Dévaluer l'euro ? Facile à dire, (quasiment) impossible à faire

Par Romaric Godin  |   |  1860  mots
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Nombreux sont ceux qui appellent à une dévaluation de l'euro. Un processus presque aussi difficile à réaliser qu'une dépréciation de la monnaie unique.

Comme le rappelle Patrick Artus dans une tribune publiée sur latribune.fr, la France aurait, voici trente ans, « dévalué sans hésiter. » Sans doute en aurait-il été de même de la Grèce, de l'Espagne, de l'Italie ou du Portugal. La semaine passée, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, avait estimé qu'une dévaluation de l'euro de 10 % créerait 150.000 emplois.

La dévaluation : un acte majeur de la vie politique d'avant les années 1980

La dévaluation de la monnaie a façonné la vie économique d'une partie de l'Europe, et singulièrement de pays comme la France ou l'Italie, pendant une période allant de la fin de la Première guerre mondiale jusqu'aux années 1980. Elle était alors devenue le geste politique par excellence, celui qui forgeait la stature d'homme d'Etat. On se souvient que toute l'intriguedu Président, film écrit par Michel Audiard et dont la figure politique est inspirée à la fois de De Gaulle et de Clemenceau, est fondée sur ce moment suprême de l'exercice du pouvoir.

Rien d'étonnant donc à ce que le terme de « dévaluation » redevienne à la mode concernant l'euro jugé de ce côté-ci du Rhin - et de plus en plus aussi sous bien d'autres cieux non allemands - bien trop fort. Mais une dévaluation à l'ancienne, à la Audiard si l'on veut, où l'on se réunit le dimanche autour d'une cheminée pour décider du montant et du moment de la dévaluation est pratiquement impossible telle quelle dans les conditions actuelles.

Comment l'on dévalue

La dévaluation stricto sensu est un acte politique qui suppose soit un régime de changes fixe, soit un strict contrôle des capitaux et souvent les deux. Et dans tous les cas, une banque centrale aux ordres, prête à intervenir pour faire respecter sur les marchés la décision politique. Dans le cadre d'un étalon-or ou d'un étalon-dollar, la dévaluation était simple. Un édit du pouvoir fixait la nouvelle valeur de la monnaie face au nouveau référent.

Le franc Poincaré fixait en 1926 une valeur en or cinq fois plus faible que celui du franc dit « germinal » dont la valeur avait été fixée en 1800. C'était la seule valeur autorisée puisque la seule qui permettait d'obtenir du métal jaune contre des francs. Sous le régime de Bretton Woods, il suffisait de réaliser la même opération avec le dollar, lui-même convertible en or. Souvent, une intervention de la banque centrale était nécessaire pour calmer l'inévitable courant vendeur qui suivait.

Dévaluer sans régime de change fixe

Avec la fin du système de Bretton Woods en 1973, les monnaies européennes se sont organisées dans le cadre du Serpent monétaire, puis du Système monétaire européen (SME) pour contenir les variations des monnaies européennes entre elles. Mais les monnaies étaient désormais flottantes. Dévaluer, autrement dit changer la valeur des monnaies européennes les unes par rapport aux autres, était alors devenu plus délicat. Cela supposait une plus grande activité des banques centrales et le maintien du contrôle des changes.

Mais avec la mondialisation des échanges, le maintien du contrôle des changes et de la dépendance des banques centrales était devenu intenable. La libéralisation et l'internationalisation des échanges et de la finance ont rendu les dévaluations stricto sensu difficilement praticables en Europe et, de toute manière, assez peu efficaces. La dernière en France remonte à 1983.

Déprécier à défaut de dévaluer

Pour autant, la dévaluation stricto sensu n'est pas la seule façon d'agir sur la valeur de sa monnaie pour regagner de la compétitivité. Dans un régime de taux de change flottants, il est difficile de dévaluer, mais il est possible d'agir sur la valeur de la monnaie pour la déprécier. Plusieurs pays ne s'en privent pas. Les États-Unis l'ont pratiqué et le pratique encore.

Plus directement, un pays comme l'Islande a clairement joué, après l'éclatement de sa crise bancaire en 2008, sur la valeur de sa monnaie pour regagner de la croissance. La Sedlabank, la banque centrale, a clairement oublié un temps son objectif d'inflation afin de réduire les effets de la récession et a laissé la couronne perdre jusqu'à 70 % de sa valeur au prix d'une inflation de 18 %. Le Japon de Shinzo Abe multiplie également les mesures visant à déprécier le yen afin de sortir le pays de la déflation.

Dévaluer l'euro ? Un doux songe…

Ceci est-il possible pour l'euro ? Écartons d'emblée le mythe de la dévaluation au sens ancien du terme qui serait contraire au principe sacro-saint de l'indépendance de la BCE inscrite dans les traités. Certes, le Traité de Fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) envisage dans son article 219 la possibilité de mettre en place un système de change fixe avec les monnaies d'un pays tiers, mais il serait bien difficile d'imposer aux États-Unis un taux de change fixe euro-dollar que l'on pourrait ensuite, unilatéralement, dévaluer ! 

De l'usage politique du mot « dévaluation »

Du reste, souvent, ceux qui, comme Arnaud Montebourg, réclament une « dévaluation » n'utilisent ce terme que pour des raisons politiques. Le terme évoque, notamment en France, ce temps considéré comme glorieux où le politique pouvait - croit-on - dicter sa loi à l'économique. Parler pour un homme politique de dévaluation, c'est se mettre en valeur à peu de frais, rappeler sa puissance régalienne. Mais, concrètement, ce qui est demandé, c'est d'agir en terme monétaire. Ce qui se cache souvent derrière ces propos, c'est l'exigence d'une baisse des taux.

L'inefficacité de la politique de la BCE sur l'euro

L'ennui, c'est que cette recette ne semble plus guère efficace aujourd'hui dans le cas de la zone euro. Depuis 2008, la BCE mène une politique extrêmement accommodante dont s'étranglent chaque matin les plus orthodoxes des économistes allemands (certains ont même fondé un parti contre cette politique).

La BCE a injecté plus de 1.000 milliards d'euros dans le système bancaire avec le LTRO de fin 2011 et début 2012, dont 665 milliards sont toujours dans la nature. Elle a racheté des obligations d'Etat sur le marché secondaire et s'est dit prête à le faire sans limite - c'est le programme OMT. Elle a abaissé son taux de refinancement à 0,5 %, un niveau record, poussant le taux interbancaire au jour le jour, l'Eonia, à quasi zéro. Elle a, en juillet, promis que ses taux resteraient « durablement » à ce niveau ou plus bas, sautant un pas inédit dans sa politique. Mais rien n'y fait, l'euro reste fort.

Un rapport de force défavorable à la BCE

Comment penser aujourd'hui que, comme par magie, une nouvelle baisse du taux directeur à 0,25 % ou même à 0 % pourrait faire chuter durablement l'euro ? Le problème ne réside pas, en réalité, dans les taux. Il réside d'abord dans le rapport des forces mondiales. Aux États-Unis, la Fed pratiquent une politique encore plus agressive que la BCE en injectant chaque mois 85 milliards de dollars sur le marché. Tant qu'il en sera ainsi, et même si le rythme ralentit, l'euro sera plus prisé que le dollar, car plus rare.

D'autant qu'au Japon, on l'a vu, la Banque du Japon rachète à tour de bras des bons du trésor, faisant aussi pression sur son cours de change. Enfin, la Chine, malgré une certaine libéralisation et une réévaluation maîtrisée du yuan, protège toujours l'avantage compétitif de sa monnaie. Face à ces trois géants, la politique monétaire de la zone euro apparaît presque restrictive. Même avec des taux plus bas.

Une politique européenne déflationniste qui soutient l'euro

L'autre élément qui maintient la force de la monnaie unique, c'est la politique économique menée par la zone euro. Cette politique vise à favoriser une dévaluation interne par la réduction des déficits publics, par la baisse ou le maintien des coûts salariaux et, in fine, par la limitation de la demande interne. Cette politique n'est pas menée que dans les pays périphériques. Elle est menée aux Pays-Bas, et même, avec certaines limites en Allemagne et en France.

Ces politiques sont déflationnistes, elles visent à restreindre la création monétaire en comprimant l'investissement et la consommation. Dès lors, la création monétaire est forcément limitée. En août, malgré la politique de la BCE, M3 a reculé de 2,3 %. Et l'avantage comparatif de l'euro face à des devises comme le dollar ou le yen est renforcée. La déflation renforce la valeur de la monnaie et créé un cercle vicieux où, pour compenser la perte de compétitivité due à l'appréciation de la monnaie, il faut encore renforcer la pression sur les coûts et donc renforcer la déflation. Le Japon le sait bien, qui est englué depuis plus de 20 ans dans cette nasse.

Les raisons de l'impuissance de la BCE

Comment alors, agir sur la valeur de l'euro ? En se lançant dans une compétition de « Quantitative Easing » avec les États-Unis et le Japon ? La lutte sera malaisée, pour plusieurs raisons.

D'abord, le « QE » n'est pas sur le point de se terminer dans ces deux pays. La Fed pourrait même durcir encore les conditions de son abandon. La BoJ, elle, ne le fera que lorsque son objectif d'inflation à 2 % sera atteint et on en est encore loin.

Ensuite, ces deux banques centrales bénéficient d'un certain consensus autour de leur action. En zone euro, ce n'est pas le cas. La Bundesbank, qui représente la première économie de la zone euro au conseil des gouverneurs de la BCE ne consent à de nouveaux accommodements qu'avec beaucoup de difficultés. Sans doute la pression déflationniste va jouer pour un nouvel assouplissement. Mais cette réticence met une distance infranchissable avec les États-Unis.

Enfin, la BCE peine à voir sa politique monétaire se transmettre à l'économie réelle en raison du manque de volonté des banques de prêter, donc d'injecter des euros dans le circuit économique. Pour faire baisser l'euro, la première solution serait d'abord de rendre efficiente la politique monétaire européenne.

Sortir de la logique déflationniste ? Pas si simple…

Reste la possibilité de sortir de la logique déflationniste. Là encore, c'est une gageure alors que cette politique est appliquée depuis plus de trois ans et que certains pays commencent à apercevoir de maigres, mais patents, résultats. Sans compter que l'architecture institutionnelle de la zone euro est désormais fondée sur cette logique de compétitivité. Surtout, là encore, on se retrouvera devant le mur allemand. Les projets que préparent actuellement Angela Merkel pour l'Europe prouvent que cette logique demeure plus que jamais la priorité de Berlin.

Bref, « faire baisser l'euro » semble bien délicat. Décidément, Arnaud Montebourg a bien des raisons de regretter le temps du Président d'Audiard…