Convergence mobilité bâtiment : une réponse aux besoins des usagers et aux enjeux des territoires

TRIBUNE. Des acteurs du bâtiment et de la mobilité s'interrogent aujourd'hui sur des modèles communs, centrés sur l'usage, le partage et la mutualisation. Les concepts du « bâtiment prêt à la mobilité » et d'une « mobilité intégrée au bâtiment » pourraient donc voir le jour, reposant sur les notions de mutualisation, d'économies et d'efficacité. La question de la création de valeur est centrale pour répondre aux attentes de la collectivité et de l'usager. Elle l'est aussi pour la survie même des acteurs de l'immobilier et de la mobilité. Par quatorze signataires du Consortium convergence Bâti mobilité(*).
(Crédits : DR)

La mobilité de proximité - travail, école, courses - représente plus de 90% des déplacements. Et le logement reste le poste de dépense numéro un des familles. Pour elles, les poids financiers du résidentiel et de la mobilité sont liés, et représentent les postes de dépenses les plus lourds. Les villes quant à elles veulent rester des centres d'attractivité pour l'habitat, le commercial et le tertiaire, mais elles doivent à présent à la fois lutter contre l'encombrement lié aux transports, offrir des conditions de logement qualitatives et impérativement diminuer leur empreinte carbone. Avec l'augmentation du prix du foncier, les difficultés pour se loger près du lieu de travail, l'allongement du temps de transport qui en découle et avec lui la pollution des villes et ses impacts sur la santé, citoyens et collectivités sont légitimement en attente d'une autre proposition de valeur de la part des acteurs de la mobilité tout comme des acteurs du bâti.

Citoyens et collectivité seraient les grands gagnants d'une convergence du bâtiment et de la mobilité

Certaines « convergences », passées inaperçues dans la grande histoire de l'innovation, n'en sont pas moins évidentes aujourd'hui : celui qui a équipé une valise de roues n'est pas entré dans l'histoire, mais personne ne regrette la valise sans roulettes ! Associer deux concepts a priori éloignés peut changer pour le mieux la vie des gens. Mais force est de constater que, le concept même d' « immobilier » s'est construit sans penser aux besoins de mobilité, et que les deux secteurs ont traditionnellement évolué de manière indépendante, avec des modèles d'affaires éloignés. Des points les rapprochent pourtant : en premier lieu la nécessité d'aller vers une énergie décarbonée et d'optimiser leur consommation énergétique. Ensuite, les véhicules comme les bâtiments se retrouvent la plupart du temps sous utilisés, parfois chers à l'investissement, à l'usage et à l'entretien, certains peu efficients en termes énergétiques, voire équipés de solutions digitales pas correctement exploitées.

En Europe, a-t-on bien évalué quels étaient les enjeux au croisement de ces deux mondes ? Google, Amazon et Alibaba, entre autres géants du web, s'intéressent quant à eux de près au sujet, et investissent à la fois dans la mobilité et dans les solutions pour les smart cités. Logique, si l'on considère que ces acteurs sont intéressés par la donnée produite par l'usager, pour bouleverser les modèles d'affaires.

Des acteurs du bâtiment et de la mobilité s'interrogent aujourd'hui sur des modèles communs, centrés sur l'usage, le partage et la mutualisation

Trois tendances, si elles se confirment, accélèreront ce rapprochement :

- Le numérique, porté par l'arrivée dans la vie active des digital natives, sensibilisés aux enjeux climat, et prêts pour l'ère de l'économie de l'usage et du partage. Avec le numérique émergent de nouveaux usages de l'énergie et de l'espace, portés par un large mouvement vers la flexibilité et la mutualisation, la démonstration de leur faisabilité et de leur désirabilité étant désormais faite avec notamment l'autopartage et les tiers lieux. D'autres applications arrivent avec le partage des espaces et équipements, annonçant l'ère du serviciel et des équipements interactifs, multifonctionnels, modulaires et évolutifs.

- Les forces politiques, qui vont inciter les acteurs du territoire à travailler de concert vers une mobilité décarbonée et partagée, avec en fer de lance des villes qui commencent à limiter les véhicules diesel, trop polluants, et bientôt thermiques en général, en zone urbaine.

- La multi-localisation des sources énergétiques et le partage de l'énergie à l'échelle d'un bâtiment ou d'un quartier, initiés par les démonstrateurs smart grid qui ont déjà créé des ponts entre la ville, le bâtiment et la mobilité électrique. Pour répondre aux impératifs de résilience et de sobriété du territoire, les acteurs de l'énergie voient dans le pilotage de la recharge à la maille du bâtiment, la possibilité de densifier le parc de véhicule électrique sans augmenter la consommation énergétique du bâtiment. Ainsi le « vehicule to X » (vehicule to grid ; to Home ou to Building) pourra être une solution de pilotage pour consommer l'énergie localement ou en réinjecter une partie sur le réseau via les batteries en apportant un service rémunérateur pour les usagers.

Les concepts du « bâtiment prêt à la mobilité » et d'une « mobilité intégrée au bâtiment » pourraient donc voir le jour, reposant sur les notions de mutualisation, d'économies et d'efficacité

Non seulement les attentes sont là, mais les technologies sont prêtes. Une offre de véhicule partageable permettra dès lors une mobilité du quotidien « pay as you use » et sans contrainte : avec l'affranchissement de la notion de plein d'essence et l'intégration à l'offre de l'entretien et de l'assurance, la mobilité électrique partagée prend tout son sens pour les usagers, tant d'un point de vue financier et social qu'environnemental. Une fois les besoins en termes de mobilité satisfaits, un autre rapport à la voiture va s'instaurer. Les plus jeunes générations semblent déjà s'éloigner du modèle de la voiture « élément de reconnaissance sociale », pour aller vers une « solution de mobilité bon marché, pratique et nécessairement verte ». Et pour la collectivité, les avantages sont réels : avec la diminution du nombre de véhicules, sont attendus également des gains nets en termes de surface (60% de l'espace public à Paris est occupé par la mobilité) ainsi que sur le front de l'encombrement, de la pollution et des émissions de CO2.

Mais si particuliers et entreprises commencent à envisager l'électrique, des freins restent à lever

Fin 2019, selon l'Avere-France, sur les 40 millions de véhicules légers constituant le parc roulant en France, 260 000 étaient électrifiés. Ce chiffre est en augmentation depuis 2010, avec une trajectoire de croissance importante dans les années à venir. L'offre en véhicules électriques, qui s'enrichit, trouvera pleinement sa place avec des infrastructures de recharges simples d'usage, et ce quels que soient les modèles d'affaire de recharge, et l'augmentation des autonomies de batteries. Et évidemment, le bâtiment intelligent intègrera la mobilité décarbonée à mesure de son déploiement. Mais des freins subsistent, et les principaux ne sont pas techniques : ils résident dans un double silotage. Le premier est juridique : la RE 2020 n'intègre en effet pas les sujets de mobilité ; les directives européennes séparent encore bâtiment et mobilité dans les sujets de décarbonation de la société, et, même si la loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoit des facilités pour installer les bornes, la règlementation évolue moins vite que les usages. L'arrivée de la future Energy Performance Building Directive européenne, qui invite le bâtiment à jouer un rôle dans la mobilité, en particulier en soutenant le déploiement d'infrastructures de e-mobilité telles que les bornes de recharge, est cependant un signe d'évolution positive. Le second frein est le silotage des acteurs et des modèles d'affaires des acteurs du bâti et de la mobilité. Une convergence fructueuse passera forcément par une révision en profondeur des bases de leurs modèles respectifs.

La question de la création de valeur est centrale pour répondre aux attentes de la collectivité et de l'usager. Elle l'est aussi pour la survie même des acteurs de l'immobilier et de la mobilité.

Or si la valeur résidait hier, soit dans le moteur et le design pour le véhicule, soit dans « l'emplacement » pour le bâtiment, demain, elle résidera dans la fonctionnalité, l'usage, et le potentiel serviciel, directement liés à l'intégration de l'offre dans un écosystème ouvert. L'industrie automobile anticipe ce changement - certains fabricants qui proposent du leasing ont déjà procédé à une dépréciation des actifs. Idem pour le secteur de l'immobilier et les foncières, qui ont compris qu'il fallait désormais rénover et équiper en digital leur parc, sous peine de dépréciation forte. Les constructeurs - automobile comme bâtiment - pourraient être gagnants dans cette nouvelle configuration en devenant co-fournisseurs de service s'ils embrassent la mutation en cours. Il est évident que le citoyen usager et la collectivité y trouveront leur compte. Il faut à présent également adresser la question économique, celle des modèles d'affaires et des retours sur investissement (ROI) pour les constructeurs et opérateurs. Déjà, les frontières entre les modèles d'affaires des acteurs se floutent : les acteurs ont tout intérêt à enfin parler le même langage et converger, s'adressant tous deux aux mêmes parties prenantes - le citoyen usager et le territoire - avec un même objectif d'efficacité et de sobriété, de valorisation de l'espace, d'optimisation des coûts, de nouveaux services et de création de valeur.

L'intelligence et les investissements doivent être fléchés dans cette direction, pour aller d'une société du « plus » à une société du « mieux »

Pour lever les freins, profiter des synergies et passer à l'échelle en vue d'atteindre une mobilité verte à un prix accessible, un cadre de concertation avec toutes les parties prenantes est à construire. Des projets pilotes sont encore nécessaires ainsi que des travaux académiques, mais pour la première fois, des acteurs de l'immobilier et de la mobilité, les énergéticiens, les industriels ainsi que des institutions parapubliques et associations, partagent une vision commune vers le bâtiment « prêt à la mobilité », pour l'usager et la collectivité. Voilà pourquoi il faut à présent faire grandir ce consortium dans lequel chacun peut apporter sa brique pour construire une chaine de valeur commune.

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(*) LES SIGNATAIRES

  • Yasmine Assef, Directrice de programme, New Business Energy & Charging Infrastructure, Renault
  • Franck Barruel, Directeur, INES
  • Joseph Beretta, Président, Avere France
  • Fabrice Bonnifet, Directeur Développement Durable et Qualité, Sécurité, Environnement, Groupe Bouygues
  • Emmanuel François, Président, Smart Buildings Alliance for Smart Cities (SBA)
  • Etienne Gaudin, Directeur Mobilité, Colas
  • Erik Grab, Animateur de l'écosystème MOVIN'ON -  Directeur de l'Anticipation Stratégique et de la Co-Innovation Michelin
  • Christophe Liénard, Directeur Innovation, Groupe Bouygues
  • Hélène Macela Gouin, Vice President France, Strategy & Business Development, Schneider Electric
  • Christophe Mayen, Directeur eMobility, Bouygues Energies Services
  • Patrick Nossent, Président de Certivéa et Cerway, administrateur de l'alliance HQE France GBC
  • Daniel Quenard, Responsable Développement, Direction Énergie & Environnement, CSTB
  • Olivier Terral, Chef du Pôle co-construction et partenariats, Programme Mobilité Electrique ENEDIS
  • Etienne Wurtz, chef de service Energétique Bâtiment, CEA Liten

Le Groupe Bouygues, l'écosystème de mobilité durable Movin'On animé par Michelin, le Groupe Renault, Schneider Electric et la SBA (Smart Buildings Alliance for Smart Cities) constituent le premier groupe de travail intersectoriel sur le sujet convergence du bâtiment et de la mobilité, avec également autour de la table des acteurs tels que l'IFP Énergies Nouvelles, le CSTB, Certivéa, Avere France, Enedis, l'INES et le CEA.

Leur objectif est de sensibiliser les donneurs d'ordre du bâtiment et des territoires au sujet de l'intégration de la mobilité électrique en vue de construire un référentiel commun. Le consortium se donne une année pour développer le référentiel « 4Mobility » qui pourra s'intégrer au label Ready2Services (R2S), créé par la SBA et labellisé par Certivéa pour le tertiaire et par Bureau Veritas pour le résidentiel.

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Commentaires 3
à écrit le 12/12/2019 à 21:16
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Le concept détaillé par l’auteur serait trop onéreux :( casser et reconstruire pour des smart citées , ça risque de bouleverser financièrement de nouveau l’immobilier) Il faudrait «  étendre à 100% «  le télé-travail, développer des logiciels de ...

à écrit le 12/12/2019 à 16:41
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Pour partage

à écrit le 12/12/2019 à 9:35
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"territoires" Nouveau terme qui est apparu depuis quelques années parallèlement à la soumission de la France envers l'oligarchie européenne, et donc au déclin de la souveraineté national, encore un terme qui pue la défaite en sommes. TINA

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