Berlin en croisade contre l'atome, quels risques pour la France  ?

OPINION. Les citoyens français sont-ils prêts à renoncer à l'indépendance énergétique permise par le nucléaire pour accentuer notre dépendance vis-vis de la Russie, de l'Allemagne ou d'autres puissances étrangères ? Par Margot de Kerpoisson, chercheuse en relations internationales à l’Ecole de guerre économique (EGE) (*).
La mine de charbon United Schleenhain, l'une des plus importantes d'Europe, est située en Saxe.
La mine de charbon United Schleenhain, l'une des plus importantes d'Europe, est située en Saxe. (Crédits : Reuters)

L'Allemagne souhaite exclure le nucléaire de la taxonomie européenne, l'outil de financement visant à diriger les investissements publics et privés vers des activités vertes et durables. A contrario, Berlin tente de pousser à l'inclusion du gaz naturel dans la finance verte de l'UE, bien que celui-ci émet 40 fois plus de CO2 que le nucléaire selon le GIEC. Quelles sont les motivations derrière ce choix et surtout quels sont les risques pour la France ?

L'Allemagne a fait le pari des énergies renouvelables (EnR) dans le cadre de sa stratégie énergétique. Elle a également fait le choix de renoncer au nucléaire, source d'énergie pourtant pilotable, compétitive et bas carbone.

Système énergétique allemand défaillant

Plusieurs raisons expliquent la tentative allemande d'affaiblir le nucléaire français au sein de l'UE. Le système énergétique allemand étant défaillant, l'exclusion du nucléaire de la taxonomie européenne permettrait à Berlin de continuer à capter plus de subventions tout en en écartant le nucléaire français. L'Allemagne ne nous demanderait-elle pas de financer exclusivement sa transition énergétique ?

Par ailleurs, les EnR comme l'éolien ou le solaire sont par nature intermittentes : elles ne sont pas capables d'assurer une production constante et stable en électricité. Pour éviter tout risque de black-out (panne d'électricité massive), le modèle allemand nécessite une compensation avec une énergie pilotable comme le gaz. C'est la raison pour laquelle l'Allemagne pousse à l'inclusion de celui-ci dans l'outil de financement européen.

Gaz russe

Dans un troisième temps, l'arrivée du North Stream II place l'Allemagne au cœur du processus de redistribution du gaz russe. C'est un avantage à la fois économique - car générateur de nombreux revenus - et politique, puisque l'Allemagne devient un acteur central de ce nouveau système énergétique.

Renoncer au nucléaire, c'est abattre le pilier de notre souveraineté énergétique

De Gaulle voyait dans le nucléaire civil, le bastion de notre indépendance et de notre souveraineté énergétique. Une conclusion solide car le nucléaire présente deux avantages de taille. D'abord, l'approvisionnement en uranium étant suffisamment diversifié, le risque de dépendance vis-à-vis d'une puissance étrangère est diminué. Et puisque l'uranium ne représente que 5% des coûts totaux de production de l'électricité nucléaire, il nous préserve des différents aléas liés aux marchés mondiaux de l'énergie. Un intérêt non négligeable quand on constate l'explosion du prix du gaz (+500%) sur cette année de reprise économique ! D'autant que les différentes innovations dans la filière, comme les réacteurs de 4e génération, permettront de réduire drastiquement la demande en uranium en optimisant les ressources par un multi-recyclage avancé du combustible.

Risques de dépendances accrus

Les énergies renouvelables et le gaz seraient-ils en capacité d'assurer un tel niveau d'indépendance ? La Chine est le premier exportateur d'éoliennes et de panneaux solaires. Si ces derniers présentent l'avantage d'être décarbonés, ils ne bénéficient ni à notre indépendance énergétique, économique ou stratégique. Bien au contraire, renoncer au nucléaire au profit d'un modèle fondé uniquement sur les énergies renouvelables associées au gaz entraînerait des risques de dépendance accrus. L'Europe est aujourd'hui tributaire à hauteur de 40% du gaz russe. Une dépendance déjà problématique, qui risquerait encore de s'accentuer avec la fermeture des centrales nucléaires en Allemagne, en Belgique et en Suisse.

Notre souveraineté énergétique doit être au cœur de la campagne présidentielle de 2022. Les différentes options proposées doivent être clairement explicitées. Nous devons être conscients que dans le cas où nous renoncerions au nucléaire, alors nous devrions nous replier sur le gaz ou le charbon car les EnR seules ne pourraient répondre à nos besoins énergétiques. L'Allemagne, qui a fait le choix de fermer ses centrales nucléaires, a dû faire marcher à plein régime son industrie du charbon pour lutter contre les défaillances de son système énergétique.

Selon l'Office fédéral allemand de la statistique Destatis, entre 2020 et 2021, la production électrique des éoliennes a baissé de 21%. Quelles en ont été les conséquences ? L'Allemagne a tout simplement rouvert ses centrales à charbon, source d'électricité 68 fois plus émettrice de CO2 que le nucléaire. Le charbon est ainsi devenu la première source d'électricité en Allemagne au premier semestre 2021. Une décision lourde de conséquences en termes d'émissions de gaz à effet de serre. Alors sommes-nous vraiment disposés à rouvrir nos vieilles centrales à charbon ? Saurons- nous tirer à temps les leçons du cas allemand ?

Tirer à temps les leçons du cas allemand

Renoncer à nos centrales nucléaires (ou ne pas investir dans la filière) c'est également contribuer à accroître durablement l'instabilité de notre réseau, avec des conséquences directes sur notre quotidien. Selon les scénarii de RTE, la consommation d'électricité devrait augmenter d'ici 2050. L'électrification massive des usages dans de nombreux secteurs comme l'industrie ou le transport entraînera une hausse de la demande électrique. Or, si nous faisions le choix du 100% renouvelable comme le préconisent certains candidats à la présidentielle, comment pourrions-nous faire fonctionner nos industries en cas d'intermittence ? Qu'en serait-il de nos voitures électriques ? de nos transports en commun ? Serions-nous prêts à renoncer au chauffage en cas de grand froid ? A nos moyens de communications (smartphone, ordinateurs) ? Finalement, serions-nous prêts à réduire notre consommation d'énergie en cas de risque de panne d'électricité massive ? En ce sens, il est important de rappeler qu'adhérer à de telles propositions politiques, c'est accepter le modèle de décroissance qui en découle.

Pour atteindre notre objectif carbone, consommer différemment et mieux est sans aucun doute la meilleure solution. Mais cela nécessite un véritable consensus et surtout de la transparence : en tant que citoyens français, européens, nous devons être avertis des conséquences de chacune des options proposées. Le choix doit être avant tout démocratique, et pour cela il faut qu'il se fasse en toute connaissance de cause.

Le nucléaire : condition sine qua non de notre réindustrialisation :

Pas de doute, l'heure est à la réindustrialisation. Mais comment pourrions-nous inciter nos industriels à passer le cap du Made in France ? Compte tenu de la lourdeur et de la longueur des cycles d'investissements, les industriels ont besoin de stabilité de visibilité : d'une véritable politique industrielle - grande absente de nos débats depuis trop longtemps. Or, toute réindustrialisation nécessite en premier lieu une politique cohérente en matière énergétique. Et pour cela, le nucléaire, filière d'excellence française, reste à l'heure actuelle notre meilleure alliée. Energie pilotable, compétitive, elle est surtout bas carbone.

Dans une logique industrielle globale, un système basé sur les énergies renouvelables apparait aujourd'hui incohérent, d'abord du fait de leur caractère intermittent, c'est-à-dire de leur incapacité à assurer une production constante et stable en électricité. Devrions nous arrêter les usines en l'absence de vent ou de soleil ? Nos industriels ne sauraient accepter de tels risques dans leur chaine de production. D'un point de vue politique, devrions nous laisser au gaz russe le rôle de garant de la survie de nos industries ? D'un point de vue écologique, devrions-nous rouvrir nos vieilles centrales à charbon ? Et d'un point de vue économique, la flambée historique des prix du gaz ne devrait-elle pas nous interpeller ?

La question est finalement simple : nous, citoyens français, sommes-nous prêts à renoncer à notre indépendance énergétique pour accentuer notre dépendance vis-vis de la Russie, de l'Allemagne ou d'autres puissances étrangères ? Sommes-nous prêts à accepter des coupures de courant à répétition comme ce fut le cas au Texas, des millions de foyers privés d'électricité pendant plusieurs jours ? Sommes-nous prêts à renoncer à notre mode de vie d'une manière aussi radicale ? Enfin, sommes-nous prêts à relever le défi de la réindustrialisation ? Et celui d'une transition écologique rationnelle et pragmatique plutôt qu'une récession déguisée ?

_______

(*) Margot de Kerpoisson a piloté le rapport EGE « J'Attaque! Comment l'Allemagne tente d'affaiblir durablement la France sur la question de l'énergie »

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 20
à écrit le 17/11/2021 à 14:01
Signaler
Un enjeu caché est que l'attaque en règle de l'Allemagne contre notre nucléaire civil vise également...notre nucléaire militaire (propulsion de nos sous-marins, arme atomique). L'enjeu est d'affaiblir la France, qui est la seule nation EU à posséde...

à écrit le 17/11/2021 à 11:09
Signaler
L auteur tape sur le gaz russe mais il vient ou l uranium ? Pas de france ! Sinon le black out peut aussi arriver avec du nucleaire. Soit parce qu une centrale a un gros probleme et doit etre arretee soit simplement parce que le reseau de distrib...

le 17/11/2021 à 16:04
Signaler
@cd Les pollutions engendrées par les extractions d'hydrocarbures (mers et terres) et d'uranium (quelques terres), ne sont absolument pas comparables. Les extractions d’uranium concernent une part infime de la surface de cette planète, tandis que l...

le 18/11/2021 à 6:22
Signaler
Le gaz peut vite mettre la pression (Russie sur l’Ukraine et la Pologne, plus récent l’Algérie sur le Maroc). Une coupure des livraisons du gaz russe aurait des effets immédiats sur l’industrie européenne, déjà avec une flambée des prix, alors que l...

à écrit le 17/11/2021 à 0:00
Signaler
Cout de solaire thermique maintenant? $1 par W aux Etats Unis. Donc une centrale solaire thermique de la taille de FLA3 couterait $1.6 milliard – contre le €19 milliards de l’EPR FLA3 selon le Cour des Comptes. On aurait pu construire pratiquement 12...

le 17/11/2021 à 10:22
Signaler
Vous oubliez d'intégrer le facteur de charge pour pouvoir comparer deux moyens de production d'électricité différents. Sur une année un panneau photovoltaïque ne produit que 15% de sa production d'énergie maximale théorique du fait des variations des...

le 19/11/2021 à 3:00
Signaler
La personne qui répond à Bonaparte ne connaît même pas les moyens de stockage du solaire thermique et confond notamment avec le solaire PV, donc il fait des calculs erronés. C'est normal au pays du nucléaire les gens sont désinformés des questions én...

à écrit le 16/11/2021 à 23:27
Signaler
Dois je continuer? Le cas contre la nucleaire est accablant. Le livre "Nuclear Roulette" n'est qu'un seul exemple rempli avec des exemples de l'horreur de la nucleaire. L'horreur absolu.

le 16/11/2021 à 23:56
Signaler
Absolu avec un e sans doute? Repeter des approximations ne les rend pas plus varies..

à écrit le 16/11/2021 à 23:21
Signaler
Ironiquement, les centrales nucléaires sont sensibles au réchauffement de la planète. Les vagues de chaleur estivales ont forcé les réacteurs aux aux États-Unis et en Europe à s'arrêter pour éviter la surchauffe19 . <p> Les réacteurs français ont é...

le 17/11/2021 à 10:52
Signaler
Seules les centrales en bord des rivières doivent réduire leur puissance lors de fortes chaleur, cela ne concerne pas les centrales en bords de mer, cette problématique concerne aussi les centrales au gaz et au charbon. Mais cette baisse de productio...

le 19/11/2021 à 3:07
Signaler
C'est faux de prétendre que les centrales nucléaire en bord de mer ne sont pas concernées par le réchauffement puisque plusieurs ont été fermées notamment en Mer Baltique. Le solaire PV a des moyens pour mieux produire en période de canicule et le so...

à écrit le 16/11/2021 à 22:40
Signaler
Le problème majeur de l'énergie nucléaire, qui éclipse tous les autres, est que la production nucléaire exige que la société s'occupe de toutes les émanations et de tous les déchets spectaculaires et dangereux intrinsèques à sa fabrication. Les risqu...

le 16/11/2021 à 22:59
Signaler
Le pseudo est mal choisi, car Bonaparte était non seulement très doué en mathématique mais aussi un grand ami des sciences et des scientifiques. Si ce pays avait gardé sa fibre scientifique au lieu de se transformer en société dirigée par des juriste...

le 19/11/2021 à 3:17
Signaler
@ ABC : vous êtes nul en science si vous ne comprenez pas le potentiel des renouvelables recyclables bien supérieur et bien plus durable que le nucléaire dans le temps. Les RNRs ne réduisent les déchets qu'à 3 siècles mais comportent plus de risques,...

à écrit le 16/11/2021 à 22:30
Signaler
Enfin le retour d’une véritable réflexion politique! Lire la Tribune et pourfendre les incohérences de l’ère Macron fait du bien. Macron a suivit Hollande qui n’était pas plus brillant, loin de là et Sarkozy et ses 3000 rond-point, certainement intér...

à écrit le 16/11/2021 à 21:13
Signaler
Le problème principal des allemands est que chaque fois qu'ils ont une idée et l’appliquent il faut que tout le monde l’applique. "L'esprit allemand est une véritable indigestion il n'arrive à en finir avec rien." Nietzsche

à écrit le 16/11/2021 à 19:45
Signaler
Tout la combustible nucleaire vient de gisements d’uranium en Afrique de l’Oeust – ou est l’independance energetique?

le 16/11/2021 à 20:29
Signaler
C est la raison pour laquelle il faut viser des réacteurs au thorium. Trouvable en france

le 17/11/2021 à 10:59
Signaler
Le minerai d'uranium vient de toutes les régions du monde Canada, Australie, Kazakhstan, Niger... et France il en a aussi. Le gaz/fioul c'est plutôt les "grandes démocratie" Russie, pays du Golf, Algérie Surtout contrairement au gaz la chaine de val...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.