Loi Macron : l'occasion de renforcer l'efficacité des tribunaux de commerce

En réservant à certains tribunaux de commerce les dossiers les plus sensibles, la loi Macron renforce encore leur efficacité. par Bruno Dondero, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Paris 1) et par Gabriel Sonier, avocat associé, Gide Loyrette Nouel
Gabriel Sonier et Bruno Dondero

Plusieurs articles du projet de loi Macron sont consacrés à une question essentielle pour notre économie, qui est celle du traitement des difficultés des entreprises. Les difficultés qui touchent au départ une entreprise (perte d'un marché, départ d'un homme-clé, impayés, etc.) ont souvent des répercussions sur les partenaires de l'entreprise, et notamment ses fournisseurs et ses clients. Pour éviter cet effet domino, il est primordial que l'entreprise en situation difficile bénéficie en temps utile d'un traitement approprié. Notre Code de commerce prévoit à cet égard une batterie de procédures, allant de la désignation d'un mandataire chargé de négocier avec les créanciers aux mesures plus contraignantes de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire. Mais ce ne sont là que des outils, encore faut-il qu'ils soient maniés avec compétence. C'est à ce stade qu'interviennent les tribunaux de commerce.

 Une juridiction commerciale française originale

La juridiction commerciale française est originale, en ce qu'elle permet que les chefs d'entreprise soient jugés par leurs pairs, du moins en première instance. Ce système reposant sur des juges élus, et exerçant gratuitement leurs fonctions, présente différents avantages et notamment celui de faire intervenir des experts de la gestion d'entreprise. Un juge consulaire, qui a l'expérience de la gestion concrète d'une entreprise, est mieux à même qu'un magistrat de carrière de comprendre les difficultés d'une entreprise et de leur apporter les remèdes appropriés.

 Aux tribunaux de commerce les plus importants, les dossiers sensibles

Une disposition du projet de loi Macron envisage de donner une compétence exclusive à certains tribunaux de commerce pour traiter des dossiers les plus difficiles. Seraient concernées trois catégories de procédures : celles visant des entreprises dépassant des seuils à définir en termes de nombre de salariés ou de chiffre d'affaires ; celles visant des entreprises ayant des établissements dans le ressort de plusieurs juridictions en France et dépassant certains seuils ; les procédures ayant un caractère international, enfin.

En clair, les tribunaux de commerce les plus importants devraient se voir réserver les dossiers les plus sensibles. Bien évidemment, l'idée même d'une telle réorganisation est de nature à susciter les protestations des juridictions commerciales qui verront leur compétence réduite d'autant. Les juges concernés poseront la question : pourquoi un petit tribunal de commerce ne pourrait-il appréhender la sauvegarde ou le redressement de la plus grande entreprise locale, et devrait-il laisser une autre juridiction traiter ce dossier ? Il est même envisageable que fleuriront à nouveau les appels à la grève de la part des juges consulaires, en réaction à cette réorganisation de la carte judiciaire commerciale.

 Pour une réponse rapide aux entreprises

Il serait cependant dommage que le débat prenne cette tournure, pour deux raisons au moins. Tout d'abord, il faut voir les choses du point de vue des justiciables, c'est-à-dire des entreprises. Or, lorsqu'il s'agit de traiter les difficultés d'une entreprise, la réponse doit être apportée le plus rapidement possible, et elle doit être appropriée. Les grandes juridictions ont la possibilité de recourir à un vivier de juges consulaires plus fourni, plus diversifié et plus expérimenté du fait de la concentration des entreprises dans leur ressort. Cela permet d'affecter aux dossiers davantage de juges expérimentés, de gérer plus efficacement les situations de conflit d'intérêts, et finalement de statuer plus rapidement, ce qui est essentiel.

La proximité géographique n'est pas un argument ici. Pour le dire autrement, la justice commerciale n'est pas un bien de consommation courante. On ne va pas chercher son jugement de redressement judiciaire comme l'on irait chercher sa baguette de pain, et pour un chef d'entreprise, l'important est d'obtenir une bonne décision rapidement, quitte à devoir parcourir quelques kilomètres pour aller à l'audience.

 Constituer des pôles régionaux

Ensuite, il ne faut pas opposer grands et petits tribunaux de commerce, région parisienne et province, tribunaux de préfecture et tribunaux périphériques. La réorganisation de la carte judiciaire pourrait s'accompagner de la fluidification des parcours des juges. Prenons l'exemple de la région PACA : plutôt que de réserver aux tribunaux de Marseille et de Nice les dossiers les plus importants, en réduisant la compétence des tribunaux de Tarascon, Cannes, Grasse et Salon-de-Provence, pourquoi ne constituerait-t-on pas un ou plusieurs pôles communs par région, réunissant les juges les plus expérimentés de toutes ces juridictions, pour leur confier les dossiers les plus complexes ? Cette initiative pourrait d'ailleurs être étendue à d'autres aspects du droit économique, comme la concurrence déloyale.

 Renforcer encore l'efficacité de notre justice commerciale

La justice commerciale n'est pas une fin, mais un moyen, un moyen au service de notre économie. Peu importe quel est le tribunal de commerce qui statue, du moment qu'il rend ses décisions en temps utile, et qu'il travaille efficacement. Cette institution s'améliore constamment, en termes de formation, de transparence, de déontologie. Nous ne devons pas la saborder ou la saboter, mais bien renforcer encore l'efficacité de notre justice commerciale.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 29/01/2015 à 18:51
Signaler
Justement les choses ont changé cher Monsieur. Les syndics n'existent plus depuis 1985 pour éviter les conflits d'intérêt... Comme ceux qui ont été cites dans votre livre. Il faudrait arrêter de toujours croire que les mandataire et administrateur se...

à écrit le 22/01/2015 à 22:41
Signaler
L'efficacité, c'est bien. La compétence, c'est mieux. La compétence et la probité, c'est encore mieux. Si en plus ils sont efficaces, pourquoi pas.

à écrit le 22/01/2015 à 18:16
Signaler
Il faut surtout ne pas laisser les tribunaux à des profiteurs incompétents et nuisibles, sans formation, sans diplômes et sans les contrôler, éthiquement et donc fiscalement. La liquidation d'entreprise profite souvent aux amis, proches, relations......

le 22/01/2015 à 18:41
Signaler
exactement ! combien de tribunaux sont incompatibles avec les analyses des difficultés des entreprises, et après ce sont les syndics qui profitent des restes et travaillent pour eux ou partagent avec des copains, muselant le chef d 'entreprise qui e...

le 29/01/2015 à 17:45
Signaler
Checheu , votre connaissance du milieu de la justice commerciale et autant à la page que l'utilisation du terme syndic.... L'idée de créer des pôles régionaux est pertinente ! ce qui est certain c'est que tout centraliser sur Paris ne me semble pas...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.