Concurrence : le cas Meta-Giphy relance le débat sur les stratégies d'acquisition

OPINION. Ayant perdu son appel contre le gendarme de la concurrence britannique, le géant du numérique Meta devra céder Giphy, récemment acquis. Si les autorités doivent corriger les pratiques de marché, elles doivent également veiller à ne pas brider la compétitivité et l'innovation pour faire émerger des géants européens. Par Nicolas Petit, professeur de droit à l'European University Institute.
(Crédits : Reuters)

En juin dernier, Meta, la maison-mère du réseau social Facebook, a assez largement perdu son appel d'une décision de l'autorité britannique de concurrence, la Competition & markets authority (CMA) qui lui ordonnait de céder Giphy, la banque de 'gifs' (ces images animées qui se partagent dans les conversations numériques), récemment acquise. La décision a fait grand bruit, marquant une nouvelle étape dans les relations complexes qu'entretiennent les géants du numérique américains et les régulateurs - particulièrement en Europe, mais pas seulement.

En sus des nouveaux instruments réglementaires qui encadrent désormais leurs comportements (comme le DMA et le DSA européens), une attention toute particulière est portée, par les régulateurs, à leurs stratégies d'acquisitions. Depuis plusieurs années, un débat, essentiellement académique, s'était formé sur le thème des « killer acquisitions », c'est-à-dire les rachats, par des opérateurs dominants, de nouveaux entrants - les fameuses « startups » - dans le but supposé d'éliminer leur pression concurrentielle ou, à tout le moins, d'accaparer leurs innovations.

Un débat qui divise les économistes en trois camps

Ce débat n'avait jusqu'à peu prêté à aucune conséquence, faute de consensus parmi les économistes. Les études, concentrées sur le secteur pharmaceutique, partagent la profession en trois camps. Les plus activistes interprètent les acquisitions des géants du numérique comme des flagrants délit de prédation. Leurs arguments se fondent sur la fréquence de ces opérations et sur les montants pharaoniques déboursés par les GAFA pour acquérir des entreprises qui n'ont parfois même pas de chiffre d'affaires. Les curieux, qui veulent en savoir plus, demandent des géants du numérique qu'ils dévoilent des informations sur les acquisitions dans le secteur numérique. Cette position est celle de la plupart des autorités de concurrence en Europe, réserve faite de la CMA. Enfin, les sceptiques insistent sur l'incitation à l'innovation : qu'on l'approuve ou non, la norme entrepreneuriale du secteur numérique incite à créer des entreprises dans l'objectif de les sortir au plus vite du marché, et au meilleur prix. Pour les startups et les fonds de capital risque qui les financent, la promesse d'un rachat par un géant du numérique est une perspective alléchante.

A ces considérations, s'ajoutent des arguments qui soulignent, comme en d'autres domaines, les dangers de la généralisation, de la politisation, ou de la vulgarisation. Hors de la norme entrepreneuriale qui vient d'être évoquée, d'autres entrepreneurs envisagent une cession comme un levier de croissance, permettant la réalisation d'économies d'échelle, de synergies, et la conquête de nouveaux marchés. Cette thèse est celle que défendait Meta dans le dossier outre-Manche, expliquant que le groupe a acheté un opérateur pour un prix bien supérieur à ce que proposait son concurrent Snap (315 millions de dollars contre 142). Elle est particulièrement importante, à l'heure du coup de froid observé sur les marchés de capitaux. Les perspectives de croissance par introduction en bourse sont plus que jamais sinistres pour de nombreuses startups. Il ne manquerait plus que les autorités de la concurrence réduisent encore les opportunités d'acquisition par les entreprises du numérique pour que de nombreuses startups se retrouvent sur le carreau, ou que leurs employés ne bradent leurs compétences sur un marché du travail en déséquilibre d'offre.

Ni précipitation, ni présomption, ni surréaction

En somme, la volonté de maintenir une structure concurrentielle dynamique ne doit inviter ni à la précipitation, ni à la présomption, ni à la surréaction. Les autorités de la concurrence, qui le savent bien, travaillent malheureusement sous une pression médiatique et politique considérable, à laquelle elles résistent au mieux mais qui n'est pas garante de rigueur analytique. L'étrange définition du marché pertinent retenue par la CMA, qui considérait Giphy notamment comme un concurrent direct de Facebook, pourrait devenir l'emblème de telles errances.

Enfin, si une action raisonnée, informée, et dépolitisée des autorités de concurrence est évidemment souhaitable, elle n'en reste pas moins incomplète : corriger les pratiques de marché ou éviter des changements structurels irréversibles ne suffit pas à faire émerger les champions de demain. L'action défensive de la politique publique de concurrence doit être envisagée dans une construction d'ensemble, et associée à un programme offensif de promotion de la compétitivité et de l'innovation en Europe.

C'est un chantier autrement plus lourd, qui impose de réformer les universités françaises, d'encourager une fiscalité attractive, d'encourager une innovation dynamique - en lui permettant de se déployer librement plutôt qu'en la pilotant administrativement. C'est un projet de longue haleine, qui pourrait être un axe prioritaire de la Première ministre.

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Commentaire 1
à écrit le 12/07/2022 à 8:18
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citation : "Si les autorités doivent corriger les pratiques de marché, elles doivent également veiller à ne pas brider la compétitivité et l'innovation" : faux, Les entreprises ont elles aussi des devoirs et doivent être limitées dans leurs libertés...

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