Bouleversements géopolitiques et changements législatifs : le transport maritime en eaux troubles ?

OPINION. Face aux perturbations dans le transport maritime proviennant de plusieurs facteurs, y compris géopolitiques et législatifs, la collaboration et la visibilité des données sont de plus en plus cruciales. Par Lena von Fritschen, Director Market Intelligence de Transporeon.
(Crédits : DR)

Il n'y a pas de semaine typique dans le transport. Les routes maritimes mondiales forment une toile fragile, et les perturbations qui les impactent, qu'elles soient dues aux conditions météorologiques ou à des difficultés économiques, ne sont pas toujours médiatisées, car les expéditeurs et les transporteurs ont tendance à les anticiper et à protéger les consommateurs de leurs effets. Des exceptions notables incluent la période suivant les confinements, lorsque le globe entier a ressenti l'impact de la congestion portuaire et de l'envolée des coûts d'expédition - et les événements récents qui ont placé le transport maritime mondial dans une position précaire et mise en lumière des problèmes persistants.

Quand la foudre ne frappe pas qu'une fois

La majorité des perturbations actuelles dans le transport maritime résultent d'une série de développements géopolitiques et climatiques imprévus. En janvier, les attaques des rebelles Houthis ont fortement perturbé le trafic dans le canal de Suez, qui accueille généralement environ 12 % du commerce mondial annuel et 30 % du trafic mondial de conteneurs. Parallèlement, la sécheresse continue dans le canal de Panama, limitant les capacités de transport. Le résultat ? Les expéditeurs font face à des retards significatifs, et les coûts de fret augmentent de façon spectaculaire (les données de Transporeon ont par exemple montré une augmentation de 300% des prix du transport de conteneurs de l'Asie vers l'Europe dans le contexte des perturbations en mer Rouge). Et cela n'est peut-être que le début !

Les bouleversements géopolitiques ne sont qu'une des nombreuses sources de perturbation auxquelles est confronté le marché du transport maritime, avec deux changements législatifs majeurs entrant en vigueur en Europe.

L'introduction du système d'échange de quotas d'émission de l'UE

Conçu pour réduire les émissions de navigation en encourageant les transporteurs à investir dans des navires alimentés de manière durable, le Système d'Échange de Quotas d'Émission de l'UE (SEQE/ETS) est entré en vigueur en ce début 2024. Les compagnies maritimes sont désormais obligées d'acheter des permis pour une partie de leurs émissions (augmentant progressivement à la totalité des émissions d'ici 2027), pour tous les mouvements de navires entrants, sortants et de transbordement.

Le GNL et d'autres carburants « durables » sont exemptés du système d'échange de quotas d'émissions. Cependant, ils sont actuellement utilisés dans moins de 1 % du transport maritime, et il est probable qu'il faudra des décennies pour en développer l'utilisation. Ainsi, à court terme, la plupart des transporteurs considéreront probablement l'ETS de l'UE comme un coût supplémentaire - et un supplément « ETS/surcharge carburant » sera très probablement répercuté sur les expéditeurs.

La fin du « CBER »

En avril, l'UE apportera un autre changement législatif significatif en mettant fin au Règlement d'Exemption par Catégorie pour les Consortia (CBER) de 2009, qui permettait aux compagnies maritimes de coopérer au sein de consortia. Le CBER a été introduit pour améliorer la disponibilité des services et les options de marché pour les expéditeurs, dans le but de faire baisser le prix du transport maritime. Cependant, la pandémie a révélé ses failles, la surveillance et le partage limités d'informations, qui ont permis aux grands transporteurs de se regrouper et de les exploiter. Cela a conduit à des prix plus élevés et à une réduction des options de service pour les expéditeurs - et, finalement, à la disparition de l'exemption.

Les implications complètes de la fin du CBER ne sont pas encore claires. Les consortiums maritimes devront évaluer attentivement si leurs accords de coopération actuels sont compatibles avec les règles de l'UE en matière de concurrence lorsqu'ils offrent des services conjoints ou partagent des créneaux de capacité et des données. Cependant, certains spéculent que nous pourrions voir une réduction de la concurrence, et donc de la capacité. Le transport de conteneurs nécessite d'importants investissements en capital, créant une barrière significative pour les transporteurs désireux d'étendre leurs services à de nouvelles lignes, surtout lorsqu'il y a peu de collaborations possibles. Cependant, il existe également une opportunité d'expansion claire pour les transporteurs qui ont déjà une position solide sur le marché.

Peut-on anticiper l'inattendu ?

Ces changements laissent entrevoir de nouveaux défis pour l'année à venir, qui impacteront à la fois les coûts et les opérations. Si certains retards ne sont pas toujours fondamentalement problématiques, il subsiste un décalage entre les attentes des expéditeurs (l'arrivée en temps voulu des marchandises) et la réalité (les retards) - un décalage qui peut avoir de sérieuses répercussions (mauvaise allocation des ressources, coûts inutiles). Si ces problèmes s'accumulent, la répercussion sur les consommateurs n'en est que plus grande.

Malheureusement, les retards « inattendus » sont très fréquents dans le secteur du transport maritime. Le problème n'est pas que ces derniers se produisent trop soudainement pour que les expéditeurs agissent, mais plutôt qu'ils résultent dans certains cas d'un manque de partage d'informations. Les expéditeurs manquent régulièrement de mises à jour régulières sur l'état de leurs marchandises, et, si les marchandises ont été réservées via un tiers, les informations de suivi sont souvent totalement indisponibles.

Le transport maritime souffre d'une fragmentation endémique des données en temps réel. Par exemple, pour suivre les marchandises, les expéditeurs doivent actuellement « appeler » individuellement les API des différents transporteurs pour chaque navire. La technologie qui peut résoudre ce problème existe déjà. Ces dernières années, elle a été largement mise en œuvre dans d'autres modes de transport - au point où la visibilité en temps réel devient désormais une pratique standard pour le transport routier.

Dans le transport maritime, la clé pour minimiser les perturbations réside donc dans l'augmentation de la collaboration interindustrielle et le renforcement de la maturité des données des expéditeurs et des transporteurs. Idéalement, l'identification et l'analyse précoces de l'impact exigent que les expéditeurs aient accès à une source unique fiable avec des données provenant de tous les transporteurs. Bien que la fragmentation des données ne puisse être corrigée du jour au lendemain, les expéditeurs peuvent déjà mettre en œuvre des technologies qui offrent une meilleure visibilité sur l'emplacement des marchandises et leur permettent de prédire où pourraient survenir les futures perturbations.

Les expéditeurs ne peuvent pas contrôler le climat, la géopolitique ou les changements législatifs - mais ils peuvent contrôler leur réponse aux perturbations.

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Commentaires 3
à écrit le 04/03/2024 à 10:43
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La logistique est passée d'une fonction support à une fonction stratégique de l'entreprise les aléas deviennent endémiques ; des arrêts de production dus à des catastrophes naturelles ou industrielles ou les deux à la fois , un cargo qui s'échoue dan...

à écrit le 04/03/2024 à 9:17
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Il serait plus simple de rendre le transport maritime moins vital que l'on veuille le construire, en relocalisant l'essentiel !

à écrit le 04/03/2024 à 8:40
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Je suis sûr que les houthis ne s'attaqueraient pas à des cargos à voiles. Ensuite on peut se demander si les 10 à 20000 containers déclarés perdus en mer sont pris en compte dans les réflexions. Vous imaginez la pollution générée ??? Bon ensuite au s...

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