Manifeste pour la croissance et l'emploi : "réindustrialiser l'Europe"

A l'occasion des Entretiens Économiques Européens de Bologne, qui viennent de se dérouler, Confrontations Europe, la Fondation Astrid, Alma Laurea et la Région Emilie Romagne appellent les participants et leurs partenaires à se mobiliser pour la mise en place d'une véritable stratégie de croissance et d'emploi, dans la perspective d'un nouveau mode de développement économique et d'une réinvention du modèle social. A cet effet, un enjeu fondamental est la réindustrialisation de l'Europe, les excès des rivalités nationales et de divisions sociales devant être combattus pour faire place aux coopérations et aux solidarités. Ce manifeste sera envoyé aux chefs d'Etat et de Gouvernement, aux institutions nationales et communautaires, à la veille du Sommet des 13 et 14 décembre pour leur demander de s'engager pour une stratégie européenne de compétitivité industrielle intégrée et solidaire. Après la ratification du traité budgétaire, la mise en place d'objectifs de stabilité doit s'accompagner d'incitations fortes à l'investissement, sinon, nous courrons le risque d'une longue récession, d'un affaiblissement de notre compétitivité et d'une crise sociale exacerbée. Les signataires (*) avancent six recommandations principales qui doivent devenir autant de chantiers pour construire un nouveau modèle de développement économique et social, équilibré et soutenable.
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L'architecture institutionnelle de stabilité financière est maintenant dessinée. Sa réalisation sera longue et difficile, d'autant plus qu'en dépit des déclarations, une stratégie de croissance n'est manifestement pas en place.

La décision de bâtir une Union bancaire est très importante. Elle vise à endiguer la fragmentation bancaire, qui est un facteur de désintégration du marché intérieur et de l'euro, et permet à la politique monétaire d'accomplir de grands progrès.

La mise en place du contrôle a priori des finances publiques nationales est engagée, après la ratification du Traité de stabilité budgétaire. L'Allemagne veut encore renforcer le dispositif adopté, mais il faut prendre garde qu'une discipline punitive ne s'installe alors que le manque d'incitation pour l'investissement est criant. Le débat sur les perspectives budgétaires a commencé et s'avère très difficile. Il est impératif de maintenir son montant à au moins 1% du PIB, avec des ressources propres. Parallèlement il est nécessaire que les pays de l'Eurozone puissent mutualiser des ressources et se doter d'une capacité d'emprunt pour financer leurs investissements. La proposition d'un budget pour l'eurozone, avancée par Herman van Rampuy, est bienvenue, mais elle ne fait pas l'unanimité, elle doit être débattue.

Alors qu'une récession s'installe et que le potentiel de croissance de l'Europe est affaibli, comment néanmoins préparer et amorcer sans retard une reprise durable de l'économie européenne ? Préserver la demande de consommation est une chose, mais le moteur doit être l'investissement.

La stratégie EU2020 n'en est pas une, n'abusons pas des mots. Certes, l'Acte Unique qui vise à faire du marché européen le socle d'une nouvelle croissance est engagé. La réalisation est lente et complexe, elle se concentre sur les marchés publics et la reconnaissance des qualifications professionnelles, les services, le commerce électronique et les infrastructures. Mais il n'a pas encore été possible d'avancer significativement sur des sujets essentiels : le marché du travail, le financement à moyen terme des PME et des investissements de long terme, l'industrie.

Les nouveaux instruments financiers que la Commission veut créer ne dispensent pas d'un effort beaucoup plus conséquent de transformation du système financier. De même la nécessité d'un renouveau industriel est affirmée par quelques commissaires, mais sans engagements concrets du collège. Les institutions communautaires ne font pas preuve d'une volonté d'action, prétextant que la politique industrielle n'est pas une compétence partagée. Les institutions ne veulent pas voir que les divergences intracommunautaires de croissance et de compétitivité minent le marché unique comme l'euro, plus encore que les dettes souveraines : en matière d'industrie, c'est le règne du chacun pour soi et tous sont concurrents.

Voilà pourquoi nous appelons à mettre en place une stratégie européenne de croissance et de compétitivité industrielle intégrée et solidaire.

L'impulsion doit venir d'Etats volontaires pour bâtir des coopérations systématiques et obtenir des changements significatifs de volonté et d'action au niveau de l'Eurozone et de l'EU 27. La Communauté devra assumer plusieurs fonctions : ajuster son cadre réglementaire et réviser la politique de concurrence afin de mieux valoriser et faciliter les projets des acteurs économiques et sociaux, des collectivités territoriales, et leurs coopérations, et afin de renforcer l'attractivité de l'Europe pour les investisseurs internationaux ; coordonner les politiques industrielles nationales pour inciter à la complémentarité et à la synergie ; planifier et réaliser en concertation des investissements d'intérêt commun dans les secteurs stratégiques.

Dans cette perspective, nos principales recommandations sont les suivantes :

1. Promouvoir des politiques européennes de formation professionnelle et continue et de mobilité sur un marché européen du travail organisé : l'anticipation des restructurations, l'insertion des jeunes, les transitions professionnelles pourront prendre appui sur un service public européen fonctionnant en coopération avec les services locaux et nationaux, des ressources seront mobilisées pour financer des programmes communs massifs de formation professionnelle et continue, et des mesures contre la précarité sociale.

2. Organiser des coopérations technologiques et industrielles dans tous les secteurs et sur tous les territoires. Bâtir de nouvelles filières et des acteurs européens de taille mondiale, créer des écosystèmes pour l'innovation et l'investissement exigent des partenariats durables que la politique de concurrence doit faciliter et non entraver. Planifier, programmer et financer un renouveau des grandes infrastructures en Europe ne doit pas renforcer les tendances à la polarisation-désindustrialisation, mais au contraire contribuer à l'intégration des pays périphériques.

3. Rectifier les Paquets énergie et l'Agenda numérique afin de doter l'Europe de véritables politiques en ces domaines. Un Pacte européen de solidarité énergétique permettra d'articuler les objectifs de décarbonation et de compétitivité en formant un mix énergétique pour les capacités, afin de mettre en valeur les différentes sources nationales et de créer leur complémentarité ; le parc européen doit être optimisé et les signaux-prix nécessaires pour l'investissement de long terme établis ; les réseaux énergétiques européens devront être développés de façon à réduire la dépendance énergétique et les coûts d'approvisionnement en énergie. Pour le numérique, le développement des infrastructures et des services doit être accéléré et il visera à promouvoir des biens publics et non pas seulement des transactions commerciales ; une politique d'offre devra être organisée pour les équipements.

4. Créer un système d'intermédiation financière européen pour valoriser et financer les investissements de long terme. Nos systèmes financiers confondent la valeur économique et la valeur financière. Les politiques de régulation financière, tout en assurant la stabilité financière, doivent éviter le risque de pénaliser la croissance économique. L'Europe doit regagner le contrôle des normes comptables et du calcul économique ; renouveler les règles, créer des incitations et des instruments d'épargne pour promouvoir les investissements produisant des externalités positives pour la croissance et la compétitivité ; inciter à de nouveaux modèles de gestion bancaire et établir le rôle spécifique des investisseurs institutionnels.

5. Doter l'Europe d'une stratégie d'action économique extérieure : agir unis pour mieux valoriser nos choix d'économie sociale de marché ; bâtir un camp de base pour nos entreprises dans la mondialisation ; élargir le principe de réciprocité et négocier avec les autres grandes régions des accords d'investissement d'intérêt mutuel.

6. La volonté politique de s'unir et d'agir pour la croissance et l'emploi avec une véritable stratégie industrielle ne doit pas attendre des réformes des traités, elle en est d'ailleurs la condition préalable. Elle doit se prouver en mettant un terme aux multiples dysfonctionnements des institutions communautaires dont les entreprises et les collectivités sont les victimes. Un gouvernement économique européen de la zone euro, ouvert aux autres Etats, la réforme de la Commission, le rééquilibrage entre concurrence et coopération, la relance du dialogue social et économique et l'organisation d'un système européen de relations socio-industrielles sont des priorités. Toute stratégie de croissance durable ne pourra pas réussir sans que les citoyens et les acteurs ne soient invités à participer aux choix collectifs, et sans que les parlements nationaux ne coopèrent activement avec le Parlement européen.

Acteurs économiques et sociaux de la société civile, nous sommes aussi porteurs de l'intérêt général et voulons contribuer à le définir. Ensemble pour la croissance et l'emploi, réindustrialisons l'Europe.

(*) Signataires :

Philippe Herzog, Claude Fischer, Jean-Paul Bailly, Marcel Grignard , Alain Lamassoure, Confrontations Europe
Franco Bassanini, Giuliano Amato, Marcello Messori, Tiziano Treu, Fondation Astrid
Vasco Errani, Patrizio Bianchi, Région Emilie-Romagne
Fabio Roversi Monaco, Andrea Cammelli, Alma Laurea
Joachim Vanhamme, Isabell Hoffmann, Bertelsmann Stiftung

Retrouvez le manifeste sur https://www.confrontations.org/fr/

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Commentaires 4
à écrit le 06/11/2012 à 16:24
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cest la crise 42

à écrit le 05/11/2012 à 22:55
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Tout cela est trop tard... Il semble malheureusement de plus en plus clair qu'une grand majorite de gens ne croit plus en l'Europe.... Les gens suivent car ils sont contraints de le faire...

à écrit le 05/11/2012 à 22:35
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1er janvier 2012 : accord de libre echange signé entre le Maroc et la naive Union Europeenne. Depuis plus de 7 ans vos impots de contribuables europeens servent a financer les zones economiques off shores, sur lesquelles s'installent vos industries t...

à écrit le 05/11/2012 à 22:09
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Mais sur quelle planète vivent-ils ces gens là ? Il y en a marre de ces pro-européistes qui nous promettent toujours mieux, en "changeant l'Europe". Cela fait 30 ans que tous les politiques nous le disent. Cette Europe nous mène vers l' appauvrissem...

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