Apprendre de deux années de crise sanitaire

OPINION. Au moment où la sortie du tunnel se profile, à l'issue de deux ans de crise sanitaire, prendre le temps de revenir sur cette séquence éprouvante est une nécessité. Par Marie-Léandre Gomez, professeure associée à l'ESSEC ; Matthieu Langlois, ancien médecin-chef du RAID, Société française de médecine de catastrophe et Marie Kerveillant, ingénieure de recherche à l'ESSEC.
(Crédits : Handout .)

Quasiment toutes les organisations du pays ont été impactées : le système de santé d'abord, mais aussi les écoles, les universités, les administrations, et bien sûr les entreprises. Comment ces structures ont-elles su s'adapter à chaud ? Se réorganiser en fonction du contexte ? Qu'est-ce qui a marché ? Qu'est-ce qui mérite d'être conservé ou, au moins, gardé en mémoire ? Qu'est-ce qui a bloqué ? Que doit-on réformer ?

Pour organiser de manière efficace ces retours d'expérience, plusieurs sources d'inspiration existent.  Les services d'intervention en situation extrême, tels le RAID, améliorent leurs méthodes en continu, en organisant de tels retours d'expérience après chacune de leurs opérations. Dans les activités à risque (nucléaire, compagnies aériennes, ...), ces « RETEX » permettent aussi, après chaque incident, chaque accident, de tirer un bilan, pour renforcer la résilience des organisations.

Les méthodes ainsi développées, exigeantes et bien rodées, peuvent aider à rebondir dans le contexte actuel.

Les acteurs de terrain doivent d'abord être soigneusement entendus. Des réunions par petits groupes sont nécessaires pour rappeler collectivement le déroulement des faits - ce qui s'est passé, ce qu'on savait et ignorait à chaque étape. En lien avec cette chronologie, chacun doit pouvoir exprimer son ressenti.

Ceux qui pensent avoir donné beaucoup d'eux-mêmes, sans recevoir de reconnaissance, doivent pouvoir le dire, comme ceux qui se sont sentis abandonnés par leurs collègues ou leur hiérarchie. Des moments émotionnellement difficiles sont possibles, mais il ne s'agit pas de chercher d'éventuelles fautes individuelles. L'enjeu est de repérer les mauvais enchaînements, les problèmes tant organisationnels que techniques et humains, qu'on pourra éviter à l'avenir.

Pour que ces retours d'expérience soient fructueux, le principe de responsabilité partagée, de non-sanction doit être impérativement posé, dès le début de la démarche. Ceux qui dénoncent des dysfonctionnements, comme ceux qui admettent ne pas avoir agi au mieux et proposent des améliorations, doivent se sentir protégés par l'organisation. Des animateurs, bien formés, sont nécessaires pour modérer les discussions, empêcher qu'elles ne tournent au règlement de compte.

La confidentialité doit aussi être un maître mot. Les remontées du terrain seront systématiquement anonymisées avant d'être transmises à la hiérarchie et permettre des évolutions stratégiques. Il ne s'agit pas, en effet, de favoriser l'expression pour l'expression, même si l'exercice est utile pour rétablir la cohésion après la crise. Il s'agit aussi, et peut-être surtout, d'aboutir à des décisions.

Retour d'expérience

Les Britanniques, les Israéliens, les Norvégiens ont une culture du retour d'expérience plus ancrée que les Français. Il y a dans ces pays, l'habitude de ces temps de réflexion collective, pragmatique, pour faire le point après des situations de crise. L'exercice devient extrêmement délicat, en revanche, dans des organisations où le politique mène la danse, où la hiérarchie ne peut admettre avoir pu se tromper, où le management intermédiaire masque les failles, où on évite les sujets qui fâchent ...

Pour faire bouger les lignes, une impulsion donnée au plus haut niveau est aujourd'hui indispensable, au sommet des administrations comme des entreprises. Mais ce ne seront pas les dirigeants, happés par d'autres tâches, qui pourront piloter de tels retours d'expérience. Il faut chercher des « sages », à la légitimité reconnue, capables de recul, qui en prendront la responsabilité opérationnelle, avec des moyens matériels et humains dédiés.

Sans remise à plat, la somme des aigreurs accumulées peut nuire durablement au fonctionnement des collectifs. Lors des confinements, des membres de certaines organisations se sont comme évaporés. D'autres, au contraire, ont frôlé le burn-out pour faire face, à tout prix. Le télétravail improvisé a engendré de l'isolement, des pertes de repères.  Le dialogue quotidien, sur le lieu de travail, s'est rompu, engendrant des incompréhensions.

À l'inverse, des initiatives parfois inattendues ont permis de surmonter des situations critiques. Pendant la première vague de Covid, des hôpitaux ont ainsi revu leurs pratiques habituelles. Pour que le personnel le plus qualifié des réanimations s'occupe en priorité des patients les plus instables, ils ont envoyé les patients nécessitant une forme moins lourde dans d'autres établissements, publics et privés, en mobilisant des ambulances, également publiques et privées. Des coopérations public-privé quasi impossibles en période normale.

Pour ne pas laisser ces initiations fécondes sans suite, pour ne pas laisser les non-dits de la crise empoisonner notre avenir, rien ne peut remplacer l'organisation de retours d'expérience, source d'apprentissage et d'améliorations.

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Commentaire 1
à écrit le 22/02/2022 à 10:49
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La crise H1N1 il y a 10 ans a était complètement raté, celle ci a eu des trous dans la raquette médiatique, mais la prochaine sera irréprochable mais, on aura encore rien fait pour l'éviter!

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