10 ans après le Rana Plaza, un pas vers la fin de l'impunité des multinationales

OPINION. Le 24 avril 2013, au Bangladesh à 9 heures, l'immense usine textile du Rana Plaza s'effondre. Les secouristes, puis le monde entier, découvrent dans les décombres les corps sans vie de plus de 1.100 ouvrières et les étiquettes de Carrefour, Auchan, H&M, Benetton, Primark et Mango. Toutes ces marques familières portent une part de responsabilité dans cette catastrophe annoncée. Ce matin du 24 avril 2013, les ouvrières avaient refusé d'entrer dans le bâtiment lézardé de larges fissures avant d'y être contraintes. Par Manon Aubry, eurodéputée LFI, co-Présidente du groupe de la Gauche au Parlement européen.
(Crédits : DR)

Depuis des décennies, les multinationales organisent sciemment leur chaîne d'approvisionnement de manière à profiter du travail le moins cher, réalisé dans les conditions les plus dangereuses. Cependant, aucune de ces célèbres entreprises n'a pu être tenue responsable devant les tribunaux européens. En droit, l'entreprise donneuse d'ordre se défausse sur ses sous-traitants, quand bien même ils n'ont pas les moyens de dédommager les victimes. Les profits remontent la chaîne de valeur jusqu'aux sièges de nos multinationales, mais pas la responsabilité pour l'exploitation meurtrière des travailleurs et de la nature. La mondialisation dérégulée repose largement sur ce vide juridique.

Une décennie s'est écoulée depuis le Rana Plaza. 10 ans émaillés d'innombrables tragédies et de totale impunité pour les multinationales. Dans le secteur du textile, encore aujourd'hui, avec l'exploitation du travail forcé des Ouïghours dont ont profité Zara, Lacoste ou Adidas. Sur les chantiers de la Coupe du Monde au Qatar, où Bouygues et Vinci ont profité de l'exploitation à mort de milliers de travailleurs migrants. Évidemment aussi autour des forages et des oléoducs de Total, avec l'expropriation de plus de 100 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie et le déversement des "eaux noires" cancérigènes au Yémen. La liste des entreprises profitant de ces scandales est interminable.

Toutefois, pendant cette décennie, les associations, les syndicats et certains élus n'ont pas chômé. Nous avons d'abord arraché l'adoption d'une loi sur le devoir de vigilance en France en 2017, malgré l'opposition des lobbys et d'un certain Emmanuel Macron, alors ministre de l'Économie. Un texte pionnier, mais qui souffre de son imprécision.

Depuis quatre ans, avec les mêmes partenaires et nos alliés socialistes et écologistes, je me bats au Parlement européen pour obtenir une directive européenne sur le devoir de vigilance. L'objectif ? Une législation commune aux 27 États membres, applicable à tous les secteurs et dépassant les faiblesses de la loi française. Ce mardi 25 avril, à l'occasion d'un vote historique, le Parlement européen est allé dans ce sens.

Le parcours a été semé d'embûches tendues par les lobbys et leurs relais dans les institutions européennes. Le Commissaire français Thierry Breton s'est ainsi invité dans le processus pour le plus grand bonheur des milieux d'affaires, retardant et amoindrissant la proposition de la Commission. La fédération patronale européenne, BusinessEurope, le Medef et d'autres se sont mis en branle pour vider le texte de sa substance. Le député représentant la droite s'est même fait prendre à copier-coller les amendements désastreux de l'industrie chimique allemande.

Le gouvernement français a lui aussi choisi le camp des multinationales. La presse européenne a révélé l'alliance de nos ministres avec l'extrême droite italienne au Conseil européen pour protéger le secteur financier et écarter toute responsabilité des multinationales pour les impacts de leurs produits et services, passés le point de vente (détournement d'armes, utilisation criminelle de prêts bancaires, pollution, etc.). Une position cohérente avec le soutien personnel qu'Emmanuel Macron a apporté au projet climaticide et ravageur de Total en Ouganda, ou encore sa présence à la Coupe du monde au Qatar malgré la mort de 6 500 ouvriers sur les chantiers.

Mais nous avons tenu bon. Au terme de plus de 120 heures de négociations, mardi dernier, la commission juridique du Parlement européen a adopté une position très ambitieuse sur le projet de directive et fait siennes nombre de nos priorités.

Dans le texte adopté, toutes les grandes entreprises opérant dans l'Union européenne auront l'obligation d'identifier, prévenir, faire cesser et réparer les atteintes aux droits humains et à l'environnement dans leurs chaînes de valeurs. Cette obligation serait assortie d'une double responsabilité en cas d'infraction, avec des amendes pouvant aller jusqu'à 5% du chiffre d'affaires mondial et la possibilité pour les victimes d'obtenir réparation en justice. À cet effet, les victimes bénéficieront de droits nouveaux, comme celui d'exiger l'accès aux preuves détenues par l'entreprise et des délais de prescription d'au moins 10 ans.

Les groupes macronistes et conservateurs ont défendu des privilèges pour les multinationales avec des obligations allégées pour le secteur financier, le refus du renversement de la charge de la preuve en faveur des victimes et l'étalement du calendrier de mise en œuvre. Mais à bien des égards, le Parlement exige malgré tout une directive bien plus stricte que la loi française qui ne prévoit pas de sanctions et ne couvre qu'une petite poignée de très grandes entreprises.

Le chemin avant l'adoption de cette législation est encore long, mais une chose est certaine. La gauche et les écologistes, alliés aux associations et aux syndicats, ont remporté une première victoire essentielle au Parlement européen. Face au Far West de la mondialisation dérégulée, nous continuerons à œuvrer pour que plus jamais un drame comme celui du Rana Plaza ne se produise.

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Commentaire 1
à écrit le 29/04/2023 à 22:14
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Bravo au députés Européens de gauche , pour ce compte rendu sur l’avancée de ce dossier , les petit ruisseaux font les grandes rivières mais véritablement si il faut plus de 10 , 15 , 20 ans pour obtenir partout dans le monde le respect des droits hu...

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