Pourquoi Piketty se trompe sur l'accumulation du capital logement

Selon Thomas Piketty, on assiste à un processus général d'accumulation du capital. Y compris s'agissant du logement. Or, en réalité, ce dernier ne s'accumule pas. Par Pierre-Henri Bono, Sciences Po - LIEPP

Thomas Piketty a récemment porté l'analyse des inégalités au centre du débat économique. La Tribune s'est fait l'écho de plusieurs billets d'opinion sur les travaux de Thomas Piketty. Et c'est sans ambiguïté que l'on peut affirmer qu'il existe de lourds problèmes d'inégalité dans nos économies modernes. Le capitalisme plus ou moins prononcé des économies développées a échoué à redistribuer les fruits de la croissance de manière suffisamment égalitaire. Ce texte souhaite cependant clarifier le débat concernant la valorisation du capital logement et son impact dans la dynamique des inégalités. Les conclusions présentées ci-dessous sont issues du travail d'Odran Bonnet, Pierre-Henri Bono, Guillaume Chapelle et Étienne Wasmer (document de travail du LIEPP, avril 2014).

Lorsque le capital produit sa propre mécanique d'accumulation

Dans son best-seller international, le capital au XXIe siècle, l'auteur s'intéresse aux inégalités de capital dans plusieurs pays. Sa principale conclusion est que le capital produit sa propre mécanique d'accumulation. Pour illustrer son propos, l'auteur utilise comme principal indicateur le ratio du capital sur le revenu national. L'auteur prédit que lorsque les rendements du capital sont supérieurs à la croissance de l'économie de manière durable, le ratio capital sur revenu augmente avec comme conséquence une plus forte concentration du capital dans une part infime de la population : les fameux 1 % (les 1 % des ménages qui possèdent le plus de richesse). En période de très faible croissance économique, la rente devient plus profitable que l'entrepreneuriat : les détenteurs de capital utilisent ce mécanisme pour accumuler encore plus au détriment du capital accumulé à partir des revenus.

Depuis 1945, toute l'augmentation du capital tient au... logement

Suivant ce mécanisme, l'augmentation du ratio capital sur revenu est un signal sur le niveau des inégalités et Thomas Piketty ne manque pas de le rappeler dans son livre, comparant sans cesse le niveau de capital d'aujourd'hui à celui de la Belle Époque, lorsque la richesse nationale était détenue par une part très faible de la population.
L'auteur scinde le capital en quatre  grandes catégories : le capital productif (usines, bâtiments, etc.), le capital logement (l'ensemble locaux à usages d'habitation), le capital extérieur net (la différence entre les avoirs des étrangers en France et les avoirs des Français à l'étranger) et les terres agricoles. Or, depuis l'après-guerre, toute l'augmentation du capital rapporté au revenu n'est le fait que d'une seule composante : le capital logement. Cette part considérable prise par le logement n'est pas sans importance sur l'analyse théorique de l'auteur.

Le capital logement bien réparti

En effet, le capital logement est relativement bien réparti au sein de la population. La France, par exemple, comprend autour de 60 % de ménages propriétaires. L'augmentation des prix immobiliers, principal moteur du retour du capital, bénéficie donc à une part plutôt importante de la population et non pas seulement aux plus fortunés. La question est de savoir si le capital logement s'accumule comme le suggère la théorie du capital au XXIe siècle. La réponse est en grande partie non. Non, car finalement peu d'individus font une plus-value réelle avec leur logement, la majorité utilisant le produit d'une vente pour se reloger. Certes le logement est une réserve de valeur très appréciée des Français, l'investissement dans son logement peut être comparé à un comportement d'épargne, mais qui ne concourt pas à la mécanique d'auto accumulation du capital.

Comment mesurer les inégalités de patrimoine?

Pour qualifier la hausse des inégalités de patrimoine, nous devrions plutôt mesurer le rendement du capital immobilier à partir des loyers nets qu'il génère et non des prix d'acquisition et de cession que l'on observe le marché immobilier. En valorisant le capital logement avec les loyers, nous montrons que sur les dernières décennies, le ratio capital sur revenu, correctement évalué, est resté stable en France, ce qui contredit donc assez nettement la thèse de l'auteur d'une dynamique divergente d'accumulation du capital à partir de ces tendances recalculées.
Pour bien comprendre ce résultat, il faut réfléchir au travers une illustration de prime abord paradoxale : même les biens immobiliers exceptionnels possédés par les 1 % les plus riches ne participent pas nécessairement à l'accumulation du capital. Illustrons notre raisonnement en prenant l'exemple d'une magnifique villa des bords de la Méditerranée de plusieurs centaines de mètres carrés avec plusieurs hectares de terrain. Supposons que l'on offre à un ménage de la classe moyenne de vivre dans un tel bien pendant 10 ans, avec les deux conditions suivantes : il l'occupera et ne devra pas le louer à autrui . Par contre, il pourra empocher la plus-value (ou payer la moins-value) après dix ans. Selon la mesure théorie de Thomas Piketty, ce capital produira produit du rendement et un bien comme celui-là, c'est-à-dire un capital de plusieurs dizaines de millions d'euros, devrait donc rapporter une belle somme.

Le capital logement ne s'accumule pas

En fait, un tel bien immobilier aurait vite fait de ruiner le ménage. Entre les taxes et les réparations ou encore l'entretien courant, l'immobilier est un capital qui coûte cher à entretenir et qui ne rapporte que quand on le loue. Ce qui est exclu dans le cas que nous avons examiné. Pourquoi est-ce un exemple est pertinent ? Parce que, comme nous l'avons déjà vu, le capital logement est surtout concentré dans les mains de propriétaires occupants ; ceux-ci sont donc dans la situation où le capital ne s'accumule pas. Et si l'on rajoute un possible retournement du marché immobilier tel que celui qui semble à l'œuvre en ce moment, la mécanique d'auto accumulation en devient encore moins probable.

Mesurer le capital immobilier à partir des loyers

Pour qualifier la hausse des inégalités de patrimoine, nous devrions plutôt mesurer le rendement du capital immobilier à partir des loyers nets qu'il génère et non des prix d'acquisition et de cession que l'on observe le marché immobilier. En valorisant le capital logement avec les loyers, nos travaux montrent que sur les dernières décennies, le ratio capital sur revenu, correctement évalué, est resté stable en France, ce qui contredit donc assez nettement la thèse de l'auteur d'une dynamique divergente d'accumulation du capital à partir de ces tendances recalculées.

Quelle dynamique inégalitaire?

Le propos ici n'est pas de nier l'avantage d'être propriétaire sur un locataire. Un individu qui hérite d'un logement bénéficie d'un avantage comparé à celui qui n'en aura pas. Il vaut mieux être riche, propriétaire et en bonne santé que pauvre, locataire et malade. La question soulevée concerne le retour historique d'un niveau élevé de capital et la dynamique inégalitaire d'accumulation. On peut tout à fait remettre en cause ce mécanisme sans pour autant nier la présence d'inégalités en France. Et l'analyse du mécanisme n'est pas une simple discussion académique : comprendre le mécanisme est important pour la mise en place des politiques publiques de correction des inégalités et en particulier sur la taxation adéquate du capital.
Que ce fût la volonté de l'auteur ou non, le capital au XXIe siècle est aussi un objet de recherche académique. Les chercheurs en sciences sociales s'emparent des données, mais analysent aussi en profondeur le mécanisme et les conclusions suggérées par l'auteur. La richesse de l'information et le volume important de données contenu dans le livre ont conduit à différentes lectures du livre. Cependant peu de productions sur le sujet s'appuient sur une démarche académique de collecte et d'analyse des données comparables à celle du livre, ce que nous avons essayé de faire.

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Commentaires 29
à écrit le 31/01/2015 à 18:57
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c'est tout le temps pareil si vous touchez aux intérêts de certains ils vont vous expliquez que vous avez tord ! mais la réalité il s'agit bien d'une rente qui a fait des fortunes dans l'immobilier de pères en fils .

à écrit le 18/01/2015 à 20:59
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Un raisonnement savant d'économiste de plus. Tout ce que sais, c'est que les passages entre les maisons de Montmartre, notamment entre l'avenue Junot et la rue Lepic, ont été fermés au public : les propriétaires riverains ont accumulé manifestement...

à écrit le 18/01/2015 à 10:35
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Un raisonnement savant d'économiste de plus. Tout ce que sais, c'est que les passages entre les maisons de Montmartre, notamment entre l'avenue Junot et la rue Lepic, ont été fermés au public : les propriétaires riverains ont accumulé manifestement...

à écrit le 03/01/2015 à 10:11
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Il n'a jamais du faire le calcul de la rentabilité d'un bien loué : impôts sur les revenus charges copropriété travaux taxe foncière plus values en cas de revente ISF etc.. etc..

à écrit le 19/12/2014 à 11:23
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C'est dommage, article intéressant mais aucune source pour approfondir.

à écrit le 16/12/2014 à 13:04
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"l'immobilier est un capital qui coûte cher à entretenir et qui ne rapporte que quand on le loue." Les non propriétaires dorment-ils sous les ponts ? Le capital immobilier rapporte le loyer qu'on aurait du payer si on n'avait pas été propriétaire . T...

à écrit le 11/12/2014 à 12:06
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Analyse intéressante, mais qui n'est à mon sens valable que si on étudie le capital d'une seule personne au cours de sa vie d'actif : effectivement, acheter son logement permet sur le moyen-long terme d'économiser par rapport à la location, mais ne c...

à écrit le 11/12/2014 à 9:00
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Ca ne m etonnerai pas que l auteur (officiellement professeur) fasse des extra pour des promoteurs comme le celebre Mouillard qui est toujours la pour claironner que les prix vont monter et que c est le moment d acheter ... Plus serieusement, c est ...

le 11/12/2014 à 20:49
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l'auteur je ne sais pas, mais l'article est basé sur des travaux d'économistes sérieux qui eux ne sont surement pas subventionnés

le 17/12/2014 à 16:41
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Quels economistes et ou sont les references ? il n en cite aucun !

à écrit le 10/12/2014 à 16:49
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Une analyse sans aucun chiffre ni aucune source. On n'arrête pas le progrès! Du blabla du début à la fin. Si le monsieur prend la peine de lire le livre en question, ou de la survoler, il verra que les analyses du sieur Piketty se basent sur des donn...

le 11/12/2014 à 14:26
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première chose à faire avec Piketty : contrôler les chiffres fournis et surtout les séries statistiques qu'il utilise , en général le biais se trouve à ce niveau

à écrit le 10/12/2014 à 15:48
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Amusant,s'il n'y avait pas Piketty, ces gens n'auraient rien à dire.

à écrit le 10/12/2014 à 15:02
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Mouaip, enfin analyser le capital en ne regardant que sa rente c'est un peu se voiler la face non ? Quant à la villa somptueuse prêtée, on peut tirer les mêmes conclusions avec n'importe quel actif. Si on me prête le réseau électrique de toute la Fr...

à écrit le 10/12/2014 à 14:54
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capital logement ou capital immobilier ? que le capital "logement" ne s'accumule pas ou peu quand on habite son bien pourquoi pas mais qu'en est-il de ceux qui ont un capital suffisant pour avoir des biens à louer ? De plus l'étude de Piketty est...

à écrit le 10/12/2014 à 14:44
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Comme disait Marx : "Je vous parie une choucroute qu'on reparlera de la valeur d'usage après ma mort...". Et en effet, nous allons tomber dans le stock dormant et tournant, la quantité économique, le prix du fil à couper le beurre... Chers lecteurs ...

à écrit le 10/12/2014 à 13:31
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Complètement faux. Les prix des logements on plus que double alors que les loyers non. Les jeunes de nos jours ne se permettent plus de d'envisager un achat.... justement a cause de cette hausse des prix. Il faut aussi mentionner que posséder un bien...

le 10/12/2014 à 13:55
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On voit que tu n'es pas propriétaire privé. Les taxes sur l'immobilier sont énormes à l'achat : TVA + Notaire => il faut plusieurs années d'équivalent loyer pour les amortir. Les taxes d'habitation et foncières sont à payer tous les ans et représente...

le 10/12/2014 à 14:39
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Tout aussi faux, Tt. Les loyers ont aussi fortement augmenté. Maintenant, l'histoire des niches fiscales, là, oui... Mais la planète a maintenant la chance d'avoir des dirigeants faits PAR et POUR les riches.

le 11/12/2014 à 7:35
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En tout cas les loyers sont très loin d'avoir double... A1%d'augmentation par an je vous laisse faire le calcul.... Et les APLs..... =niche fiscale....

le 05/01/2015 à 14:59
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Quand on est locataire, on paie la taxe d'habitation et certaines charges. On subit tous les ans une augmentation non prévue contractuellement dans le bail mais calculée chaque année. Quand on est propriétaire, on paie des taxes et charges en plus, m...

à écrit le 10/12/2014 à 13:27
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Analyse pertinente sur les biens immobiliers !Il y manque d'ailleurs un élément, l'effet de richesse que provoque la possession de ces biens, phenomene bien réel aux USA ou se trouvant plus '''riche ''' du fait de la valorisation de leurs logements, ...

à écrit le 10/12/2014 à 13:07
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Ce qui est mis en évidence dans le livre de Pikety est le mécanisme auto-cumulatif aux marges des patrimoines: les gros patrimoines croissent plus vite et les petits plus lentement voire baissent. Le retour à la norme historique seulement battue en ...

le 10/12/2014 à 15:03
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Je fais la même analyse que vous sur le danger collectiviste qui poussait à plus de justice sociale et fiscale. La menace n'existant plus, le compromis a disparu avec...

le 10/12/2014 à 16:52
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Votre analyse est plus courte mais plus pertinente que celle du monsieur.

le 11/12/2014 à 15:10
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Juste un exemple pour prouver que Piketou est un ane : Le classement Forbes de 1984. Aucune des 10 premières fortunes ne s'y trouve encore!! Donc, après, nous faire des tartines pour nous expliquer l'accumulation du capital, c'est franchement comi...

le 17/12/2014 à 23:38
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Ah dis donc, quelle belle analyse Miloo ! Incroyablement solide ! Et la fortune créée par Wall Mart, vous êtes sûr de votre coup là ? Ils sont 5 ou 6 maintenant, chacun dans la tête du classement ou pas loin... En plus Piketty parle des 1%. Vous sav...

à écrit le 10/12/2014 à 12:49
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Toujours cette confusion entre "but" et "moyen" concernant l'utilisation de la monnaie qui ne doit pas travailler a notre place mais faciliter les échanges!

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