Abandonner l'euro : possible ? profitable ?

L'économie en campagne, avec le CEPII. Quels seraient les avantages de la solution préconisée par Marine Le Pen? Questions à Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du CEPII

Une sortie de l'euro est-elle possible en droit ?

En vertu d'un principe de droit international, la lex monetae, chaque État a la possibilité de créer, d'altérer et de remplacer sa monnaie. Le franc pourrait donc être réintroduit par l'État français. Certains contrats avec l'étranger resteraient libellés en euros, mais sinon salaires, prix, prêts immobiliers, PEA seraient convertis en francs. La question est de savoir à quel taux : un taux qui protège les créanciers ou les emprunteurs ? En 1990, au moment de la réunification allemande, le chancelier Kohl avait décrété des taux de conversion différents selon les contrats. Même décision en Argentine en 2002, lorsque le gouvernement avait décidé le retour au peso après 10 années de taux de change arrimé au dollar. Le taux incontestable au niveau juridique est le taux du jour de la sortie de l'euro. Mais celui qui éviterait que la valeur des emprunts ne grimpe est le taux de change du franc le jour de l'introduction de l'euro (1 euro = 6,56 francs). C'est le gouvernement qui fixe les règles. En Allemagne cela n'avait pas posé de problème majeur, en Argentine les procès ont parfois duré 10 ans...

Imaginons donc un retour au franc, notre monnaie subirait probablement une dépréciation. Quels en seraient les avantages ?

La compétitivité de nos entreprises exportatrices s'en trouverait initialement accrue, mais l'augmentation de leur facture d'importations limiterait les gains et l'inflation engendrée pourrait même les annuler, voire les inverser. Rappelons que l'essentiel de notre commerce se fait à l'intérieur de la zone euro, et pour cette raison, lorsqu'on cherche à concurrencer les produits allemands par exemple, sans recours possible à la dévaluation, c'est le coût du travail qui devient la variable d'ajustement. C'est bien pour cela que les réformes du marché du travail promues par la Commission européenne visent toutes à rendre le travail plus flexible, donc moins cher. Retrouver cette possibilité de dévaluation devrait donc réduire la pression sur les salaires.

Et du point de vue de la politique monétaire, retrouverait-on des marges de manœuvre ?

Pour retrouver une totale autonomie dans ce domaine, il faudrait non seulement sortir de l'euro mais pouvoir faire cavalier seul. Or, même avant l'euro, ce n'était pas le cas. Les pays européens ont signé des accords dès le début des années 1970 pour limiter les fluctuations de leurs monnaies. Pour respecter les limites de variation, la Banque de France était alors largement tributaire de la politique monétaire allemande. Ce manque d'autonomie fut même un motif important du passage à l'euro.

Et au niveau budgétaire serions-nous plus autonomes ?

Sortir de l'euro nous affranchirait des critères budgétaires issus du Traité de Maastricht : le Parlement français pourrait voter les budgets sans être soumis à la validation de la Commission européenne. Mais, là aussi, nous resterions largement tributaires de nos créanciers. Si vous prêtez de l'argent à un ami et qu'il continue à vous en demander alors qu'il ne vous a pas encore remboursé, vous hésiterez à lui en prêter davantage... c'est la même chose sur les marchés. Même en abandonnant ses engagements budgétaires européens, l'État français ne pourrait pas baisser les impôts et augmenter les dépenses à sa guise sans susciter la méfiance de ses créanciers. Autrement dit, sortir de l'euro ne nous libérerait pas de la pression des marchés financiers, au contraire.

Quels seraient les principaux inconvénients ?

La principale zone d'ombre porte sur la façon dont on rembourserait nos dettes.

La lex monetae s'appliquerait aux contrats régis par le droit français mais les dettes en droit étranger ne seraient pas converties en francs. Or avec un franc dévalué, les dettes restées en euros deviendraient plus chères à rembourser. L'OFCE a récemment estimé à 35% du PIB la dette des entreprises françaises qui resterait libellée en euros et celle des banques à 40% du PIB ! Le renchérissement en francs de cette dette pourrait avoir des effets très déstabilisants sur le tissu économique et financier français, dont il est difficile de prévoir toutes les conséquences.

Quant à la dette publique, elle est entièrement contractée en droit français, ce qui autoriserait donc l'État à la rembourser en francs. Mais gardons en tête que 60% de cette dette est détenue par des étrangers. Ce changement dans les termes du contrat pourrait être assimilé à un défaut, comme l'ont déjà suggéré les agences de notation, et rendrait beaucoup plus difficile le financement extérieur de l'État.

Y-a-t-il une alternative pour relancer le projet européen ?

Il faudrait commencer par restructurer les dettes publiques des pays de la zone euro où elles pèsent le plus (au moins celles de la Grèce, de l'Italie et du Portugal). Retarder les échéances de remboursement des dettes donnerait de l'air aux finances publiques. Ensuite, il sera difficile de stabiliser la zone sans mettre en place des mécanismes de transfert automatiques et permanents entre les États. C'est ce qui existe entre les États américains, pourquoi pas dans la zone euro ? L'Union budgétaire a longtemps été un sujet tabou en Europe mais, en janvier dernier, le Trésor français a fait un pas en recommandant un budget commun européen pour financer l'investissement public et rendre ces transferts possibles. Cela impliquerait de lever un impôt européen et d'accroître le pouvoir de contrôle du Parlement européen.

Bref, deux routes bien distinctes se présentent à nous : soit un retour au franc dont on espère un gain de compétitivité, mais avec des effets très déstabilisants sur la dette des entreprises et une autonomie très relative de la politique économique ; soit on conserve l'euro, mais alors il faut achever le projet et donner une dimension politique à la monnaie européenne. Ces deux options ont le mérite d'être claires.

Propos recueillis par Isabelle Bensidoun & Jézabel Couppey-Soubeyran

Pour aller plus loin

Aglietta M. et Leron N. [2017], La Double Démocratie, Une Europe politique pour la croissance.

Bénassy-Quéré A. [2016], « La vie sans l'euro », Entretiens de l'AFSE : Regards croisés sur l'avenir de la zone euro, novembre.

Delatte A.-L. [2016], « Quand les Américains enterrent l'euro », Chroniques économiques, Libération, 1er février.

Piketty T., Adelman J. et Delatte A.-L. [2016], « How to Save Europe From Itself? », Foreign Policy, avril.

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Commentaires 25
à écrit le 28/02/2017 à 18:42
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Une sortie de l'euro est-elle possible en droit ? L'article répond : « chaque État a la possibilité de créer, d'altérer et de remplacer sa monnaie », mais pour cela, il faut que cet Etat soit souverain. Donc il faut sortir de l'UE. Les Traités eur...

à écrit le 28/02/2017 à 18:29
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1- Quand on rembourse dans une des monnaies du G7 on ne fait pas défaut. 2- Si la France sort, l'Italie sort certainement le même week-end et il n'y a plus d'euro et rien à rembourser dans cette monnaie qui n'existe plus. 3- La France sera au même ...

à écrit le 28/02/2017 à 15:49
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Il est impossible de concilier longtemps économie faible et monnaie forte.Que les français le veuillent ou non,ils devront se remettre au travail et avoir une monnaie dévaluée.Pour l'instant seule la mutualisation européene cache la réalité

à écrit le 28/02/2017 à 14:18
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Cet article n'aborde pas un point évident mais essentiel : si un pays comme la France ou l'Italie sort de l'euro alors il n'y a plus d'euro et l'ensemble des pays reviennent aux monnaies nationales. Par ailleurs on a de nombreux exemples ACTUELS de p...

à écrit le 28/02/2017 à 13:35
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le franc vaudrait au mieux 50% de sa valeur actuelle, la dette passerait donc mecaniquement de 100 a 200%; c'est un pb a gerer quand on emprunte en divises ( et la les couvertures n'existent pas car personne n'est assez idiot pour faire un swap) pe...

le 28/02/2017 à 14:08
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"le franc vaudrait au mieux 50% de sa valeur actuelle, la dette passerait donc mécaniquement de 100 a 200%" ah bon ? et pourquoi ? La dette française (à la différence de la dette grecque par exemple) est à 95% en droit français et donc libellée en...

à écrit le 28/02/2017 à 12:16
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Sortir de l'euro, c'est de la science fiction totale. La valeur d'une monnaie c'est la confiance que l'on fait au pays qui l'imprime. Si la France sortait de l'Euro, aucun pays n'aurait confiance en elle. Fuite des capitaux, dévaluation, défaut ...

le 28/02/2017 à 13:21
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Comme le rappel Stephane, il y a quand même quelques pointures qui ne sont pas du tout de votre avis... Vous avez le nom d'un prix nobel d'économie qui défend l'euro pour voir ? Non parce que si vous cherchez bien vous en trouverez une petite vingt...

à écrit le 28/02/2017 à 11:25
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D'une façon ou d'une autre, la fin de l'euro est programmée, inévitable. De Joseph Stiglitz à Milton Friedman en passant par Maurice Allais, tous les prix nobel d'éco qui ont un peu planché sur la monnaie affirment que l'euro est une erreur. Pour i...

à écrit le 28/02/2017 à 11:17
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Lisez le livre de J. E. Stiglitz (prix NOBEL) : " L'EURO Comm@ent la monnaie unique menace l'avenir de l'Europe " (500 pages) . Cela donne à réfléchir.

à écrit le 28/02/2017 à 10:21
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Je suis persuadé que si la France sort de l'Euro, les répercussions sur le système seront telles que l'on ne peux plus raisonner de façon linéaire "toute- chose -égale- par- ailleurs" sur ce qui se passera. On assistera probablement à l'effondrement ...

à écrit le 28/02/2017 à 10:07
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Marine le Pen raconte des bobards, on ne peut pas quitter l' euro sans sortie de l' Union européene, et ça elle ne le veut absolument pas .. https://www.upr.fr/dossiers-de-fond/fn-propose-pas-reellement-faire-sortir-france-lunion-eu...

à écrit le 28/02/2017 à 10:03
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".. alors il faut achever le projet et donner une dimension politique à la monnaie européenne. Ces deux options ont le mérite d'être claires." Oui mais comme le déséquilibre actuel est une machine à cash pour l'Allemagne, on n'est pas près d'en so...

à écrit le 28/02/2017 à 10:01
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"il sera difficile de stabiliser la zone sans mettre en place des mécanismes de transfert automatiques et permanents entre les États". Ah Ah, mais quels pays vont accepter ce système ? Absoluement invendable aux electeurs du Nord comme l on...

à écrit le 28/02/2017 à 8:33
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cet article omet un point très important. si vous sortez de l'euro et que vous n'empruntez plus sur les marchés financiers mais directement à la banque de France, vous vous en foutez royalement que vos créanciers n'aient plus envie de vous prêter, pu...

le 28/02/2017 à 9:20
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cela s'appelle de la planche a billet. Et a part le venezuela et le zimbabwe, il n'y a plus bcp de pays pratiquant ceci. Generateur d'hyper inflation....

le 28/02/2017 à 9:48
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La France a emprunté à la Banque de France de 1800, année de sa création par Napoléon, à 1973, année de la loi Pompidou. De ce que je sais la France a été pendant ces 173 années bien différentes du Zimbabwe voire de la République de Weimar. Emprunter...

le 28/02/2017 à 9:52
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"Et a part le venezuela et le zimbabwe, il n'y a plus bcp de pays pratiquant ceci." Vous en avez pas marre de raconter n'importe quoi ? "Les Etats-Unis font marcher la planche à billets" http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/14/les-etat...

le 28/02/2017 à 10:22
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Une solution serait de "piquer" l'argent des français à concurrence de la somme détenue par les étrangers, émettre un papier style "emprunt russe" remboursable dans 100 ans (descendants), comme ça plus de dettes extérieures, tout le monde content. :-...

le 28/02/2017 à 10:49
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"Et a part le venezuela et le zimbabwe, il n'y a plus bcp de pays pratiquant ceci." Et le Japon, il fait comment depuis 25 ans ? D'ailleurs comment pourrait-il faire autrement qu'utiliser la planche à billet avec, actuellement, un ratio dette/pib d...

à écrit le 28/02/2017 à 7:41
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Mais non, ce ne serait pas davantage un défaut de passer de l'euro au franc que lorsqu'on est passé du franc à l'euro. Le bourrage de crâne continue. Quant aux banques et entreprises françaises qui s'endettent à 40% en d'autres monnaies qu'en euros, ...

le 28/02/2017 à 8:31
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Il y a d'autres solutions qui n'ont pas les inconvénients de celles ci dessus. La plus simple est celle adoptée par la Californie dans les années 90, les IOU (reconnaissance de dette). C'est difficile de prétendre que la Californie est un état banan...

le 28/02/2017 à 8:47
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le probleme n est pas tant de passer du franc a l euro que la devaluation massive du franc qui va suivre (car c est le but de la manoeuvre). Qui a envie de perdre 20 % sur son argent ? personne et ca va donc tanguer pas mal

le 28/02/2017 à 9:52
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Une dévaluation de 20% n'est pas synonyme d'une perte de 20%. Si vous avez 10000 francs après retour au Franc, et que le franc se dévalue de 20% par rapport aux autres monnaies, vous aurez toujours 10000 francs sur votre compte en banque. Vos achats ...

le 28/02/2017 à 9:55
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On ne perd 20% que si l'on achète a l'extérieur de la zone franc!

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