(2) Entretien de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer par Jean Guisnel, "Covid-19 : "Nous ne nous trouvons pas face à une surprise stratégique !", Le Point, 21 mars 2020.

(3) "Le modèle SSA 2020" document N°500154/DEF/DCSSA/PS du 4 janvier 2016.

(4) Audition de Florence Parly, ministre des armées, et de Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées (en téléconférence) devant la commission des Affaires étrangères, de la défense et des Forces Armées, vendredi 10 avril 2020.

(5) "Contrat de Service SSA" 2020 N°515696/DEF/DCSSA/PS du 25 novembre 2013

(6) Loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense

(7) Maryline GYGAX GENERO, directrice centrale du Service de santé des armées, Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, réunion du 23 janvier 2019 à 9h30.

(8) "À la tête du service de santé des armées, Maryline Gygax Généro", propos recueillis par Guerric PONCET "Dans 30 ans, nous aurons peut-être des robots chirurgicaux dans les hélicoptères", publié le 04 mai 2020.

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