Electricité verte : la facture va continuer d'augmenter

Comment déterminer le montant de la subvention à l'électricité "verte"? Les politiques oscillent, tandis que la facture pour le consommateur risque de continuer d'augmenter. par Claude Crampes et Thomas-Olivier Léautier, TSE

D'après la Commission de Régulation de l'Energie (CRE), la Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE)[1] devrait se monter à 8,4 milliards d'euros pour 2014, dont 2,2 milliards de régularisation des charges 2012. Pourquoi faut-il payer en 2014 des charges de 2012 ? Faudra-t-il payer en 2015 des charges de 2013 ?

Pour comprendre, il faut nous plonger dans le mécanisme de soutien aux énergies renouvelables choisi par la France. Chez nous, comme dans tous les pays qui ont adopté un système d'obligation d'achat pour soutenir le développement des énergies renouvelables, les producteurs d'énergie utilisant des « technologies vertes » ne sont pas directement rémunérés par les consommateurs. Les sommes prélevées par les fournisseurs d'électricité sur les consommateurs (en France, au travers de la CSPE) transitent par les comptes des fournisseurs d'électricité, puis de la Caisse des Dépôts et Consignations.

Ensuite, elles sont redistribuées, d'une part aux producteurs d'électricité utilisant des sources renouvelables et, d'autre part, à certains opérateurs de l'industrie, EDF et les Entreprises Locales de Distribution (ELD),[2] obligés d'intégrer dans leur offre énergétique les livraisons venant des producteurs verts. Les sommes allouées à EDF et aux ELD sont supposées compenser les surcoûts que leur impose cette politique. En fait, il n'en est rien, en raison notamment des interventions du gouvernement dans ce mécanisme. Nous reviendrons sur ce point dans un autre billet. Pour l'heure, nous supposerons que la partie verte de la CSPE joue parfaitement son rôle de compensation des surcoûts provoqués par le soutien aux renouvelables. Comment est-elle calculée ?

Le calcul du coût des obligations d'achat

Les charges de service public liées aux obligations d'achat sont le résultat de la différence entre le coût d'achat par EDF et les ELD (les sommes versées aux producteurs verts sous contrat) et le coût évité par ces opérateurs obligés. Le consommateur d'électricité, qui est aussi en la circonstance le contribuable, peut légitimement se poser trois questions concernant cette dépense supplémentaire figurant sur sa facture[3] : i) pourquoi une différence entre deux coûts ? ii) comment est calculé le premier de ces coûts et iii) comment est calculé le second ?

Le système fonctionne comme si les opérateurs obligés contrôlaient à la fois leur propre source d'approvisionnement en électricité et les centrales utilisant des ressources renouvelables, ... sauf qu'ils n'ont pas le choix de l'ordre dans lequel les appeler. En l'absence d'énergie verte (la nuit pour les panneaux photovoltaïques, quand le vent ne souffle pas pour les éoliennes), les opérateurs ne peuvent vendre à leurs clients qu'en supportant le coût de produire dans leurs propres centrales ou le prix auquel ils achètent l'électricité, que ce soit par contrat ou sur le marché de gros.

Quand l'électricité verte est disponible, ils sont légalement tenus de l'acheter, mais cette acquisition leur évite de faire tourner leurs propres centrales ou d'acheter l'énergie sur les marchés. La compensation à leur payer pour cette obligation est donc la différence entre ce qu'ils doivent payer aux producteurs verts et l'économie qu'ils réalisent en ne produisant pas eux-mêmes ou en n'achetant pas à leur source habituelle. Voici qui répond à la première question. Il reste à expliquer les deux termes de la soustraction.

 Les tarifs d'achat

Dès lors qu'il s'agit d'obligation d'achat, il ne faut pas s'attendre à ce que la rémunération versée aux énergies renouvelables obéisse à des préoccupations commerciales. C'est dans le cœur de l'économie administrée qu'il faut plonger pour trouver les éléments constitutifs du contrat entre producteurs verts d'une part et, d'autre part, EDF et ELD. Nous laisserons pudiquement de côté l'article L314 du code de l'énergie qui, dans le style roboratif commun aux rédacteurs de codes, donne le cadre général du dit contrat, justement appelé administratif. Pour les amateurs de sensations fortes, ce sont les arrêtés tarifaires qui sont les plus savoureux. Les nostalgiques de l'économie planifiée prendront grand plaisir à s'immerger dans les coefficients techniques définis par force arrêtés et annexes. Ce sera l'occasion de rappeler que dans les détails se cache le diable.[4]

Dans l'esprit, il s'agit de tarifs discriminants à marge fixe : on rembourse les coûts plus une « rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités » (pour reprendre une expression du « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte »). La difficulté de l'exercice consiste à inciter à l'investissement en énergies renouvelables sans abandonner une rente indue aux investisseurs. Si l'on avait choisi de payer en fonction de la capacité installée (mesurée en kW), les calculs auraient été plus simples mais peu efficients puisque des panneaux PV situés à l'ombre (voire à la cave) auraient pu bénéficier de subventions. Il est plus logique de baser la rémunération sur la production (les kWh), mais le coût par kWh varie d'une installation à l'autre. En effet, panneaux PV et éoliennes ont des coûts d'exploitation quasi nuls, de sorte que leur coût est essentiellement celui des capacités installées, lequel varie fortement avec la taille et le type d'installation. La production, pour sa part, dépend de la localisation, de l'orientation des équipements et des conditions climatiques. Le coût du kWh est donc très variable d'une installation à l'autre, ce qui veut dire qu'il faut une régulation pointilliste pour le calculer. A titre d'exemple, les tarifs d'achat du kWh photovoltaïque varient dans une fourchette de 12 à 46 c€.[5]

La France prise peu les mécanismes de marché...

L'alternative est le système des appels d'offre : les capacités de production d'énergie renouvelable à installer sont fixées ex ante et le marché est gagné par l'enchérisseur le moins disant. Le prix est donc endogène, révélant ex post les volumes de production espérés par le gagnant de l'enchère et les coûts envisagés, rémunération du capital incluse. Mais, en France, les mécanismes marchands sont peu prisés ; encore moins quand il s'agit de politiques énergétique et environnementale. La Commission de Régulation de l'Energie (CRE) qui, pourtant, organise les appels d'offre lancés par l'Etat en matière d'énergies renouvelables explique sur son site que : « Les appels d'offres occasionnent néanmoins d'importants coûts de transaction (concertation préalable sur les conditions générales, rédaction d'un cahier des charges de plusieurs dizaines de pages, multiplicité d'acteurs, procédures étalées sur plusieurs trimestres...). Ils peuvent aussi être infructueux si les conditions économiques ou juridiques ne permettent l'émergence d'aucune candidature satisfaisant le cahier des charges. » Cette procédure est utilisée épisodiquement pour les grandes installations solaires et l'éolien off-shore.

En conclusion, le premier coût de la soustraction déterminant la valeur de la fraction de la CSPE dévolue aux énergies renouvelables résulte du calcul d'une moyenne sur des bases technico-comptables assez éloignées des mécanismes de marché.

 Les coûts évités

Les principales sources d'énergie renouvelable sont intermittentes. Donc, les obligations d'achat d'EDF et des ELD varient au gré du soleil et du vent, ce qui fait que les coûts évités sont eux-mêmes contingents : en milieu de journée au mois d'août, le coût évité grâce au soleil est celui qui vient de la réduction de production dans une centrale nucléaire ou dans une centrale thermique classique ; en fin de journée au mois de février, le coût évité grâce au vent est celui d'une centrale au gaz ou le coût d'opportunité de l'eau retenue dans un réservoir d'altitude.

On pouvait donc craindre une seconde couche techno-comptable appliquée cette fois au calcul du coût évité. Il n'en est rien. Le législateur s'est fort opportunément souvenu qu'il existe un marché de l'énergie. Il a donc inscrit dans l'article L 121-7 du code de l'énergie que « les coûts évités par l'obligation d'achat en métropole continentale sont calculés par référence aux prix de marché. »[6] Effectivement, sur un marché de gros, l'énergie est offerte par ordre de coût d'exploitation croissant et le prix qui équilibre offre et demande est donc égal au coût de la dernière unité de production appelée, lequel sera 'évité' si on réduit la production pour faire place à l'électricité produite par des sources renouvelables.[7]

EDF supporte les risques du système

Mais i) le montant de la CSPE est fixé en début d'année sur la base de prévisions, notamment en utilisant le prix des marchés à terme pour estimer les coûts évités, ii) le tarif d'achat des renouvelables est fixé mais les volumes qu'il faudra acquérir en cours d'année sont très aléatoires, et iii) les prix sur les marchés spot servant au calcul des coûts évités constatés sont extrêmement volatils. C'est donc EDF qui supporte les risques de l'ensemble du système et qui n'équilibrera ses comptes qu'avec les ajustements calculés par la CRE deux ans plus tard. Et les sommes ne sont pas négligeables : comme nous l'avons écrit au début de ce billet, en 2014 nous devrions payer 2,2 milliards sur une CSPE totale égale à 8,4  milliards simplement pour régulariser les charges 2012. Cela ne signifie pas nécessairement que la somme à régulariser augmentera l'année prochaine. Tout dépend en fait des écarts entre marchés spot et à terme. Il est même arrivé dans le passé que la régularisation soit négative.[8]

 Un mécanisme suranné de planification centrale

 Le système des obligations d'achat avec tarif administré est un mécanisme suranné de planification centrale. Ses jours sont comptés. Les investisseurs ont profité de la possibilité d'investir sur des durées garanties suffisamment longues pour être sûrs de réaliser un profit sans risque. Il en résulte pour les consommateurs et pour EDF une charge financière croissante qui commence à inquiéter les pouvoirs publics.[9] Dans le « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte » actuellement en discussion, le tarif d'achat est remplacé par un complément de rémunération qui sera versé aux producteurs utilisant des énergies renouvelables quand ils vendront leur production sur le marché de gros.

A priori, cette idée est séduisante puisqu'elle oblige les producteurs à garder un œil sur le prix de marché. Mais son efficacité dépend de l'objectif poursuivi et de la façon dont le complément est calculé. Tant que la puissance publique se donne des objectifs quantitatifs de capacité renouvelable installée, le complément doit inciter les producteurs à investir jusqu'à ce que la cible soit atteinte.

Les factures risquent de continuer d'augmenter...

La rémunération des producteurs d'énergie renouvelable, c'est à dire la somme du complément et des prix de marchés futurs, doit donc couvrir en moyenne leur coût d'installation. Les prix de marché futurs étant incertains au moment de la fixation du complément, les calculs nécessaires à sa détermination sont par nature difficiles. Par ailleurs, pour un objectif quantitatif donné, il faut minimiser les coûts, ce qui veut dire transférer les risques vers ceux des agents qui le craignent le moins. En France, qui mieux que la collectivité nationale peut s'acquitter de cette tâche, donc qui mieux que EDF, puisque nous en sommes tous actionnaires ?

Donc le vrai problème est moins de trancher entre tarif de rachat et complément de rémunération que de remettre en cause le principe même d'une détermination administrative d'objectifs quantitatifs de puissance renouvelable installée, sans analyse économique des coûts provoqués. En l'absence d'une telle analyse, les politiques publiques continueront à osciller, et les factures à augmenter.

Plus d'informations sur le blog de TSE

[1]  Instituée par la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003, la CSPE vise à compenser les charges de service public de l'électricité supportées par les fournisseurs historiques (principalement les surcoûts résultant des politiques de soutien à la cogénération et aux énergies renouvelables, les surcoûts de production dans les zones non interconnectées au réseau électrique métropolitain continental dus à la péréquation tarifaire nationale), ainsi que les charges supportées par les fournisseurs alternatifs ayant des clients au « tarif de première nécessité ». Il faut y ajouter la prime versée aux opérateurs d'effacement (loi n° 2013-312 du 15 avril 2013), et le financement du budget du Médiateur national de l'énergie. Depuis 2011, le poste 'énergies renouvelables' est le plus gros de la CSPE (environ 60%), en raison essentiellement du fort développement du photovoltaïque et, dans une moindre mesure, de l'éolien. Voir www.cre.fr/operateurs/service-public-de-l-electricite-cspe/

[2] Lors de la nationalisation des industries électriques et gazières en 1946, la loi a prévu un régime dérogatoire pour les entreprises qui appartenaient à des communes. On leur laissa le choix de rejoindre Electricité de France ou de rester indépendantes. Pour cette raison, il y a aujourd'hui un réseau de distribution couvrant 95% du territoire métropolitain continental géré par ERDF (filiale d'EDF) pour le compte des communes, et environ 150 entreprises locales de distribution (ELD), chargées de gérer leur réseau de distribution d'électricité et de commercialiser les tarifs réglementés de vente d'électricité et/ou de gaz naturel sur leur territoire. On peut trouver une carte de la localisation des ELD à l'adresse collectivites.edf.com/electricite/tarifs-de-cession-90228.html

[3] La CSPE nécessaire à l'équilibrage des comptes pour l'année 2014 est de 22,5 €/MWh. Elle est en fait égale à 16,5 €/MWh pour des raisons politico-réglementaires que nous discuterons à une autre occasion. Voir www.cre.fr/documents/deliberations/proposition/cspe-2014.

[4] Voir par exemple l'arrêté du 7 janvier 2013 modifiant l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000. Le texte est disponible à www.legifrance.gouv.fr/jopdf/common/jo_pdf.jsp?numJO=0&dateJO=20130131&numTexte=18&pageDebut=01920&pageFin=01923#.

Une synthèse moins rebutante est donnée par www.developpement-durable.gouv.fr/Les-tarifs-d-achat-de-l,12195.html.

[5] www.developpement-durable.gouv.fr/Les-tarifs-d-achat-de-l,12195.html.

[6] Du moins pour EDF. Pour les ELD, on utilise non le prix de marché mais le tarif réglementé auquel elles sont habilités à acheter l'énergie à EDF ; revoilà donc l'administration.

[7] Pour les marchés du lendemain, on peut visualiser les fonctions d'offre et de demande et l'équilibre de chaque marché horaire à www.epexspot.com/fr/donnees_de_marche/fixing/courbes-agregees/auction-aggregated-curve.

[8] La CRE a récemment lancé une consultation publique en vue de modifier les principes de calcul du coût évité ; www.cre.fr/documents/consultations-publiques/modalites-de-gestion-de-l-obligation-d-achat-en-metropole-continentale-et-principes-de-calcul-du-cout-evite/consulter-la-note-technique

[9] Voir le rapport de la Cour des Comptes « La compensation des charges du service public de l'électricité », février 2011 , à l'adresse www.ccomptes.fr/content/download/1515/15021/version/2/file/8_compensation_des_charges_service_public_electricite.pdf

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