Après la réforme des retraites, un horizon politique qui profite à l’extrême droite pour 2022 ?

IDEE. La radicalisation autour de la mobilisation pourrait profiter à Marine Le Pen lors des élections présidentielles de 2022. Par Michel Wieviorka, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH) – USPC
(Crédits : FRANCOIS LENOIR)

La mobilisation actuelle est étonnante. En son cœur, en effet, elle a trouvé une dynamique paradoxale qui risquait de s'étioler avec la décision de la CFDT, de l'UNSA et de la CFTC de participer aux manifestations du 17 décembre, appelées initialement par des organisations aux orientations très différentes, à commencer par la CGT, la FSU, et FO.

Ces dernières demandent le retrait pur et simple du projet gouvernemental de réforme des retraites, qui consiste à remplacer le système actuel basé pour chacun sur le nombre de trimestres de cotisation par un système à points, dit universel. Elles exigent le maintien des régimes particuliers - 42 actuellement - en tous cas pour la SNCF et RATP qui sont en première ligne dans la mobilisation.

Or, les organisations « réformistes » sont favorables au système à points, mais s'opposent au pouvoir au sujet des modalités de financement de ce système, et tout particulièrement à l'instauration d'un « âge pivot » placé à 64 ans.

Cette mobilisation contradictoire a lieu dans un climat social particulièrement chaud. Les professions de santé sont depuis plusieurs semaines vent debout, les étudiants demandent, entre autres revendications à pouvoir sortir de la précarité qui atteint nombre d'entre eux. Les chercheurs scientifiques sont en colère après les déclarations du président du CNRS, Antoine Petit, en appelant à des dispositifs inégalitaires et, selon ses mots, « darwiniens », et des établissements universitaires sont fermés pour éviter leur occupation par des contestataires. Les enseignants du secondaire et du primaire sont singulièrement inquiets pour leur retraite.

Diverses professions libérales, avocats par exemple, et d'autres professions, dans les transports routiers par exemple, sont également partie prenante de la contestation. Et les « gilets jaunes », qui durant de longs mois ont fait preuve d'animosité plus que d'intérêt vis-à-vis des syndicats sont, pour certains d'entre eux au moins, décidés à les appuyer.

Une évolution politique à droite pour le pouvoir ?

Le gouvernement a engagé une campagne massive d'explication pour tenter de démontrer le bien-fondé d'une réforme présentée comme juste, équitable et nécessaire, « historique » a dit le président de la République.

S'il se heurte à un front commun des organisations réformistes et de celles qui sont radicales, c'est un choix délibéré : en proposant une réforme qui conjugue deux registres, celui du changement de système et celui du financement, il savait ce qu'il faisait.

À partir de là, on entre, au-delà de ce que sera l'évolution du conflit proprement social, dans la politique.

Considérons tout d'abord le pouvoir. La discussion a été vive au sein de la majorité et du gouvernement, à propos, précisément du choix ou non d'un « âge pivot », c'est-à-dire d'une mesure constituant pour les syndicats réformistes, comme a dit Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, une « ligne rouge » qui ne devait pas être franchie - et qui finalement l'a été.

Si Édouard Philippe doit reculer, alors, ses jours sont comptés, et on voit bien comment le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, en opposition avec le premier ministre à propos de cette mesure, pourrait être chargé de présenter un nouveau gouvernement.

Si Édouard Philippe parvient à maintenir son projet, sans trop reculer, en trouvant un accord avec Laurent Berger, la grève pourrait s'essouffler et se durcir, et perdre le soutien d'une opinion lui devenant alors plus ou moins hostile. Il n'en aura pas fini pour autant avec les difficultés, alors que les députés La République en Marche auront en effet été divisés.

Quel que soit l'avenir, la séquence aura permis à Emmanuel Macron de se positionner sur le terrain de la droite. La posture d'Édouard Philippe fait penser à celle d'Alain Juppé en 1995, « droit dans ses bottes », avant qu'il ne se présente en homme d'ouverture et de négociation ; celle de Bruno Le Maire n'a pas davantage été marquée à gauche.

Bref, la réforme, quelle que soit la conclusion du conflit social actuel, aura contribué à miner la droite classique, à la vider de sa substance, à faire en sorte que parmi ses électeurs, les uns à terme rejoignent ou soutiennent le président, même s'ils ne sont pas stratégiquement d'accord entre eux, tandis que bien d'autres, finalement, n'auront d'autre choix que l'abstention ou le Rassemblement national.

Pas de recomposition de la gauche et la fin de l'exception française

L'affaire aurait fait courir de grands risques au pouvoir si elle avait permis à la gauche de commencer à se recomposer.

Mais même si Martine Aubry a fait entendre sur France Info le 13 décembre une voix claire et forte, authentiquement de gauche, rien n'indique une quelconque renaissance.

La France Insoumise sort plus requinquée que renforcée de cette séquence, et on a pu entendre en effet un Jean‑Luc Mélenchon très à son aise. Mais rien ne démontre qu'elle remonte nettement dans l'opinion, et il semble qu'elle se maintienne à un niveau bien inférieur à celui de 2017.

Ce qui débouche sur une conséquence importante : la fin de l'exception française, qui jusqu'ici se caractérisait par deux populismes, presque équilibrés, l'un à gauche, avec la France Insoumise, l'autre à droite, avec le Rassemblement national.

Le déclin du parti de Jean‑Luc Mélenchon ne peut que se solder par une évolution en faveur de celui de Marine Le Pen, qui peut en escompter quelques pourcentages de voix en plus, et davantage d'abstentionnistes lors d'une élection présidentielle où certains préféreront ne pas voter plutôt que de le faire pour Emmanuel Macron.

Ajoutons ici un point essentiel : dans plusieurs pays où le national-populisme prospère, et parvient aux affaires, il sait conjuguer une politique identitaire, (anti-migrants, anti-islam, etc.), et des mesures sociales qui lui apportent un soutien populaire.

Or les représentants de Marine Le Pen, très présents dans les médias ces derniers temps, ont souvent insisté sur le caractère légitime des revendications sociales qui émanaient des Gilets jaunes ou, aujourd'hui des syndicats, qui ne sont pourtant pas leur tasse de thé.

Affrontement Macron-Le Pen ?

Ce qui conforte l'hypothèse selon laquelle le calcul politique du Président consiste à favoriser tout ce qui conduit, pour dans deux ans, à un affrontement où il serait seul à pouvoir s'opposer à une candidature de Marine Le Pen.

Ici, il faut faire un pas de plus. 2022 ne sera pas un remake de 2017.

Le parti du Président n'a pas jusque-là su convaincre l'opinion, on le voit mal s'imposer d'ici deux ans. Les grèves et manifestations à propos de la réforme des retraites auront laissé des traces, nécessairement négatives pour le pouvoir, qui par ailleurs déçoit ceux qui pour qui l'environnement et le changement climatique sont des enjeux prioritaires, une urgence.

Les municipales, entre temps, auront été l'occasion de débauchages sans contenu d'élus locaux ; la préparation de l'élection à Paris, avec Cédric Villani et Benjamin Griveaux, aura été la meilleure façon de donner toutes ses chances à Anne Hidalgo.

Tout ceci n'aura ajouté aucune voix à Emmanuel Macron, et lui en aura fait perdre, notamment au profit de l'abstention.

Finalement, un certain nombre de ceux qui ont voté pour lui en 2017 auront été tellement déçus, voire écœurés, qu'ils ne tiendront plus le raisonnement qui en fait sinon le meilleur candidat face à Marine Le Pen, du moins le moins pire : ceux-là se diront qu'il existe des institutions, une justice, un droit ; que Marine Le Pen et son parti ne pourront pas faire tout ce qu'ils voudront, et qu'après une période limitée dans le temps, en tout cas à l'échelle de l'histoire, à l'issue de ce qui aura été une crise salutaire, le bon sens et les valeurs humanistes et démocratiques reprendront leurs droits.

Ils déchanteront ensuite - mais trop tard.

Il faut donc, si cette analyse est fondée, regretter que le pouvoir semble vouloir se préparer à rejouer un scénario de type « 2017 », alors que ce qui se prépare pourrait plutôt annoncer « 1984 », un millésime qui nous rappelle que le parti qui était alors celui de Jean‑Marie Le Pen avait réalisé un score impressionnant à une élection nationale, lors du scrutin européen. Un millésime auquel le célèbre roman de George Orwell a aussi donné, si on peut dire, quelques lettres de noblesse.

The Conversation _________

Par Michel WieviorkaSociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH) - USPC

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Commentaires 34
à écrit le 02/01/2020 à 12:19
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Le RN ne peut que jouer l'opposition utile de Macron du fait de sont éternel endettement bancaire et d'un nombre d'adhérent pas si significatif que cela!

à écrit le 26/12/2019 à 9:49
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Municipales : R.N ANALYSE Le parti de Marine Le Pen se vide de sa substance. Depuis 2014 le nombre de ses adhérents fond comme neige au soleil de 50000 à 20000 adhérents aujourd'hui . De fait pour les prochaines municipales Le R.N navigue entre ren...

le 26/12/2019 à 18:31
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mais ce n'est pas rassurant. Macron n'était qu'un petit intriguant issu de la banque d'affaire, porté par une coterie de gens très friqués qui se sont offerts la présidence de la république en espérant obtenir des avantages inouis...(et ils n'ont...

à écrit le 25/12/2019 à 18:26
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Pas étonnant, si le RN réussit à se passer de sa leader et à mettre une personnalité plus neuve et charismatique, toutes les chances sont de son côté, à condition de ne rien dire de la conjoncture actuelle, les oppositions à la réforme des retraites ...

à écrit le 25/12/2019 à 9:08
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les gens ne votent pas lepen a cause des retraites, a de rares excetions pres ils votent lepen a cause de la misere massive que la gauche francaise importe avec cynisme pour avoir de nouveaux electeurs dependants de l'etat providence effectivement,...

à écrit le 24/12/2019 à 19:55
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Depuis 2002, Le Pen est toujours l'adversaire revé : 82.8% 2002, 63% 2017, 53% 2022 Elle sera élue en 2027, ou.....peut-etre 2022

à écrit le 24/12/2019 à 18:58
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Le futur président ne peut être que le père noël. Il fera pleuvoir les cadeaux. Plus besoin de se lever le matin pour gagner sa croûte, car il fera pleuvoir des allocations de toutes sortes.Problème des retraites réglé immédiatement car plus besoin d...

le 24/12/2019 à 21:46
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On ne lui demande pas de nous donner des ronds, on demande seulement à gopeman de ne plus nous les piquer !

à écrit le 24/12/2019 à 18:17
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Le sujet numéro un, c'est évidemment l'immigration. Les français en ont plus qu'assez de vivre dans un moulin. Dans le monde, des continents entier sont la proie de la surnatalité, et déversent leur trop plein chez nous. Cela doit cesser.

le 24/12/2019 à 21:48
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Alors quittez l' UE puisqu' elle est seule à avoir la main sur le dossier immigration ....

à écrit le 24/12/2019 à 12:57
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Nous mettons à travers nos activités associatives une stratégie électorale pour mettre le FN aux commandes du pays Marre des brimades des élus locaux

à écrit le 24/12/2019 à 12:44
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Je ne voterai jamais pour une personne telle madame lepen car mes convictions européennes sont à des années lumières de celles du parti frontiste. Cependant, m Macron sera battu en 2022 car le ras le bol fiscal initié par les gilets jaunes, le Haro p...

à écrit le 24/12/2019 à 12:19
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Le vrai problème, c’est que la France, comme l’Italie et la Grèce, n’a fait aucune réforme avant la crise de 2008. La droite a raté son rendez-vous avec l'Histoire. Entre la fin 1993 et la fin 2007, la droite n’a rien fait en espérant le retour...

le 02/01/2020 à 12:41
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Le vrai problème contrairement a ce" que vous dites c'est qu'il y a eu réformes avant 2008, ces pays sont entrés dans l'euro , on signé, sans aval des populations, le "Traités de Lisbonne" et ne sont donc plus souveraine dans leurs décisions! Donc......

à écrit le 24/12/2019 à 11:53
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Enfin une prise de conscience du journal concernant celle qui inéluctablement va succéder à Macron.

le 26/12/2019 à 17:58
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Autant donner le pouvoir à la CGT. Bonnet blanc et blanc bonnet.

à écrit le 24/12/2019 à 11:53
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madame Le Pen de droite, vous voulez rigoler ou quoi, elle est socialiste : elle ne parle que des ponctionnaires !!!

à écrit le 24/12/2019 à 11:25
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"Ils déchanteront ensuite, mais trop tard" : c'est exactement ce qui se passe avec Micron et LREM. Les Français ont, en 2017, cru détenir "le must" "nec et ultra" avec Micron et ils sont en train de s'en mordre les doigts jusqu'au sang ! L'UMPS il y...

à écrit le 24/12/2019 à 11:07
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Scénario idéal pour Macron:le gouvernement par en vacances en éspérant que la grève durcisse.Le chaos engendré, fait monter le front.Macron reste le seul candidat crédible pour résister au fascisme.2022 est déja gagné!

à écrit le 24/12/2019 à 10:58
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C'est aussi la confirmation qu'un très grand nombre de promesses du programme du RN, étant contraires aux traités et au fonctionnement même de l'UE, seraient enterrées par Mme Le Pen si celle-ci était élue, sous les contraintes politiques et juridiqu...

à écrit le 24/12/2019 à 10:49
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Cet article nous éclaire sur une évidence que les gens sensés et éclairés ont déjà constaté depuis le début de ce quinquennat, à savoir que le macronisme et le RN sont les deux faces d'une même pièce...

à écrit le 24/12/2019 à 10:35
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La grande inquiétude , son angoisse même pour MLP c'est de se voir débordé sur sa droite par un populiste …. et elle vient déjà de sentir le vent du boulet ces dernières semaines avec Eric Zemmour !!!

à écrit le 24/12/2019 à 9:59
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on ne peut pas revoter macron trop de dégâts on a pratiquement perdu tous les acquis que ma germination avait obtenu et maintenant cerise sur le gâteau le livret vas baisser à 0,5 du jamais vue vivement 2022 qu on se débarrasse de macron c'est la plu...

à écrit le 24/12/2019 à 7:46
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RN-LR-LREM-PS-LFI du pareil au même maintenant car de tous les partis politiques, il n'y en a en fait que 2 possibles : europhiles ou europhobes. Les retraites ? C'est l'UE. La Santé ? C'est l'UE. L'austérité ? C'est l'UE. Les privatisations ? C'es...

le 24/12/2019 à 9:56
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100% d'accord !

le 24/12/2019 à 10:07
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Voilà une position bien dogmatique et très étriquée, qui ressemble beaucoup à celle de ce cher Asselineau et de son parti l'UPR. Le seul crédo de ces gens là est que nos problèmes français ont pour seule origine l'Europe.

le 24/12/2019 à 10:31
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Excellent, médaille Biglouton ...!

le 24/12/2019 à 10:33
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@Alan8544 "dogmatique et très étriquée" On apprend que le lundi 9 décembre la Commission européenne (27 commissaire de droite sur...27 !) est à bloc derrière la réforme des retraites. C'est ce que martèle sur Europe 1 le commissaire au Marché i...

le 25/12/2019 à 17:16
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Asselineau ou pas, ça n'est pas le sujet. En revanche, expliquez en quoi j'ai tort ou non car pour le coup, tous ces sujets sont dictés par Bruxelles...

à écrit le 23/12/2019 à 21:40
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MLP est assez douée pour montrer au moment où il faut son incompétence et finalement même si le Président n'est pas toujours très bon, il fait au moins ce qu'il avait dit ce qu'il ferait dans son programme et je ne pense pas qu'il aura bcp de problèm...

le 24/12/2019 à 19:00
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Pas très lourd l’argumentaire: elle est plus nul que ce gars qui n’est pas bon. Donc elle ne sera pas elu. Si elle est élu quand je me barre? Avec des soutiens pareils Macron doit dormir sur ses deux oreilles... Bon, on la fait simple: Macron n’es...

à écrit le 23/12/2019 à 15:49
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Mais à y réfléchir, les français penseront peut-être aux gains de pouvoir d'achat et aux sérieux du gouvernement pendant ce quinquennat plutôt qu'aux bêtises, incohérences, amateurisme de Le Pen, sans oublier toutes ses casseroles et celles du FN (dé...

le 24/12/2019 à 19:07
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Un macroniste qui se plains de détournement de fonds, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Le conflit d’intérêt est l’essence de LREM. Le détournement de fond est sa façon d’être. Non, non, non... C’est documenté, tracé, pas condamné, mais ça, ...

à écrit le 23/12/2019 à 14:56
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Non vous autres bons soldats médiatiques à la botte des actionnaires milliardaires directs ou indirects vous nous imposez l'extrême droite comme seule alternative à macron parce que 100% compatible avec l'oligarchie française et européenne, l'histoir...

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