Démocratie numérique ou poudre aux yeux ?

Associé au terme « démocratie », le « numérique » se pare de paillettes. Que cela ne nous en mette pas plein les yeux. Il est urgent de conduire des réflexions de fond sur la façon pour les pays démocratiques non tant de se servir que de contrôler le numérique, avant qu'il ne soit trop tard. par Isabelle Renard, avocat – ingénieur du cabinet Isabelle Renard IT Law

Ce que l'on appelle la « démocratie numérique » est un des derniers concepts à la mode. En réalité, nul ne sait exactement ce que recouvre l'association de ces deux mots qui, au départ, ont peu en commun.

La démocratie est, selon la célèbre formule d'Abraham Lincoln « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Dans sa version la plus couramment répandue, la démocratie est « représentative », ce qui signifie que le pouvoir est exercé par un petit nombre, élu ou désigné, selon des règles constitutionnelles propres à chaque pays.

Quant au vocable « numérique », ce n'est pas tant le « numérique » lui-même qu'il désigne - qui n'est autre qu'une modalité de traitement reposant sur des représentations binaires, mais bien plutôt la multitude de moyens de communication proposés par ce nouvel agora qu'est le web. Un excellent livre de Nicolas Vanbremmersch a décrit ce phénomène de grande ampleur et en perpétuelle mouvance, dont les politiques d'aujourd'hui ont parfaitement saisi les enjeux.

Plusieurs "démocraties numériques"

Il nous apparaît pourtant qu'il existe plusieurs « démocraties numériques ».

Pour ceux qui détiennent le pouvoir, la démocratie numérique est un moyen, contrôlé et mis à disposition par ce même pouvoir, de permettre aux citoyens de s'exprimer de façon plus directe. Un exemple en a été donné à Paris par son maire, Anne Hidalgo, au travers d'un « budget participatif » réservé aux initiatives des parisiens au travers d'un système de vote par internet. Jean Christophe Chanut a parfaitement résumé la limite de l'exercice dans un article intitulé : « Démocratie numérique, gadget ou révolution », publié dans La Tribune le 4 novembre 2014 : « Le monde politique a donc «flairé» les opportunités que lui offre cette envie d'agir et de compter des e-citoyens. Et le numérique est là pour lui faciliter la tâche. Il a astucieusement retourné à son profit la volonté du public de «participer». Quitte à lui lâcher quelques bribes de pouvoir, via par exemple les budgets participatifs». Le pouvoir reste le pouvoir, exercé selon les modalités constitutionnelles, légales et réglementaires qui l'organisent, et cette « démocratie numérique » est celle des démocrates-administrés numériques que nous appellerions « athéniens », à tout le moins participatifs, et très clairement inscrits dans un contrôle politique qui les canalise.

La démocratie numérique des rebelles utopistes

Un peu moins canalisés, mais tout aussi inscrits dans l'institution et « athéniens » sont ceux qui, de leur propre chef, utilisent ces moyens pour lancer un mouvement de protestation contre une initiative gouvernementale considérée comme inappropriée.

A côté de cela, il y a la démocratie numérique des rebelles utopistes, dont le collectif « Anonymous » est un excellent exemple. Il est composé d'internautes qui se regroupent de façon anonyme et au gré des causes défendues sur des revendications liées à leurs idéaux : libre circulation des œuvres, liberté d'expression, lutte contre la censure, etc. Ils utilisent pour se mobiliser les mêmes outils de communication que les démocrates athéniens, et ensuite ils agissent. Avec des moyens répréhensibles certes, de type piratage, déni de service, virus, mais en tous cas ils agissent. Et ils représentent, en ce sens, une véritable démocratie directe active « mondialiste », sans loi et sans frontières, Robins des bois modernes.

Suite à l'attaque meurtrière perpétrée contre le journal Charlie Hebdo, Anonymous a annoncé des représailles numériques à l'encontre des sites qui font l'apologie de ces comportements extrémistes. Ce faisant, ils ont attiré l'attention du public sur l'existence de nombreux comptes Twitter ou Facebook soutenant ouvertement les agresseurs.

Car il ne faut pas s'y tromper. Ce sont très exactement les mêmes outils et les mêmes armes de communication numérique : mails, twit, forum, réseaux sociaux, qui sont utilisés par les extrémistes.

 Quel contrôle?

Le mot « numérique » peut être ainsi associé à toute cause, que ce soit celle des démocrates « athéniens », celle des modernes « Robins de bois » ou celle des extrémistes de tout poil. C'est à ce stade de la réflexion que se pose la question fondamentale du contrôle. Comment contrôler les multiples éléments qui composent cet écosystème numérique : moyens de communication terrestres ou aériens, serveurs localisés un peu partout, applications diverses aujourd'hui sous contrôle majoritairement américain mais dont on connaît les limites lorsqu'il s'agit de faire droit à certaines revendications, notamment liées au respect de la vie privé ?

Malgré les tentatives de régulation, on sait que le contrôle de l'autorité judiciaire sur le web est quasi inopérant s'agissant d'activités délocalisées hors de l'espace européen. Celui des services de police connaît de réelles difficultés également, car les contenus illicites peuvent se déplacer à la vitesse de l'éclair vers des sites d'hébergement inatteignables, et il est très difficile d'agir sur les moyens d'accès, qui se recréent aussi vite qu'ils disparaissent.

Associé au terme « démocratie », le « numérique » se pare de paillettes. Que cela ne nous en mette pas plein les yeux. Il est urgent de conduire des réflexions de fond sur la façon pour les pays démocratiques non tant de se servir que de contrôler le numérique, avant qu'il ne soit trop tard.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 10/02/2015 à 16:12
Signaler
Pas d'accord ! Peu importe le pedigree de la dame, encore faut-il se donner la peine de lire et comprendre l'article. Elle éprouve de la sympathie pour "Anonymous" et semble même dénoncer la limite des applications sous contrôle américain (respect de...

le 17/02/2015 à 5:32
Signaler
je n'ai aucune sympathie pour anonymous, une bande d'écervelés facilement manipulables dès qu'on leur dit que c'est pour la "bonne cause", ils sont prets à faire les pires choses dégueulasses...

à écrit le 09/02/2015 à 20:20
Signaler
Certes, de la part d'une avocate "ingénieur" US, le discours est normal : il faut contrôler le pouvoir de la multitude. We are the best and nothing else. Et ça ose parler des Athéniens dans son argumentaire. Hypocrite un jour, hyp...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.