Dette grecque : de la révolte à la recherche d'un compromis

Le constat fait par Syriza ne relève pas de l'utopie millénariste ou du discours révolutionnaire mais du simple bon sens, au vu de la situation économique de la Grèce. par Alexandre Kateb*

"C'est notre inquiétude, c'est notre impatience qui gâte tout; et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies." Cette citation du "Malade imaginaire" de Molière résume parfaitement bien l'état d'esprit du gouvernement grec d'Alexis Tsipras et de son ministre des finances au style de rocker, Yanis Varoufakis et dans le cas présent, elle n'est pas dénuée de vérité. La volonté du nouveau pouvoir de renégocier la dette grecque, et d'en alléger le fardeau correspond à une demande non seulement légitime, mais aussi fondée sur le plan économique.

Dans une union monétaire, la soutenabilité d'un Etat dépend du soutien des autres Etats

Dans une Union économique et monétaire, la soutenabilité de la dette d'un des États membres de l'Union ne peut être détachée de la garantie de soutien implicite ou explicite que les autres États de l'Union apportent à celui-ci - directement, ou via leur Banque centrale - en cas de problème. Le programme OMT annoncé par Mario Draghi et son engagement de faire "tout ce qui est nécessaire pour préserver l'euro" en septembre 2012 équivaut à une telle garantie implicite, tout autant sinon plus que l'architecture institutionnelle construite entre 2010 et 2013 par les États de la zone euro, autour du FESF et de son successeur le MES (Mécanisme Européen de Stabilité).


Stabiliser la dette en proportion du PIB

Ce qui importe ce n'est pas le niveau absolu de la dette, mais la stabilisation de cette dernière ramenée à la production nationale exprimée en prix courants, afin de ne pas consacrer des ressources toujours croissantes au service de cette dette. La stabilisation de la dette ramenée au PIB dépend de trois variables fondamentales : 1°) le coût de la dette - c'est à dire le taux d'intérêt moyen payé sur la dette existante, 2°) le solde budgétaire primaire - avant paiement des intérêts de la dette - rapporté au PIB, et 3°) la croissance du PIB nominal (c'est à dire la somme de la croissance du PIB "réel" et de l'inflation) qui permet, si cette dernière est forte, de relativiser progressivement le poids de la dette existante, ou qui se traduit au contraire, si le pays traverse une récession et/ou déflation, par une aggravation du poids de celle-ci. Bien entendu, plus le niveau de la dette rapportée au PIB est important, et plus le service de la dette devient lui-même important, et plus cela nécessite des efforts importants pour éviter de s'endetter davantage uniquement pour payer les intérêts sur la dette existante.


La Troïka a fait abstraction des effets de l'austérité

La grande erreur de la Troïka a été de vouloir tenter de stabiliser, et même de diminuer la dette grecque, sans prendre en compte la trajectoire explosive de cette dernière dans les conditions actuelles. En insistant de manière obsessionnelle sur la maîtrise des finances publiques - au moyen d'une hausse toujours plus forte de la pression fiscale, et d'une réduction toujours plus drastique des dépenses publiques, la Troika a fait abstraction de son impact sur la croissance du PIB nominal.
Cette stratégie s'est soldée, comme au bon vieux temps des plans d'ajustement structurel du FMI dans les pays en développement africains et latino-américains, ou comme au temps de la transition post-soviétique en Russie, par une contraction massive des services publics (suppression d'un emploi public sur cinq et fermeture "sèche" d'administrations et d'agences publiques), et par une dégradation abyssale des conditions de vie et de santé de la population grecque dans son ensemble.


Moins d'accès aux soins, les rémunérations des fonctionnaires comprimées...


Ainsi le gouvernement a mis la pression sur les hôpitaux publics et privés pour qu'ils compriment leurs budgets, ce qui a privé d'accès aux soins ceux qui en avaient le plus besoin. De la même manière, la compression des salaires et des retraites des fonctionnaires s'est traduite par une très forte contraction de la demande intérieure, à travers les effets en cascade que cela a généré sur les agents de l'économie informelle, dont la part est très élevée en Grèce (entre 25% et 30% du PIB).
Le remède de cheval imposé par la Troïka, s'il a permis d'afficher un léger surplus primaire en 2013-2014, ne s'est pas traduit par une stabilisation du niveau de la dette. Celle-ci, au contraire, a continué d'augmenter, atteignant 175% du PIB en 2014, en raison des emprunts supplémentaires contractés pour 1°) rembourser les intérêts sur la dette existante - ces intérêts représentent aujourd'hui 4,5% du PIB -, 2°) pour recapitaliser les banques grecques (à hauteur de 20 milliards d'euros en 2013), et enfin 3°) pour repayer les premières échéances sur la dette due au FMI, à la BCE et aux créanciers privés.


Un besoin d'argent frais

Si la Grèce ne peut pas aujourd'hui facilement sortir de la tutelle de la Troika - contrairement à l'Irlande et au Portugal, qui sont sortis de cette pesante tutelle respectivement fin 2013 et en mai 2014 -, c'est en grande partie parce qu'elle a à nouveau besoin d'argent frais pour faire face à toutes ses obligations. Le cycle infernal de l'endettement se poursuit, et le retour de la croissance en 2014 n'est qu'un effet d'optique qui résulte de la contraction des importations. Le chômage qui touche plus d'un quart de la population grecque n'est, quant à lui, pas prêt de se résorber.

Les hypothèses de la Troïka, qui tablaient sur un surplus budgétaire primaire de +4,5% sur la période 2015-2022 semblent complètement aberrantes. Aucun gouvernement au monde n'a réussi à accomplir un tel effort de stabilisation dans un environnement aussi déflationniste et contraire à la croissance que celui qui résulte des politiques d'austérité de la Troïka, avec pour conséquence une atrophie de la demande intérieure, alors même que la demande externe reste faible pour les produits et services grecs.


L'erreur de la commission européenne sur la compétitivité grecque

A ce propos, le mantra de la Commission Européenne sur le redressement nécessaire de la compétitivité de l'économie grecque - censé justifier les sacrifices consentis - achoppe sur la non pertinence d'un positionnement low cost sur lequel se trouvent déjà l'ensemble des pays de l'Est européen et la Turquie. Ce mantra ne prend pas en compte la spécificité du tissu économique grec, davantage porté par l'agriculture et les services (tourisme, fret maritime) que par l'industrie. Un changement de modèle économique ne peut se faire du jour au lendemain, et surtout pas en faisant abstraction de l'environnement international et des concurrents déjà présents sur les créneaux ciblés. C'est ce qu'on appelle en économie internationale "l'effet de composition", et sur lequel se fracassent bon nombre de stratégies nationales de promotion des exportations.


Un programme de privatisations aberrant

De même, le programme de privatisation de 20 milliards d'euros d'actifs publics relancé en 2012 est tout aussi aberrant et irréaliste. Seules quelques opérations modestes ont pu être menées à bien entre fin 2012 et aujourd'hui. Compte tenu de l'urgence imposée par la Troïka, ce programme de privatisations s'assimilait ni plus ni moins à un bradage du patrimoine national. Aucune distinction n'a été faite entre les actifs dont l'État peut se passer - parc immobilier de bureaux qui peuvent être vendus à des investisseurs privés et reloués ensuite aux services de l'État, comme cela a été fait, fort intelligemment, en Espagne - et des actifs qui relèvent de la souveraineté nationale - comme les ports et les aéroports - dont la privatisation est sujette à question, et qui doivent dans tous les cas faire l'objet de diagnostics stratégiques et financiers mûrement réfléchis, avant toute décision de privatisation. Sans parler des plages et autres extensions du domaine public (îles, réserves naturelles) qui devraient être incessibles, quelles que soient les difficultés actuelles du pays.


Une absence de hauteur de vue de la Troïka

Sur ce dossier comme sur d'autres, la Troïka a brillé par son absence de perspective et de hauteur de vue, se perdant dans les détails techniques auxquels l'inclinaient le caractère technocratique avec lequel la question grecque a été traitée depuis le début par la Commission Européenne. Il suffit de lire les milliers de pages de rapports et d'études consacrés par cette dernière à la Grèce depuis 2010 pour s'en convaincre. A sa décharge, la Commission n'a fait qu'appliquer les directives du Conseil européen, et notamment de l'Allemagne, mais elle l'a fait en y mettant un zèle particulier, et en adoptant un cadre conceptuel déconnecté de la réalité et du bons sens.


Le bon sens de Syriza

On comprend au vu de tous ces éléments que la situation était devenue intenable, et que le constat fait par Syriza ne relève pas de l'utopie millénariste ou du discours révolutionnaire mais du simple bon sens. A ce propos, le chantage évoqué par certains médias allemands sur le départ de la Grèce de la zone euro, si elle n'appliquait pas tout ce qu'on attendait d'elle, ne tient pas. La Troïka et les autorités allemandes le savent très bien. On ne peut forcer un pays membre de la zone euro à la quitter, même s'il fait défaut sur sa dette. Tout simplement parce que cette éventualité n'a jamais été envisagée au moment de la création de la zone euro.
Le plan annoncé par Yanis Varoufakis consiste donc à substituer à la dette grecque détenue par la BCE des obligations perpétuelles qui évitent d'avoir à effectuer un remboursement en capital. Ce qui revient en fait à allonger très significativement la maturité de cette dette - ou, en jargon plus technique la duration de cette dette. En outre, la dette grecque détenue de manière bilatérale par les autres Etats européens verrait quant à elle sa charge d'intérêt indexée à la croissance du PIB nominal, ce qui revient à se défaire de la logique adoptée par la Troika jusqu'à présent. Ces mesures d'ingénierie financière qui évitent d'agiter le chiffon rouge de l'effacement de la dette permettraient à la Grèce d'éviter de contracter un nouvel emprunt de 7 milliards d'euros auprès de ses créanciers publics et, dans le meilleur des cas, de mettre fin à une tutelle devenue trop pesante. Cela permettrait aussi de rétablir des marges de manœuvre fiscales - l'objectif d'un surplus primaire serait maintenu, mais ramené à 1% ou 1,5% du PIB. Ce « fiscal space» serait utilisé pour soutenir la demande, tout en allant de pair avec l'engagement d'un programme de réformes structurelles inscrites dans la durée.
Pour le meilleur ou pour le pire, la Grèce devra rester dans la zone euro, les conséquences d'un scénario de Grexit étant impensables d'un côté comme de l'autre. Cela implique donc pour ses créanciers publics de trouver un accord mutuellement satisfaisant pour les deux parties, quoi qu'en pense aujourd'hui Angela Merkel.


*Alexandre Kateb est économiste et consultant financier, spécialisé en analyse des risques financiers et des opportunités d'investissement transfrontalières. Pour d'autres analyses, voir son blog Nouveau monde, nouvelles puissances



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Commentaires 19
à écrit le 05/02/2015 à 14:35
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Je ne suis pas du tout d'accord avec votre interprétation des faits.. La troïka aurait "une absence de hauteur de vue", se serait "trompée" etc.. J'accuse, moi, ces gens de savoir ce qu'ils font _exactement_. La situation est la conséquence d...

à écrit le 03/02/2015 à 20:59
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A -25% de PIB, tout est normal? Au sud de l'Europe le PIB par tête se réduit. Le notre est constant depuis 2008, voyez les courbes en ligne, alors que la population augmente. Comment expliquer que la production fromagère se réduit de 0,9% sur 10 ans...

à écrit le 03/02/2015 à 20:42
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depuis 1830 la grece n'a jamais remboursé ses prets... elle ne paiera rien ou se financera a crédit qu'elle ne remboursera pas ... il est curieux que depuis que la troika s'en occupe les dettes ont augmentés ????? lorsqu'on est surendettée c'est cur...

le 04/02/2015 à 8:46
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Vous semblez oublier que l'Allemagne, avec accors de tous les autres pays, a fait défaut 3 fois sur sa dette au 20ème siècle : en 1914, en 1953 et dans les années 90...

à écrit le 03/02/2015 à 17:05
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Défaut sur toutes les dettes et envoyons les retraités allemands se faire voir chez les grecs

à écrit le 03/02/2015 à 15:53
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Espérons que quand cela sera notre tour ils ne se montreront pas intransigeant, car la France a déjà fait cadeau de plusieurs dettes, si bien qu'au final les français devront payer et pas sur qu'on aient les sous.

à écrit le 03/02/2015 à 15:03
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La Gréce doit se réformer : collecter normalement les impôts, lutter contre la fraude fiscale et son évasion, réaliser un cadastre, faire travailler ses fonctionnaires. Bref ce comporter comme un pays normal et non pas sous développé. Elle doit égale...

le 03/02/2015 à 16:06
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La France doit se réformer : collecter normalement les impôts, lutter contre la fraude fiscale et son évasion, réaliser un cadastre, faire travailler ses fonctionnaires. Bref ce comporter comme un pays normal et non pas sous développé. Elle doit égal...

le 03/02/2015 à 17:57
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Tout à fait d'accord, sauf pour le cadastre qui existe en France depuis des lustres, et pas en Gréce, rapport aux biens de l'église... Pour le reste,, c'est partout pareil avec plus ou moins de réussites...

à écrit le 03/02/2015 à 14:50
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La dette publique des USA représente environ 1 quart du PIB Mondial. Peut on réellement penser qu'ils la rembourseront un jour ? Alors... La Grèce...

à écrit le 03/02/2015 à 14:12
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On peut être d'accord ou pas avec cet article mais au moins est-il étayé et construit, ce qui nous change des habituelles superficialités bien pensantes des Bario et Dario de l'Essec.

à écrit le 03/02/2015 à 14:08
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Juste un commentaire ici mon cher Alexandre, il est reconnu que les grecs ne paient pas beaucoup de taxes et ceci a surement un impact dans la capacité du gouvernement de repayer et/ou de financer ses services et ses dettes......mais ce fait n'est nu...

à écrit le 03/02/2015 à 13:25
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Je suppose que tous les français non imposables sont d'accord pour effacer cette dette...

à écrit le 03/02/2015 à 12:58
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Ce n'est pas totalement faux, pour la simple raison que la revendication de la Grèce n'est qu'une copie de ce que lui ont enseigné les financiers compétents de Goldman Sachs, de Lazard, de l'ensemble des réseaux de traders et de dealers qui avec le m...

à écrit le 03/02/2015 à 12:53
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Excellent papier! Evidemment, ça dérange un peu la doxa actuelle.

à écrit le 03/02/2015 à 12:09
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Le problème n'est le montant de la dette c'est la manière d’indexer le remboursement de manière a renforcer la confiance!

à écrit le 03/02/2015 à 12:00
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C´est tres "Sciences Po" ce texte et tres loin de "Centrale". Je me demande comment ce brave y est entre?.. Tout cela mis a part, le probleme evoque , a savoir l´impossibilite legale de faire sortir un pays de l´Euro-zone, me semble tres faible comme...

à écrit le 03/02/2015 à 11:40
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Il est gentil, le Alexandre... Comme si, hormis l' Equateur, un pays pouvait se permettre de répudier des dettes d’extorsion..? Déjà, ce cas, de trop, est tu d'une manière générale. Manquerait plus que d'autres états pensent à leur peuple plutôt qu'a...

à écrit le 03/02/2015 à 11:39
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Un moratoire sera suffisant , et le suivi du redressement étudié par une commission bruxelloise avec comme objectif la reprise des remboursements .

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