Attentat de Nice : confusion entre État et collectivité

Plus d'une semaine après l'attentat de Nice, la polémique autour de la gestion de la sécurité de l'événement a succédé à la désunion politique. Par Driss Aït Youssef, Docteur en droit

Le Ministère de l'Intérieur et la Mairie de Nice rejettent toute responsabilité dans la faille du dispositif de sécurité. Récemment encore, Bernard Cazeneuve annonçait le dépôt d'une plainte en diffamation contre une fonctionnaire de la commune. Malgré les apparences, cet imbroglio est plus juridique que politique. Pour comprendre cette situation, il parait nécessaire de décrypter la notion de compétence régalienne de sécurité par l'État, avant de transposer ces concepts à la réalité et à la lumière des normes récentes.

Historiquement, la sécurité a été établie comme un consensus entre le sujet et son souverain. Thomas Hobbes (1588-1679) théorisait sur la nécessité d'aliéner ses propres libertés pour obtenir d'une autorité supérieure sa sécurité. Cet échange revenait à accepter de l'État qu'il soit le seul détenteur de la force. C'est également la conception de Max Weber (1864-1920) pour qui l'État doit disposer du monopole de la violence légitime, mais c'est Jean Bodin (1530-1596) qui illustre le mieux la notion de souveraineté de l'État, comprise comme le pouvoir de faire la loi et de l'imposer sans le consentement des sujets.

Ces pensées ont brillamment traversé les siècles, malgré plusieurs atténuations récentes qui sont venues ainsi remettre en cause la philosophie du droit en matière de sécurité, reflet notamment d'un flou juridique persistant entre l'État et les collectivités.

Quelle est la responsabilité de l'État ?

L'article 1er de la loi n°95-73 du 21 janvier 1995 dispose que « l'État a le devoir d'assurer la sécurité (...). Il associe à la politique de sécurité, dans le cadre de dispositifs locaux dont la structure est définie par décret, les collectivités territoriales... ». Cette disposition fait de la sécurité un droit fondamental que l'État est chargé d'assurer en toutes circonstances.

Ensuite, du coté des collectivités, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance précise que « le maire anime, sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en œuvre ».

D'autres dispositions organisent l'action du maire, comme l'article L.2212-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui dispose que ce dernier est chargé de la police municipale et de l'exécution des actes administratifs de l'État. Par ailleurs, l'article L.2212-2 du CGCT confie à la police municipale les missions d'assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques.

Ces deux acteurs, puissance publique et collectivités territoriales, disposent donc de prérogatives similaires pour assurer la sécurité sur le territoire de la commune. Toutefois, l'article 2215-2 du CGCT dispose que « (...) le représentant de l'État dans le département associe le maire à la définition des actions de lutte contre l'insécurité et l'informe régulièrement des résultats obtenus. Les actions de prévention de la délinquance conduites par les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne doivent pas être incompatibles avec le plan de prévention de la délinquance arrêté par le représentant de l'État dans le département (...) ». En d'autres termes, le préfet n'est pas tenu d'associer le maire à la conceptualisation de la politique publique de sécurité.

Un transfert de pouvoir au détriment du maire

La frontière semble, par conséquent, tenue entre les missions de l'État et celles des collectivités en matière de sécurité. En effet, il est permis de considérer de manière parfaitement simpliste que le maire n'intervient qu'en matière de police administrative, c'est à dire à titre préventif, laissant ainsi le soin à l'État de réprimer avec le concours de la justice les infractions.

Toutefois, cette théorie semble ne pas résister à un examen attentif de l'emploi des policiers municipaux. En effet, la LOPPSI (loi d'organisation de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) du 14 mars 2011 a renforcé les compétences des policiers municipaux notamment en matière de dépistage d'alcoolémie, de contrôle d'identité ou encore de fouilles lors d'évènements regroupant plus de 300 personnes. Ce transfert de pouvoir s'est opéré au détriment du maire, puisque l'agent de police municipale, rémunéré par la collectivité, exerce ces nouvelles missions sous le contrôle exclusif des officiers de police judicaire. Par ailleurs, les communes sont incitées, voire dans certains cas obligées, de financer des dispositifs de vidéo protection pour le compte de l'État.

Par conséquent et comme le rappelle très justement l'universitaire Isabelle Muller-Quoy, l'État a transformé « la coproduction de sécurité fondée sur la base du volontariat en compétences obligatoires ». Autrement dit, l'État met à contribution financièrement les collectivités pour assurer ses propres missions de sécurité publique. L'Euro 2016 en est une parfaite illustration : ce sont, essentiellement, les communes qui ont assuré le financement de la sécurisation des fans zones alors qu'il s'agît normalement d'une compétence de l'État. On voit bien dans ces conditions le décalage entre le principe édicté plus haut et la réalité.

La gestion de crise de l'attentat de Nice n'est jamais que le reflet d'une désorganisation juridique entre les différents acteurs. D'ailleurs, les accusations de la responsable du centre de supervision urbain de Nice contre le Ministère de l'Intérieur, qui lui aurait ordonné de modifier son rapport sur la présence de la police nationale au moment de l'attentat, traduit un peu plus les relations ambiguës entre ces institutions.

La situation devrait inciter courageusement le gouvernement à mettre plus de clarté dans la répartition des compétences entre l'État et les collectivités. En attendant, le Parlement a fait de la prolongation de l'état d'urgence sa priorité malgré ses résultats très médiocres. Espérons que celle-ci ne sera pas la seule réponse de l'attentat de Nice.

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Commentaires 3
à écrit le 28/07/2016 à 10:14
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Merci beaucoup pour cet article de qualité qui sort du lot concernant l'analyse de cette polémique. Surtout que si Estrosi est particulièrement hystérique en ce moment c'est pour qu'on ne voit pas qu'il y a quelques années il se vantait d'avoir l...

à écrit le 28/07/2016 à 9:46
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Le problème n'existerait pas s'il n'y avait qu'une police: Une police Nationale. Les polices municipales ne sont finalement que des polices privées au service des communes qui peuvent se les payer, ce qui signifie qu'elles sont aux ordres des élus ...

à écrit le 28/07/2016 à 9:08
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Clarifier les compétences respectives de l’État et des collectivités territoriales en matière de sécurité publique? Certes! Il ne serait que temps! Il n'en demeure pas moins que l'ensemble des acteurs concernés par la sécurité - Etat, Préfecture, Mai...

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