Covid-19 et PME : le plan d’action est en fonds propres

TRIBUNE - Le choc que nous affrontons n'est pas un ralentissement économique classique lié au cycle d'affaires, mais un choc qui n'apparaît qu'une fois tous les siècles. Il faut injecter des fonds propres dans les entreprises, pas de la dette pour faire face à la vague de faillite qui va déferler sur les entreprises. Une proposition émise au niveau européen est à l'étude. Elle doit être doublée d'initiatives au niveau national.
(Crédits : DR)

En France, les PME représentent plus de 70 % de l'emploi des entreprises privées en France, et plus de 10 millions de salariés. La plupart de ces entreprises ont des trésoreries au mieux limitées à quelques mois d'activité. Les mesures très rapides prises par le gouvernement, ont permis de faire face aux problèmes de liquidités et de maintenir l'emploi.

Quelle sera la suite ? Il est évidemment encore tôt pour le dire tant les hypothèses d'évolution du virus sont multiples. Il est très probable que la reprise de l'activité va se faire de manière lente avec de nombreux soubresauts.  Philip Lane, économiste en chef de la Banque Centrale Européenne (BCE), n'envisage pas de retour au niveau d'activité pré-crise avant fin 2023. L'incertitude est donc très importante, s'apparentant plus à celle que l'on observe dans la création ou les premières phases de développement d'une entreprise qu'à une ouverture après une pause estivale.

Les risques d'un financement par dette des PME

Face à un choc complexe d'offre et de demande, une combinaison de politique monétaire et d'intervention fiscale à grande échelle sont nécessaires. En ouvrant le guichet de la BCE et en incitant les banques à prêter, on compte sur le crédit pour soutenir les entreprises. Or comme pour des entreprises en création ou en développement, ce ne sont pas de dette dont les entreprises ont besoin mais de fonds propres. Le financement par dette a de nombreux inconvénients. Il dégrade la structure financière d'entreprises souvent trop endettées avant la crise. Il pousse à des comportements de prise de risque excessif et induit des comportements de sous-investissement. Enfin, il augmente les licenciements et décourage l'embauche de salariés, pesant ainsi sur la demande. La conversion de dette en fonds propres n'est pas garanti, sauf si le chemin de la croissance et des profits est fort. Rien n'est moins sûr.

Des réflexions sont menées en France et ailleurs sur la possibilité de convertir la dette garantie par l'Etat ou des retards de charge en fonds propres. Nous considérons qu'une conversion ex post de la dette en fonds propres ne véhicule pas les mêmes incitations qu'un financement initial en fonds propres. Déjà, il génère des problèmes complexes de transfert de valeur entre les différentes catégories de bailleurs de fonds. Ensuite, la majorité des entreprises chercheront à refinancer leur dette en s'endettant de nouveau. Cela induit des structures financières dégradées avec des effets négatifs sur l'investissement, l'emploi et le capital organisationnel des entreprises. Seules les mauvaises entreprises convertiront, laissant l'Etat (ou les banques ?) avec un portefeuille d'entreprises sous-performant, duquel il sera extrêmement compliqué pour l'Etat de sortir à l'avenir.

La proposition d'un fonds européen est à l'étude

Un projet de fonds d'investissement en fonds propres destiné à soutenir les PME européennes affectées par la crise a été proposé par un groupe de professeurs*. L'intérêt d'un fonds européen est de mieux diversifier les risques. Le mécanisme d'investissement proposé est simple et universel.  Du cash est injecté par le fonds dans les PME contre une participation aux bénéfices futurs, prenant la forme d'une surcharge fiscale sur plusieurs années, avec une possibilité de rachat par l'entreprise. Ce mécanisme d'injection de liquidités s'apparente ainsi à des quasi fonds propres et non à de la dette, dans le sens où il n'y a pas de remboursement mais bien un retour de l'argent investi en fonction du niveau de performance future de l'entreprise.

La crise actuelle a révélé de nouveau les blocages dès qu'il s'agit d'effectuer des transferts entre pays européens. Pour éviter cet écueil, ce fonds est destiné à être rentable. Il serait financé sur le budget Européen, abondé par les pays qui le souhaitent La distribution des fonds aux entreprises se ferait sur la base de l'examen de leur profitabilité récente avant crise et serait effectuée afin d'assurer une bonne diversification du risque et générer une rentabilité correcte. Après un travail important de communication, cette idée est à l'étude à la Commission Européenne. Le développement d'un fonds Européen marquerait la volonté de l'Europe d'apporter une réponse commune à la crise, au-delà de l'action de la BCE.

Il faut parallèlement développer les initiatives nationales

Cette proposition ne doit pas empêcher les Etats de développer leurs propres initiatives. L'Europe doit le permettre et l'encourager. Il est de loin préférable d'endetter les pays à court terme que d'endetter les entreprises. Selon les mots de Jean Monnet, un des pères fondateurs de l'Europe : « l'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises ». Le financement par fonds propres pourrait se faire directement au niveau d'une institution publique nationale, en instaurant un système comparable au système proposé. Une adaptation aux objectifs de politique publique propres au pays pourrait être apportée. Ainsi les titres détenus par l'Etat pourraient être transférés à un prix réduit aux salariés, qui sont aussi les contribuables. L'apport de fonds propres éviterait le chômage et encouragerait l'engagement de tous par un développement de l'actionnariat salarié.

Il faut faire feu de tout bois, avec une seule certitude, c'est qu'il n'y aura jamais trop de fonds propres pour que les entreprises affrontent le choc que nous vivons.

* « Corona and Financial Stability 4.0: Implementing a European Pandemic Equity Fund »,  Arnoud Boot, Elena Carletti, Hans‐Helmut Kotz, Jan Pieter Krahnen, Loriana Pelizzon, Marti Subrahmanyam, 25 April 2020, Vox.eu

Marti Subrahmanyam, est professeur à l'Université de New-York et Christophe Moussu, est professeur à ESCP.

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Commentaires 2
à écrit le 27/05/2020 à 21:19
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Avec cette pandémie nous constatons vraiment les graves problèmes techniques commerciales en ligne pour les sites français ( comme Fnac - darty,) Ils ne livrent pas , ne rendent pas service mais débitent le compte par compte les banques n’ont pas le...

à écrit le 27/05/2020 à 11:18
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Merci pour ces paroles sages car en effet, ce que je dis depuis le début de ces annonces, ces hurlements même de prêts "généreux et abondants" pour compenser des pertes. ET pourtant ce sont censés être des comptables à notre pouvoir, ce qui se fa...

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