Les entreprises dans le maquis des législations anti-corruption

Les entreprises peuvent tomber sans le savoir sous le coup d'une légilsation étrangère anti-corruption. Elles doivent prouver leur bonne foi. par Marc-Elie Caspar, Directeur des Ventes LexisNexis Business Information Solutions, et André Jacquemet, Associé du cabinet BPA
Marc-Elie Caspar

Pris dans la spirale d'une mondialisation croissante, les chefs d'entreprise doivent piloter leur activité en faisant face à des impératifs économiques et des contraintes normatives pesantes. Face au foisonnement des règles applicables, les choix des dirigeants engagent de plus en plus leur responsabilité et le devenir de leur structure. Quelle responsabilité pour l'entreprise face à l'extra territorialité des lois en matière de corruption internationale ? L'éthique des affaires : un sujet hautement sensible dont  le tabou est levé ...

Convention de l'ONU, de l'OCDE, lois internationales, nationales : comment avancer dans ce maquis législatif?

Depuis plus de 30 ans, la lutte contre la corruption constitue une des mesures phares des gouvernements américains avec une législation bien rodée depuis la fin des années 70 (le « FCPA »).

Au niveau international, le socle de base de la législation anti-corruption repose principalement sur les conventions de l'ONU (en vigueur depuis 2005), de l'OCDE (en vigueur en 2000) et de l'Union Européenne (en vigueur en 2003), la ratification de ces dernières ayant constitué un tournant significatif dans l'histoire de la lutte contre la corruption. En effet, depuis la fin des années 90,  les Etats n'ont eu de cesse de promouvoir des lois dédiées à ce combat,  à l'instar de la France en 1992, du Royaume Uni en 2010 - avec son Bribery Act,  de la Chine en 2013 , du Brésil en 2014...

Autant de législations avec lesquelles les dirigeants doivent composer dans un contexte où l'internationalisation des relations constitue une porte grande ouverte à la reconnaissance de la compétence d'une loi étrangère, en application du principe d'extraterritorialité des lois. En vertu de ce dernier, l'intérêt supérieur de l'Etat prend une place prépondérante, justifiant la mise en œuvre d'une législation parfois totalement étrangère à l'entreprise et à son dirigeant. Cet élément constitue un véritable facteur d'insécurité juridique pour les sociétés qui doivent désormais et plus que jamais agir en toute connaissance de cause avec une parfaite maîtrise du risque corruption.

La corruption,  une notion encore trop mal perçue des dirigeants

Peu de dirigeants auraient conscience de l'importance de mettre en place des procédures au sein de l'entreprise pour lutter contre la corruption. Et pour cause, la notion même représenterait un véritable tabou selon les pays où les entreprises, pour lesquels il conviendrait plutôt d'évoquer la problématique sous l'appellation « éthique des affaires ». Selon un rapport de l'Union Européenne en date de 2011, la corruption représenterait 5% du PIB mondial. D'où une lutte sans merci et coordonnée, via une véritable coopération judiciaire, par application des conventions internationales. La France a ratifié celle de l'OCDE en 2000 et à ce titre, tout dirigeant devrait être en mesure de pouvoir définir le concept de corruption, les infractions corrélatives, les comportements à risque et d'éviter toute mise en relation commerciale de nature à impacter l'entreprise.

Distinguer corruption publique et corruption privée

La corruption s'entend comme étant le fait de promettre, d'offrir, d'accorder à un tiers directement ou indirectement un avantage pécuniaire indû ou autre pour lui ou autres personnes , entités, afin d'accomplir un acte en vue d'obtenir un avantage commercial. Elle se couple souvent avec des infractions connexes telles le blanchiment d'argent, l'abus de bien social et entraîne systématiquement une fraude comptable.

Concrètement, la corruption publique est à distinguer de la corruption privée, chacune entraînant une répression différente. L'intégration des concepts de corruption et d'extraterritorialité des lois des pays font partie des mesures de bonne gouvernance d'une entreprise.

Pourquoi intégrer la gestion du risque de corruption dans le pilotage de l'entreprise

Tout d'abord, en raison de ce fameux principe d'extraterritorialité des lois qui, loin d'être une hypothèse d'école, touche directement toutes les entreprises. Dès lors qu'un élément de rattachement d'une loi étrangère se glisse dans la façon de conduire ses opérations, même en France, il est suffisant pour attraire l'applicabilité de la loi étrangère.

Par exemple, si un contrat est signé entre un pays A et un pays B,  autres que l'Amérique, et que la monnaie du contrat est le dollar, la loi américaine est applicable. Or, peu de dirigeants connaissent l'extrême sévérité du principe d'extraterritorialité des lois et de son impact pour l'entreprise. Pour s'en convaincre, il suffit de citer l'exemple d'un des dirigeants de Siemens, poursuivi selon l'application de la loi américaine, alors que l'infraction était commise en Argentine tout simplement parce qu'il avait utilisé son téléphone portable depuis l'Amérique pour diriger l'affaire !

Toute société risque de tomber sous le coup d'une loi anti-corruption qu'elle ne connaît pas

C'est dire que toute société, quelle que soit sa dimension ou son activité est susceptible de tomber sous le coup d'une législation anti - corruption dont elle ne connaît pas les contours. De fait, l'organisation d'une défense judiciaire par des avocats étrangers, pour l'application d'une loi étrangère, non seulement est coûteuse mais surtout hasardeuse et très préjudiciable en termes d'image pour l'entreprise. A ces éléments s'ajoutent les condamnations financières au titre de la réparation du préjudice, les éventuelles restitutions financières ou autres, les condamnations à des amendes dont les montants sont des plus dissuasifs (à l'instar de Total condamné à payer pas moins de 400 millions d'euros) sans compter la responsabilité pénale tant des dirigeants de fait que de droit (en France, les sanctions peuvent aller jusqu'à 150.000 euros d'amende et 10 ans de prison !, cf le rapport de l'OCDE du 2 décembre 2014).[1]

Autant dire que mieux vaut se faire accompagner par des spécialistes de la lutte anti-corruption. Recueillir toute l'information préalable indispensable au pilotage de l'activité en toute sérénité permet d'avoir en main tous les outils d'une gestion prudente. La "due diligence" préalable est un processus indispensable pour la protection de l'entreprise et de ses dirigeants. Cette attitude préventive et pédagogique- il s'agit de se faire accompagner par des professionnels dans la connaissance du phénomène- évitera d'assumer a posteriori les conséquences de l'absence de prise en compte du risque corruption dans les opérations de la société.

Maîtriser le risque corruption dans l'entreprise : une affaire de bonne foi

En cas de poursuite engagée contre l'entreprise, le dirigeant devra répondre aux questions accusatrices du juge d'instruction qui sont toujours tournées vers la recherche de sa bonne foi : « Comment se fait-il que vous ayez contracté avec tel organisme, réalisé telle affaire, alors que de commune renommée, dans la presse spécialisée il apparaît comme douteux ? Vous ne pouviez pas ne pas savoir, vous ne deviez pas ne pas savoir ». Ainsi, la seule façon de surmonter des accusations de corruption sera de montrer « patte blanche » en prouvant la bonne volonté et la bonne foi mise en œuvre par le dirigeant, au sein de l'entreprise pour lutter contre la corruption ou les infractions connexes.

Démontrer l'existence d'une organisation interne contre la corruption

Bien sûr, il faudra plus que des mots, les simples auto-déclarations avec mise en exergue d'une charte éthique ne suffiront pas. Il conviendra par exemple de démontrer une organisation interne destinée à la lutter contre la corruption, une gouvernance faite autour de cette notion ou encore, le  recours à un cabinet de conseil , la vérification systématique de toutes les parties prenantes,  tout acte de nature à établir que la bonne foi du dirigeant n'est pas à remettre en cause... mais attention, là où l'affaire se complique c'est lorsque la loi américaine trouve application dans la mesure où cette dernière juge avec autant de sévérité les auteurs de faits de corruption que ceux qui auront laissé faire.

Autant dire que tous les acteurs de l'entreprise, dirigeants de fait et de droit sont concernés par l'éthique des entreprises. Une situation qui devrait encourager les intervenants à faire preuve de prudence en procédant à des vérifications relatives aux parties prenantes « due diligence », en formant son personnel, en apprenant à déterminer les situations à risques (les Etats dans lesquels les risques de corruption sont forts,  les personnalités à éviter, les entreprises black listées par la banque mondiale et autres organismes internationaux), bref toutes les situations et activités de nature à mettre en danger la réputation de l'entreprise et à mettre en péril son devenir.

Mieux vaut encore renoncer à une affaire juteuse plutôt que de prendre le risque de s'exposer sous les feux médiatiques et d'engendrer des poursuites judicaires. Organisation, contrôle interne, éthique seraient donc  les trois éléments clés du système de prévention de la corruption  dans les entreprises.

La France pointée du doigt : des poursuites en perspective

Aujourd'hui, plus que jamais, l'appréhension de la notion de corruption par les chefs d'entreprise est incontournable. En effet, l'OCDE pointe du doigt l'efficacité du dispositif judiciaire français qui ne poursuit pas assez les entreprises pour fait de corruption en France et à l'étranger. De plus, Transparency International  a mis en exergue, dans son classement des pays sorti récemment, le fait que la France a perdu deux points, se situant à la 26ème place en décembre 2014[2] ! Enfin, depuis la loi anti - corruption promulguée en France en 2013, les associations et sociétés civiles peuvent désormais engager des poursuites pour fait de corruption. Cette nouveauté législative engendre un risque fort pour l'entreprise et ses dirigeants qui devront redoubler de vigilance au niveau préventif. Il semblerait donc que l'horizon des chefs d'entreprises français risque lourdement de s'assombrir avec des perspectives sérieuses de risque de poursuite dans les mois à venir...

Marc-Elie Caspar, Directeur des Ventes LexisNexis Business Information Solutions, André Jacquemet, Associé du cabinet BPA

[1] rapport du 02 décembre 2014 de l'OCDE sur la corruption transnationale https://www.oecd.org/corruption/oecd-foreign-bribery-report-9789264226616-en.htm)

[2] https://www.transparency.org/cpi2014/results

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Commentaires 4
à écrit le 15/01/2015 à 21:33
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La corruption disparait via la destruction du secret. Sinon, elle existe.

à écrit le 14/01/2015 à 0:31
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@Labo et Patrickb : relisez l'article au lieu d'écrire n'importe quoi....

à écrit le 13/01/2015 à 16:55
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L'excuse me parait particulièrement illégitime : c'est interdit, mais je savais pas ! d'abord il y a l'éthique personnelle qui conduit a ne pas surfer en permanence à la limite des actions illégales ; sans connaitre précisément les règles, on peut se...

à écrit le 13/01/2015 à 12:45
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Encore un article qui prend les enfants du bon dieu pour des canards sauvages !!! Les entreprises ont des avocats et des comptables qui connaissent les lois locales diantre :-)

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