Ce que les résultats d’Amazon nous enseignent sur la pertinence des modèles de plateforme

OPINION. Comment expliquer que, pour les GAFAM, cette crise économique, la plus grave depuis la seconde guerre mondiale, soit un facteur d'accélération et non une menace comme pour tant d'autres entreprises ? (*) Par Florian Ingen Housz, associé au cabinet conseil Altermind.
(Crédits : Dado Ruvic)

Les résultats financiers des GAFAM au second trimestre 2020 ont, à l'exception de ceux de Google, largement dépassé les attentes des analystes financiers en termes de croissance de chiffre d'affaires, de résultat opérationnel et de génération de cash-flow. A l'heure où les principales économies occidentales trébuchent, et subissent des contractions à deux chiffres de leur PIB, cette performance extraordinaire vient une nouvelle fois démontrer la puissance de ces sociétés, et leur résilience en période de crise.

Chacune d'entre elles possède ses raisons spécifiques à cette surperformance. Le cas d'Amazon, grand gagnant de la période du confinement, mérite en particulier d'être examiné de près. Les résultats du premier e-commerçant mondial, dont les ventes au second trimestre ont dépassé celles de sa dernière période de Noël, illustrent en effet le succès que peuvent rencontrer, à l'ère du digital et de la data, les modèles d'affaire de plateforme multi-utilisateurs (« multi-sided platform », pour reprendre la terminologie notamment développée par le professeur de stratégie de Boston University Andrei Hagiu,). Ce succès repose sur trois facteurs, dont les deux premiers sont bien connus. Tout d'abord, la taille critique d'une plateforme comme Amazon entraîne des effets de réseau. Ensuite, le caractère multi-face des opérations d'une plateforme lui permet d'amortir les chocs. Enfin, les plateformes ouvertes sont plus naturellement promotrices d'une culture d'innovation et d'expérimentation.

En premier lieu, la crise sanitaire a ainsi permis de mettre en avant, si besoin en était, le pouvoir de marché que conférait à Amazon sa taille critique, acquise au fil de décennies de croissance à deux ou trois chiffres. Avec 150 millions de références disponibles, 150 millions de clients Prime et 3 millions de vendeurs marketplace, Amazon a capitalisé à plein sur ses effets de réseau. Fort de son assise, Amazon a transcendé pendant la crise son statut de plateforme de e-commerce pour atteindre celui d'infrastructure essentielle à la continuité de nos économies, à travers la fourniture de biens, de services et de données indispensables aux particuliers et aux entreprises. Illustration de ce nouveau statut conquis par Amazon: la mise en avant appuyée dans la communication financière T2 de ses externalités positives pour la collectivité pendant la crise sanitaire (notamment 175 000 emplois créés).

En second lieu, les résultats d'Amazon démontrent une nouvelle fois la pertinence d'opérer une plateforme sur laquelle coexistent différentes catégories d'utilisateurs. Amazon est devenu au cours des dernières années une entreprise de « B2B2C ». Son modèle n'est plus celui d'un distributeur monolithique, dont le rôle est de se procurer des biens au meilleur prix et de les vendre dans des conditions lui permettant d'optimiser sa marge et son besoin en fonds de roulement. Depuis au moins une décennie, le rôle d'Amazon est biface. A travers son réseau d'entrepôts côté marchands, et son programme Prime côté clients finaux, Amazon s'est mué en curateur d'un cercle vertueux à travers lequel clients et marchands sont fidélisés par des services différenciants et créateurs de barrières à l'entrée infranchissables par des concurrents. Par son multilatéralisme, Amazon a l'assurance de minimiser l'impact des chocs externes tout en bénéficiant à plein des chocs positifs de demande.

En dernier lieu, le modèle de plateforme sur lequel repose Amazon est inextricablement lié à une culture d'innovation ouverte et de serendipity. Cette « culture de l'invention » - telle qu'elle est notamment décrite en détail dans l'ouvrage récent Always Day One d'Alex Kantrowitz - a permis à Amazon de développer tout au long de son histoire de nouveaux marchés et de nouveaux produits, avec une vélocité et une agressivité supérieure à ses concurrents. Le cas d'école de cette serendipity est la création d'AWS, provenant du constat par l'équipe dirigeante d'Amazon que la construction de la meilleure plateforme e-commerce du monde, caractérisée en particulier par un pic de trafic récurrent au quatrième trimestre de chaque année, avait donné naissance à une expertise particulière, celle de gérer et moduler l'utilisation des datacenters. La suite appartient à l'histoire, puisqu'Amazon est devenu avec AWS, en « plateformisant » ses datacenters, l'inventeur puis le leader mondial du marché du cloud. Et a ajouté à la liste de ses clients - qui incluaient déjà les acheteurs et vendeurs sur la partie e-commerce - la communauté des développeurs et des data scientists des grands groupes et start-ups du monde entier. Cette faculté à se réinventer et se diversifier par l'invention - qui dans le cas d'une plateforme passe souvent par la révélation de la valeur cachée de certains actifs - permet, là encore, d'amortir, voire de tirer parti, de chocs externes. Il est essentiel de noter ici que, dans le cas d'Amazon mais également dans celui de nombreuses entreprises Tech de moindre taille, la culture de l'invention a pour corollaire une culture de l'expérimentation et de l'acceptation de l'échec (Failure needs to scale , « il faut industrialiser l'échec », disait Jeff Bezos dans sa lettre aux actionnaires 2019).

Taille critique, multilatéralisme, et culture de l'invention se sont donc avérés être des facteurs de résilience et de surperformance essentiels en période de crise. Amazon, et les autres sociétés de Tech, en particulier Facebook, ont porté ces atouts à un tel niveau d'excellence que même la plus grave crise économique depuis la seconde guerre mondiale constitue pour elles un facteur d'accélération et non une menace. Charge aux grands groupes « traditionnels », de s'en inspirer pour, en reprenant l'expression d'Andrei Hagiu, eux-aussi « trouver la plateforme dans leur modèle ».

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Commentaires 9
à écrit le 27/08/2020 à 16:43
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J'ai vu une fois un article plus cher chez Amaz* que Fna*, du même "marketplace" vendeur. A cause des frais ou parce que cette plateforme est préférée (surtout en ayant payé des frais de port "gratis" pour l'année, ça empêche de comparer comme le "on...

à écrit le 26/08/2020 à 22:14
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attendez, la france a le leader mondial de la voiture electrique segolene royal a dit que sa region devait faire plein d'investissements, et qu'un investissement n'avait pas a etre rentable, donc elle a investi en bonne gestionnaire visionnaire, vu ...

à écrit le 26/08/2020 à 21:43
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La principale raison de l'échec de la France dans le numérique tient à la culture des écoles françaises les plus prestigieuses qui voit encore le boulot de concepteur informatique , comme celui d'un vulgaire technicien ... Nos génies ont préféré su...

à écrit le 26/08/2020 à 21:30
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Clap, clap, clap...Bravo. Bien content. Est ce qu'Amazon a changé ma vie ? Certainement pas pour la bonne raison que je suis passé du côté frugal et que je réserve mes achats aux commerçants du coin. Je me trompe sûrement, mais il me plaît a penser...

à écrit le 26/08/2020 à 14:35
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Aucun mot sur leurs pratiques fiscales et leur culture du monopole? Ces groupes sont dopés par la bourse et effectivement ils atteignent une masse critique essentiel pour une plateforme, et les états semblent incapables de suivre leur rythme d'innova...

à écrit le 26/08/2020 à 14:28
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Bon article qui offre un résumé clair de l'ascension d'amazon. J'ajouterais que celà n'arrive pas non plus aux US par hasard, ils sont le pays de la culture des sciences et technologies de l'information, pays de Shannon, de l'invention des ordinateu...

à écrit le 26/08/2020 à 11:59
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Un super article, je ne l'ai pas assez dit, certainement une référence qui s'inscrira dans l'histoire tellement elles sont rares, merci beaucoup d'expliquer pourquoi les GAFAM sont aussi efficaces ça change profondément de l’habituel et désespérant i...

à écrit le 26/08/2020 à 11:29
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Bien dit, en revanche si le public connait Amazon comme vendeur e-commerce, ce n'est pas cette activité qui génère le plus de bénéfices, mais bien ses centres de services digitaux. Le e-commerce, c'est bien pour le grand public, pour les analystes fi...

à écrit le 26/08/2020 à 11:20
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Un problème évident de mentalité de notre vieille économie repus aux subventions étatiques et aux paradis fiscaux, ne sachant plus que faire de l'argent avec de l'argent manipulant tout les secteurs économiques afin d'aller dans cet unique sens. ...

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