L'arrêt Viveo France : la sagesse finira-t-elle par l'emporter ?

L'arrêt Viveo France rendu par la Cour de cassation le 3 mai 2012 apporte une réponse à une question essentielle en droit social, dans une période marquée par la crise. Le juge civil peut-il se prononcer sur la validité d'un plan social, avant la notification des lettres de licenciement, s'il considère que le motif économique invoqué par l'entreprise n'est pas fondé ?
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Viveo France soumettait à son comité d'entreprise un projet de restructuration impliquant la suppression de 64 emplois sur un total de 180. Mais le comité d'entreprise contestait rapidement ce projet, estimant que le plan social n'était pas fondé sur un motif économique valable. Un premier arrêt rendu le 12 mai 2011 par la Cour d'appel de Paris lui donnait raison. Pour les employeurs, il s'agissait d'une ingérence dans la gestion de l'entreprise : la Cour de cassation vient de leur donner raison. Elle estime dans son arrêt du 3 mai que « la procédure de licenciement ne peut être annulée en considération de la cause économique de licenciement, la validité du plan étant indépendante de la cause du licenciement ».

800.000 emplois industriels perdus en 5 ans
L'environnement économique et politique est loin d'être anodin. L'arrêt Viveo France s'inscrit en effet dans une période marquée par la mise en ?uvre de lourds plans de restructuration depuis la crise qui a débutée en septembre 2008. En 5 ans, ce sont 800.000 emplois industriels qui ont été perdus en France. Un grand nombre d'entreprises a été contraint de se réorganiser, quelquefois avec des plans de licenciements qui ont donné lieu à des contentieux qui ont fragilisé leur redressement.
Les interventions législatives ont aussi été nombreuses, notamment avec la Loi de modernisation sociale de 2002 et la Loi de 2005 pour la Programmation de la cohésion sociale. Avec chaque nouvelle Assemblée Nationale est apparue une nouvelle loi ... puis à chaque loi a été associée une interprétation jurisprudentielle, ce qui ne facilite pas les choses. Et c'est cette insécurité juridique, renforcée par de longs délais de procédures, qui pénalise la compétitivité des sociétés françaises. Et décourage les investisseurs internationaux de se tourner vers notre pays.

Nouvelle loi ?
Jusqu'à présent existait un équilibre entre, d'une part, un contrôle de la validité du plan social devenu aujourd'hui le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) par le juge civil, et d'autre part, un contrôle du motif économique par les Conseils de prud'hommes. Seule l'absence de PSE ou du plan de reclassement, à laquelle les tribunaux ont assimilé leur insuffisance constituaient une cause de nullité. Quant au juge prud'homal, saisi individuellement par le salarié, il se prononce sur le motif économique : en son absence, il accorde des dommages et intérêts. Cela va-t-il changer ?
Il est peu probable que la Cour d'appel de Versailles, devant laquelle l'affaire Viveo France a été renvoyée, remette en cause l'interprétation de la Cour de cassation. Mais avec l'élection de François Hollande, le nouveau gouvernement pourrait proposer au Parlement une loi qui viendrait confirmer le dispositif rejeté par la Cour de cassation. Arnaud Montebourg a évoqué une telle proposition - Michel Sapin semble l'appuyer. S'il est clair que cette éventualité dépendra des résultats des législatives, une partie du gouvernement pourrait pousser la proposition Montebourg.

Vision manichéenne de l'entreprise
Depuis 1986 et la suppression de l'autorisation administrative de licenciement remplacée par le contrôle judiciaire actuel qui s'est avéré plus redoutable pour les entreprises, des droits importants ont été accordés aux salariés. La prise en compte du motif économique en amont viendrait bouleverser ce fragile équilibre à un moment où les entreprises ont besoin de s'adapter.
Certains ont avancé qu'il s'agit d'éviter les licenciements boursiers, de convenance ou anti-délocalisation pour plaire aux actionnaires. Mais ce n'est qu'une vision manichéenne de l'entreprise, quand la réalité est plus complexe. On ne licencie pas pour délocaliser, mais à cause du carnet de commandes. Et si les clients sont en France, l'entreprise restera en France. Les entreprises doivent pouvoir adapter leur outil de production à la demande.
Aujourd'hui, le droit du travail français est considéré comme le plus complexe au monde. Il ne faudrait pas que l'idéologie prenne le pas sur les nécessités auxquelles sont confrontés les partenaires sociaux. Un véritable débat semble nécessaire. Mais saura-t-on trouver cet équilibre délicat entre la flexibilité dont l'entreprise a besoin et la sécurité dont doit bénéficier le salarié ? Si les entreprises ne peuvent plus se restructurer, elles iront au dépôt de bilan. Et les salariés paieront les pots cassés.
 

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Commentaires 2
à écrit le 09/01/2013 à 13:59
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ex secrétaire du CE de Viveo jusqu'en décembre 2009, je peux assurer avec force et certitude que l'analyse du CE de Viveo ne reposait aucunement sur "une vision manichéenne de l'entreprise", mais bien sur la volonté clairement et violemment exprimée ...

le 10/01/2013 à 14:09
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C'est la Tribune ici. Le libéralisme à donf les manettes. Règle 1: Le patron a toujours raison. règle 2: et s'il a tort se référer à la règle 1. C'est simplissime.

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