Pour une politique industrielle de défense européenne

Construire une Europe de l'industrie de la Défense est plus que jamais essentiel. Si les gouvernements ne le font pas, les industriels s'y résoudront, au risque de voir passer au second plan les enjeux stratégiques. Par Noël Farnault, stagiaire de la promotion Maréchal Leclerc, Ecole de guerre

La croissance économique est proche de zéro en France mais également dans de nombreux pays européens. La plupart des économistes s'accordent à dire que les taux de croissance de 6 à 7 % connus avant les chocs pétroliers risquent de rester de simples souvenirs. Sans aller aussi loin, la France peine à atteindre une croissance à peine positive et les prévisions ne sont pas optimistes. Dans ce contexte économique morose, il convient d'analyser les impacts sur notre industrie de défense. Acteur essentiel de notre autonomie stratégique, notre industrie de défense, a permis la modernisation de nos armées. Dans des domaines aussi variés que la dissuasion, l'aviation de chasse jusqu'aux SNLE1, nos industriels sont à la pointe de la technologie. Cependant, cet aboutissement est le fruit d'une vision stratégique qui a abouti grâce à des efforts économiques conséquents et réguliers, efforts peu compatibles de la situation économique prévisible à moyen terme.


Pourquoi concrétiser la défense européenne ?

Que l'on soit pro-européen ou non, il semble admis que l'Europe, en tant que puissance économique est une réussite. Au vue de sa relative jeunesse, les initiatives lancées à six ont permis d'établir à 28, en un temps record, une zone de libre échange suivant des normes et des règlements communs. Néanmoins, en terme de défense, force est de constater que l'Europe ne pèse pas sur la scène internationale. Certes elle s'est dotée d'une politique de gestion de crise aussi bien militaire que civile, cependant, elle n'a pas de moyens dédiés et fait appel aux états membres pour constituer les forces d'intervention. Cette absence de moyens prive l'UE d'une autonomie stratégique primordiale.

La crise ukrainienne en est la preuve indéniable, aux portes de l'Europe, la stratégie de l'UE ne repose que sur les sanctions économiques. Le manque de leadership de l'UE est prégnant, tout comme il l'était lors des opérations en Lybie ou au Mali.

Trois raisons principales

Trois raisons principales imposent de concrétiser la défense européenne. Dans un premier temps, le recentrage de la politique américaine vers le pacifique, avec une nette volonté de voir l'Europe assurer sa défense et sa sécurité. Les États-Unis ne souhaitent plus être l'unique gendarme du monde, à l'UE maintenant de prendre en compte les crises européennes et de reprendre sa place de « gendarme de l'Afrique ».
Dans ce contexte, la dégradation du contexte sécuritaire du bassin sud méditerranéen, s'impose aux pays de l'UE. Elle met clairement en évidence les lacunes capacitaires et institutionnelles de l'UE, et souligne la nécessité de se doter d'une stratégie et de moyens dédiés.
Enfin, dans un contexte de crise économique, la baisse des budgets de défense de l'ensemble des pays de l'UE est notable et impose aux industriels de la défense, de se tourner vers l'exportation.


Les enjeux du développement d'une industrie de défense européenne

Les conflits en Libye mais également au Mali ou en Irak mettent en évidence les lacunes capacitaires de l'UE. Elles sont nombreuses, nombre insuffisant d'avions ravitailleurs, absence de moyens SEAD2, manque de drone, capacités ISR3insuffisantes, faible protection anti-missile...L'UE est incapable d'intervenir seule sans l'aide de l'OTAN ou des Etats Unis.
Il est illusoire pour un état d'acquérir et maintenir seul l'ensemble de ces capacités.

L'unique solution repose sur un effort financier concerté, une politique de recherche et de développement commune, et la volonté politique de développer des programmes industriels communs. Excepté les Etats-Unis, aucun pays ne dispose de l'ensemble des capacités nécessaires pour mener un conflit d'envergure. L'établissement d'un outil de défense européen est le gage d'une autonomie stratégique militaire qui permettrait à l'UE d'assumer ses responsabilités sur la scène internationale.

La survie d'un secteur industriel essentiel

Au delà des enjeux capacitaires et géopolitiques, il en va de la survie d'un secteur industriel essentiel. Comment croire que la France pourra seule construire le successeur du Rafale tout en améliorant son arsenal nucléaire et construire un successeur au « Charles De Gaulle »... Les programmes modernes, à l'image du programme F-35, atteignent fréquemment des coûts prohibitifs et respectent rarement les délais. Les risques sont nombreux, aussi bien financiers que technologiques. Dans un contexte économique morose, il semble compliqué pour un État seul d'assumer ces risques. Face à la domination de l'industrie américaine, combinée à la concurrence des pays émergents, ce sont des secteurs entiers de l'industrie de défense qui pourraient disparaître.

Conduire des programmes internationaux

Cependant, ceci n'est pas une fatalité. L'établissement d'une politique industrielle de défense n'est certes pas une tâche aisée mais doit être réalisable. Conduire des programmes internationaux est bien plus compliqué, mais la réussite de l'A 400 M ou du NH 90 démontre que nous pouvons les mener à terme avec succès. L'UE s'est dotée d'organismes pour mener les programmes européens (OCCAr4) et d'agences afin de faciliter les échanges et le partage de données, l'AED5 est devenue une réelle plateforme d'échange, de réflexion et de génération de projets.

Un marché européen gigantesque

 Les processus et les structures se mettent en place mais il manque une réelle volonté politique se traduisant par des actes fondateurs. A quand un porte avion européen, un avion de chasse européen, un char européen, un drone européen, une dissuasion européenne... Le marché est gigantesque, 28 pays, 3000 avions de chasse, 1500 avions de transport, 6500 chars et plus de 1,5 million de combattants à équiper. De plus, même dans cette période économique de crise, il reste de l'argent. Les pays européens ont investi 8 milliards d'euros dans le développement du programme F-35, soit 75% du coût total du développement du Rafale.

Les initiatives se développent, la signature par les ministres de la défense anglais et français d'un contrat sur le système aérien de combat du futur est encourageant, mais ne faut-il pas aller au-delà des alliances bilatérales ?

Avons-nous seulement le choix? Si les états de l'UE n'établissent pas une politique industrielle commune de défense, les industriels le feront. Le risque est alors de voir les enjeux stratégiques des États passer après les seuls enjeux économiques et de voir se creuser les lacunes capacitaires européennes. La crise ukrainienne doit faire évoluer notre approche des conflits sur le continent européen. Au vue de cette crise, la construction d'une Europe de la défense s'impose comme une évidence, mais sans politique industrielle européenne de défense, aucune autonomie stratégique ne sera vraiment acquise.

1 Sous-marin Nucléaire Lanceur d'Engins
2 Suppression of Enemy Air Defenses
3 Intelligence, Surveillance, and Reconnaissance
4 Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement
5 Agence Européenne de Défense

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Commentaires 6
à écrit le 11/02/2015 à 17:01
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1/ Prétendre que les efforts importants et réguliers consentis il y a maintenant plusieurs années ne seraient plus compatibles avec la situation économique actuelle relève d'une analyse erronée, puisque cet effort se mesure en pourcentage du PIB, don...

à écrit le 10/02/2015 à 21:00
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"Si les états de l'UE n'établissent pas une politique industrielle commune de défense, les industriels le feront" : pas du tout, car les industriels de défense ne peuvent autofinancer le développement d'un matériel de défense; seuls les Etats le font...

à écrit le 10/02/2015 à 19:49
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Mettre SNLE et Défense européenne dans le même paragraphe, c'est s'assurer de tuer le pooling & sharing

à écrit le 10/02/2015 à 15:22
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Par son principe même, l’Union européenne nous conduit tout droit à la théorie du « Choc des Civilisations » En réalité, ce raisonnement cynique et dur des européistes prouve en quoi l’Europe, loin de nous assurer la paix, est au contraire en train ...

à écrit le 10/02/2015 à 13:34
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C'est un pilier du vivre ensemble européen, comment exister sur la scène internationale sans armées mises sous un commandement unique européen dirigé par la CEE? On voit tous les jours, avec l'EI où la France s'engage pratiquement seule et à ses frai...

à écrit le 10/02/2015 à 13:01
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EXAT? QUI VEUT LA PAIX PREPARE LA GUERRE? ?LES CHINOIS EUX L ONT FAIT ILS ONT LARMEE LA PLUS MODERNE DU MONDE? L EUROPE DOIT AVOIR UNE DEFENCE EUROPEENE ?POUR AVOIR SONT MOT A DIRE DANS LE CONCERT DES NATIONS ???

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