Comment la Commission compte encourager (et réguler) les plateformes Internet

Airbnb, Uber... autant de plateformes américaines. La commission de Bruxelles veut encourager la création de structures d'origine européenne. Par Charles Cuvelliez, maitre d'enseignement à l'Ecole Polytechnique de Bruxelles et membre du Collège de l'IBPT

Réguler tout en boostant les plateformes Internet en Europe, voilà les deux objectifs un peu antinomiques que la Commission décrit dans un projet de communication qui a fuité sur Internet. Ce n'est pas une fuite anodine : une communication décrit la politique de la Commission plusieurs années durant.

Réguler, c'est imposer un jeu à armes égales à tous les acteurs d'un secteur avec les mêmes obligations et si les plateformes l'emportent, c'est par la seule vertu de leur caractère innovant, pas par les brèches légales que leur modèle d'affaire exploite.

 Booster les plateformes, c'est une question de vie ou de mort pour l'Europe car elle ne représente que 4 % de la capitalisation boursière des plateformes Internet. Les USA et l'Asie se partagent le « reste » si on peut dire. Mais c'est quoi une plateforme ? Elle est à la base d'une interaction directe, d'une efficacité parfaite, à distance entre utilisateurs via des systèmes qui utilisent, pour matcher au  les profils ou les besoins, des données collectées à cet effet. Ce sont bien sûr tous les sites d'économie collaborative ou participative mais aussi les media sociaux, les « search engines », les sites de création et distribution de contenu, les places de marchés, la publicité en ligne ciblée, bref, les marchés bifaces, pour parler dans le jargon des économistes.

Netflix pas concerné

Netflix n'est pas une plateforme car il se contente de distribuer du contenu dans une direction sans vraiment faire interagir les spectateurs entre eux ni leur apporter une valeur ajoutée qui proviendrait de ces interactions. Les plateformes industrielles qui réunissent des acteurs techniques qui s'entendent (efficacement souvent) pour faire progresser leurs secteurs tombent aussi en dehors.

Car une plateforme crée à partir des données des utilisateurs une valeur ajoutée qu'elle leur redistribue pour améliorer le service offert. Une plateforme crée des réseaux entre utilisateurs. Elle met sur pied des nouveaux (acteurs de) marchés qui perturbent complètement ceux en place : Uber versus les chauffeurs de taxis, AirBNB versus les hôtels. Enfin, ce modèle  n'existerait pas sans les technologies d'information. Quand une plateforme perce, elle devient une référence et préempte tout le marché. Elle ne laisse plus de place à des concurrents. Répliquer le modèle est quasi impossible : qui se souvient encore de Myspace qui était un concurrent de Facebook ? Aujourd'hui, la Californie même est remplie de start ups qui se crashent en voulant répliquer AirBNB ou Uber sans grand succès. Parfois, quand un pays-continent, fort différencié culturellement, décide de pousser son champion, elle y arrive comme en Chine (Alibaba, Tencent, ou Didi, concurrent de Uber).   L'Europe pourrait-elle faire de même ? Si la différence culturelle avec les USA n'est pas aussi grande, il y a des domaines vierges où elle peut s'imposer.

Trois domaines encouragés

C'est ainsi que la Commission encouragera trois domaines pour des plateformes made in Europe : la santé, les véhicules automatiques et les smart cities. Dès qu'elle verra une innovation capable de casser la baraque, elle la soutiendra.

La Commission évitera les erreurs de la régulation télécom : imagine-t-on encore 28 régulations différentes des plateformes digitales qui n'ont pas de frontières ? La Commission évoque l'idée que le pays d'établissement principal de la plate-forme servira de référence. Si la régulation traditionnelle ne fonctionne pas, la Commission envisage la corégulation et l'autorégulation.

Les OTT régulés

Les plateformes de communications électroniques ou OTT[1] concurrencent les opérateurs traditionnels sans en avoir les obligations pourtant sensibles : confidentialité des communications, interopérabilité, obligations de transparence et qualité de service. Il y a de quoi s'étonner, en 2016, plusieurs années après Snowden, de voir What's App annoncer fièrement qu'elle va (volontairement) chiffrer les communications sur son réseau.

Les plateformes qui distribuent du contenu audio-visuel sans assumer de responsabilité éditoriale ou du copyright pourraient s'autoréguler, dit la Commission mais elle sait que ces plateformes ne le souhaitent pas car c'est reconnaitre qu'elles savent ce qu'il y a sur leur site (et donc des œuvres protégées). La corégulation, via des codes de conduite, aura aussi un rôle à jouer pour éviter des contenus incitant à la haine ou au racisme. La Commission, viendra, en tout cas, au printemps 2017, avec un plan pour que le secteur s'autorégule avant fin 2018.

 La protection des données privées

Pour sa communication, la Commission s'est basée sur une consultation lancée il y a quelques mois. 75 % des personnes qui y ont répondu se montrent très perturbées par les pubs sponsorisées et les opinions truqués sur le Net ainsi que le peu d'info sur qui est le vrai fabricant ou fournisseur du produit acheté en ligne. C'est d'autant plus dommage que les opinions des utilisateurs sont un formidable boost à l'e-commerce...: imaginez, dans un magasin réel, pouvoir demander l'avis (non manipulé) à tous ceux qui ont acheté le même produit que celui qui vous tente !

Autre sujet de préoccupation, le caractère peu pratique de posséder des dizaines de mots de passe pour accéder aux plateformes sur Internet et le risque pour la sécurité si vous utilisez le même partout. Quant à utiliser son compte Facebook, pour se connecter partout, est-ce mieux ? Que fait ensuite Facebook de vos données d'achat, surtout si ces achats vous font rougir de honte (d'où le recours à Internet) : la Commission voudrait encourager un standard d'identification.

Les PME qui dépendent (trop) des plateformes

Le droit de la concurrence n'est pas adapté en cas de conflit entre PME et la plateforme dont elle dépend pour son business. La PME n'est pas armée pour faire face à une longue bataille avec la plateforme. Et que dire des plateformes qui attirent les PME dans leur écosystème et les concurrencent en même temps ? Le droit de la concurrence agit souvent trop tard quand le mal est fait et irréversible.

Autre sujet sur lequel la Commission agira fort : la non-portabilité des données qui empêche les consommateurs de changer de plateforme. L'écosystème des plateformes est de plus en plus fermé, et cela force le client à y rester aussi. La régulation GDPR[2] (vie privée) donnera le droit de porter ses données d'une plateforme à l'autre et la future directive sur la fourniture de contenu digital prévoit que les consommateurs pourraient recevoir une copie du contenu qu'ils ont petit à petit confié ou qui a été déduit de leur comportement sur le net (une option que Google permet déjà).

Pour en savoir plus : COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT, THE COUNCIL THE EUROPEAN ECONOMIC AND SOCIAL COMMITTEE AND THE COMMITTEE OF THE REGIONS Online Platforms and the Digital Single Market Opportunities and Challenges for Europe, date de publication prevue: le 25 mai 2016

[1] Over The Top

[2] General Data Protection Régulation

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