Concilier juste rémunération des agriculteurs et ambitions environnementales n'est pas une utopie

OPINION. Bien que la mobilisation des agriculteurs soit quelque peu retombée, la tension reste vive à l'approche du Salon de l'Agriculture. Les récentes annonces du gouvernement laissent peu de place à l'ambition d'une agriculture durable et le malaise est profond. Le monde agricole est en effet confronté à une véritable crise systémique.
(Crédits : STEPHANE MAHE)

L'agriculture orientée pendant des années dans un modèle productiviste montre désormais ses limites. Tant pour l'environnement, les consommateurs que pour les agriculteurs eux-mêmes qui ne vivent plus de leur métier.  Il est temps d'engager un vrai changement de modèle pour que ceux qui nous nourrissent puissent vivre dignement de leur métier. C'est là la première bataille qu'ont menée ces dernières semaines les agriculteurs, dont le revenu a chuté de 40% en l'espace de 30 ans (1). Une dégradation qui s'est accentuée ces dernières années notamment à cause de la forte augmentation de leurs charges, sans que les prix des produits agricoles ne soient pas valorisés. Ainsi, une grande majorité de la profession souffre d'une rémunération insuffisante. Insuffisante compte tenu de leurs 55 heures travaillées en moyenne par semaine (2), insuffisante au regard du rôle essentiel qu'ils occupent dans la société et l'économie, insuffisante pour s'engager dans une réelle transition environnementale. Car oui, les revenus des producteurs et la lutte contre le dérèglement climatique sont deux enjeux liés. Et ce n'est pas exempts de reconnaissance et de moyens que les agriculteurs pourront être acteurs du changement.

Face à un modèle à bout de souffle et une profession en détresse, il existe des solutions qui peuvent apporter une réponse collective aux enjeux du monde agricole. Parmi elles, le commerce équitable émerge comme une alternative crédible, offrant une voie vers la justice sociale et la transition agro-écologique. Ce modèle économique n'est pas uniquement réservé aux produits venus d'ailleurs. Il n'est pas non plus une utopie. Il existe un commerce équitable origine France viable, reconnu dans la loi depuis 2014. Cette approche garantit aux producteurs des prix rémunérateurs définis sur la base des coûts de production, des relations de partenariat longue durée et équilibrées, ou encore le fonds de développement, un complément de prix permettant de financer des projets collectifs et de mieux défendre des intérêts communs.

Autant d'engagements qui offrent aux producteurs une sécurité financière essentielle, leur permettant à la fois d'améliorer leurs revenus et d'être plus résilients face aux fluctuations du marché ou aux impacts du changement climatique. Et aussi, d'investir dans des pratiques agricoles durables, qui ne dégradent ni l'environnement ni la qualité des produits qui en sont issus.

Cette agriculture de solution doit être soutenue par les pouvoirs publics. Une politique agricole qui relocalise les filières, valorise les pratiques vertueuses, aide les agriculteurs à passer en bio, et soutien ceux qui sont déjà engagés dans l'agroécologie, est cruciale. L'État français et l'Europe doivent aller beaucoup plus loin dans ce soutien.

Enfin, ce changement de paradigme ne peut se faire sans l'engagement des consommateurs. Et donc, sans une information transparente et fiable. En ce sens, le projet d'étiquetage de l'origine des produits est une avancée, mais il faut aller plus loin en proposant un affichage fiable de la relation équitable. Cette crise peut en effet servir la compréhension des enjeux d'une agriculture qui doit engager la transition agroécologique.

La mise en lumière du malaise des agriculteurs a rappelé la responsabilité de chacun pour préserver le monde rural. Informons, gagnons en transparence sur les méthodes de production, sur l'origine des matières premières et sur la relation commerciale. Éclairons sur le coût caché de l'alimentation sur la santé, l'environnement et la société.

En prenant conscience de l'impact de nos achats, nous, consommateurs, accepterons de réorienter nos choix et de rémunérer plus justement une alimentation durable. 50% des Français déclarent être d'ores et déjà prêts à payer un peu plus cher pour des marques qui rémunèrent justement les producteurs (3).

Et pour rendre ce pouvoir accessible à tous, l'État a aussi un rôle clé à jouer. Il doit notamment trouver les bons leviers pour inciter à la consommation responsable. Appliquer la loi EGALIM qui fixe l'objectif d'atteindre au moins 20% de produits bio dans les cantines, c'est une chose, mais que fait-on pour les ménages modestes ? Le chèque alimentaire proposé par la Convention citoyenne pour le climat et la Sécurité sociale de l'alimentation expérimentée dans plusieurs villes doivent devenir des dispositifs nationaux !

À la clé, une richesse réorientée vers ceux qui produisent en protégeant le vivant !

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Sources :

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(*) Signataires :

  • Cyrille Moulin, maraîcher et président de Bio Équitable en France
  • André Cicolella, président du Réseau Environnement Santé
  • José Tissier, président de Commerce Equitable France
  • Julien Kien, président de Bio Consom'acteurs
  • Thierry Rocaboy, Président de FAIRe un monde équitable
  • Guy Deberdt, président de Biopartenaire
  • Marie Lacoste, Responsable Label Fair for Life

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Commentaires 3
à écrit le 24/02/2024 à 9:42
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Non seulement c'est faisable mais tranquille en plus il suffit juste de mieux redistribuer les aides et arrêter d'arroser de milliards les milliardaires du secteur en récompensant ceux qui travaillent réellement. Mais voilà c'est pas le dogme de l'UE...

à écrit le 23/02/2024 à 18:02
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A la lumière de ce qui se passe actuellement à l'avenir nous aurons deux types d'exploitations agricoles ; celles à l'image de celle de l'actuel président de la fnsea grandes cultures associées à l'industrie et aux grandes coopératives à même de fair...

à écrit le 23/02/2024 à 15:59
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Rien de mieux pour concilier juste rémunération des agriculteurs et ambitions environnementales que d'éviter toute surproductions inutiles, ici et ailleurs, et donc d'éviter le libre échange catastrophique !

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