Congés payés pour les salariés malades : entre controverse et identité constitutionnelle

OPINION. Les salariés travaillant en France bénéficient, lorsqu'ils sont malades, d'un niveau de protection sociale exceptionnellement élevé (notamment si on le compare à la situation de la plupart des salariés travaillant au sein de l'Union européenne) : au-delà des indemnités versées par la Sécurité sociale, l'employeur est tenu de garantir leur salaire pendant plusieurs mois ; puis, dans près de 90% des entreprises, le régime de prévoyance prend le relai, éventuellement jusqu'à la retraite. Par Me Bruno Serizay, Avocat associé chez Capstan Avocats.
Bruno Serizay, associé au cabinet Capstan
Bruno Serizay, associé au cabinet Capstan (Crédits : DR)

Jusqu'à présent, les salariés en arrêt de travail - pour maladie ou pour toute autre cause - n'acquerraient pas de droits à congés payés pendant leur absence (les salariés absents conservent bien sûr les jours de congés acquis).

Depuis le 13 septembre 2023, le lien entre travail réalisé et droit à congés futurs devrait disparaitre si l'on suit le raisonnement de la Cour de cassation : ne pas attribuer de droits à congé au salarié malade constituerait une discrimination que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne interdirait.

Ces arrêts sont éminemment contestables au plan juridique. Non seulement, ils ne résolvent pas une discrimination (le salarié au travail et le salarié malade n'étant pas placés dans une situation identique au regard du droit aux congés payés), mais, par cette inversion, ils créent une violation du principe constitutionnel d'égalité.

Ils transposent en droit français des jurisprudences de la Cour de justice de l'Union européenne sans tenir compte des spécificités françaises et notamment du très haut niveau de protection sociale dont bénéficie chaque salarié en France. Pour répondre à l'obligation constitutionnelle de garantir le droit à la santé des travailleurs, la réglementation française a créé un dispositif protecteur qui permet au salarié malade de bénéficier d'arrêts de travail indemnisés sans réel contrôle, notamment de leur fréquence et de leur durée, et suffisamment longs pour favoriser un total rétablissement. Cette mécanique est infiniment plus protectrice de la santé du salarié malade que ne peut l'être l'acquisition de droits au repos, apanage légitime des salariés en activité.

Ces arrêts sont tout aussi dramatiques au plan économique : ils concourent à augmenter encore le coût du travail, ou plutôt du non-travail, accentuant le déficit de compétitivité des entreprises françaises ; ils pénalisent les salariés qui travaillent, dont les cotisations de Sécurité sociale et du régime de prévoyance vont nécessairement augmenter pour financer les arrêts de travail abusifs.

Dans ses arrêts, la Cour de cassation supprime les dispositions du code du travail qui ne lui conviennent pas et remet en cause le principe d'égalité, le droit à la protection de la santé, le droit de propriété qui constituent l'identité constitutionnelle française.

La Cour de cassation est saisie d'une demande de transmission au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la constitutionnalité des articles qu'elle vient de réécrire.

Il serait invraisemblable que la Cour, mesurant le risque du contrôle de constitutionnalité de la loi actuelle et d'inconstitutionnalité de sa propre jurisprudence, refuse de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel sur qui reposera le soin de de consacrer ou écarter la prévalence de la réglementation française s'inscrivant directement dans l'identité constitutionnelle française.

A l'heure où le législateur discute l'adoption de mesures concrètes pour lutter contre les abus du recours aux arrêts de travail de complaisance, d'une ampleur aujourd'hui sans précédent, il serait incohérent que la Cour de cassation refuse de contribuer à préserver le très haut niveau de protection sociale, notre singularité française, qui est une belle illustration de l'esprit de solidarité.

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Commentaires 3
à écrit le 05/11/2023 à 11:55
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Le travail forcé va faire exploser toutes les voies de secours des français esclavagisés.

le 05/11/2023 à 18:53
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Vous êtes un Ouighours ou vous êtes domicilié dans un des camps de travail de Poutine pour parler ainsi ??? Travail forcé ? .... vous savez qu"en France, on a le droit de démissionner à tout instant ??!!!

à écrit le 05/11/2023 à 10:58
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A l'heure où tous les employeurs peinent à recruter , fidéliser et motiver leurs collaborateurs il ne s'agit que d'un avantage bien peu couteux .Les organisations patronales seraient bien inspirées d'en prendre conscience .

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