D'AZF à Rouen, des autorités dépassées par la « société du risque »

LE POLITISCOPE. En termes de com', l'accident de Rouen fut un véritable désastre. Tour à tour, les autorités sont passées d'un silence assourdissant à la méthode Coué, multipliant signaux contradictoires et infantilisation. Par Marc Endeweld, journaliste (*).
À Rouen, la nuit de la catastrophe, les sirènes d'alerte ne s'enclenchent qu'à 7h10, alors que le feu a déjà démarré depuis cinq heures ! Impréparation des secours, gestion de crise désastreuse... dix-huit ans après l'accident d'AZF à Toulouse, alors que la France compte plus de 1.300 usines Seveso, les pouvoirs publics semblent ne rien avoir appris.
À Rouen, la nuit de la catastrophe, les sirènes d'alerte ne s'enclenchent qu'à 7h10, alors que le feu a déjà démarré depuis cinq heures ! Impréparation des secours, gestion de crise désastreuse... dix-huit ans après l'accident d'AZF à Toulouse, alors que la France compte plus de 1.300 usines Seveso, les pouvoirs publics semblent ne rien avoir appris. (Crédits : Pascal Rossignol)

Quinze jours après la catastrophe de Lubrizol, c'est la peur qui domine à Rouen. Une inquiétude à tous les niveaux : dans la population, bien sûr, mais aussi chez les pompiers qui sont intervenus sur le site, et même parmi les élus locaux. Plus d'une centaine de plaintes ont été déposées. L'émotion des premiers instants a laissé la place à la colère contre les autorités. L'exaspération est telle que l'on a assisté à des scènes de panique, comme lorsque des habitants se sont lancés à l'assaut du bâtiment de la métropole pour demander la démission du préfet alors auditionné... D'autres ont évoqué sur les réseaux sociaux le souvenir de Tchernobyl, pointant par là les mensonges supposés des pouvoirs publics. C'est dire si la confiance est rompue.

Lire aussi : Catastrophe de Lubrizol à Rouen: questions autour de la gestion d'une crise

Un désastre en termes de com'

La seule référence à la catastrophe nucléaire de 1986 montre bien que l'accident de Rouen, heureusement moins grave, est un fiasco en termes de « gestion de crise ». Comme si, en France, à l'heure des réseaux sociaux, il suffisait qu'un préfet, assis à une table, lise un communiqué face à la presse, et réponde benoîtement aux questions, pour rassurer la population. Circulez, il n'y a rien à voir... « Tant qu'on n'aura pas en France intégré la préparation des populations, aussi bien en entreprise que dans la vie privée et qu'à l'école, on aura du mal à dire aux gens "c'est dangereux". Il faut les éduquer à ne pas paniquer, en en faisant des coacteurs de la gestion de la crise », prévient à juste titre dans Ouest-France, Laurent Vibert, ancien porte-parole des pompiers de Paris et patron d'une agence de gestion de crise.

En termes de com', l'accident de Rouen fut donc un véritable désastre. Tour à tour, les autorités sont passées d'un silence assourdissant à la méthode Coué, multipliant signaux contradictoires et infantilisation.

Contradictions et ambiguïtés

Tout commence la nuit de la catastrophe, où les sirènes d'alerte ne s'enclenchent qu'à 7h10, alors que le feu a déjà démarré depuis cinq heures ! Quelques heures plus tard, alors qu'un panache noir s'étend sur plus de 20 kilomètres, recrachant sur les cultures voisines de la suie et des galettes d'hydrocarbures, le ministère de la Transition écologique assure que les premières mesures ne présentent pas « de toxicité aiguë de l'air ». Formule ambiguë.

Le lendemain, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, annonce pourtant que la ville est « clairement polluée ». Contredite à son tour par le Premier ministre, Édouard Philippe, pour qui « la qualité de l'air n'est pas en cause. Les odeurs sont dérangeantes, pénibles, mais pas nocives ». Ce qui n'empêche pas la préfecture d'annoncer l'interdiction de la commercialisation des productions agricoles de la zone touchée. Depuis, le préfet a demandé à Lubrizol de faire cesser les « odeurs incommodantes » à Rouen, car « anxiogènes et déplaisantes », alors qu'Agnès Buzyn a qualifié de « très rassurantes » les premières analyses sur d'éventuelles contaminations des produits alimentaires par des dioxines.

Lire aussi : Lubrizol : la dangerosité des produits partis en fumée posent question

« La négation des risques ne résout rien »

Résultat, face à cette communication hasardeuse, Frédéric Poitou, un ingénieur chimiste, a fini par s'insurger en direct sur BFMTV : « On n'a produit que le centième des analyses de ce qu'on pouvait produire. (...) Là où ça ne va pas, c'est que certains produits sont quasiment inodores et on ne les voit pas. Comme l'a dit le préfet, lorsqu'il n'y a pas de traces, il n'y a pas de pollution. Quand on entend ce genre de choses, c'est absolument scandaleux. »

Dix-huit ans après l'accident d'AZF à Toulouse, les pouvoirs publics semblent ne rien avoir appris. Alors que la France compte plus de 1.300 usines Seveso, on conseille ainsi aux autorités de lire le sociologue allemand Ulrich Beck, auteur en 1986 d'un ouvrage majeur La Société du risque. Sur la voie d'une autre modernité, dans lequel il alertait par ces mots visionnaires : « La négation des risques ne résout rien. Au contraire : ce que l'on considérait comme une politique de stabilisation peut en un rien de temps aboutir à une déstabilisation générale (...) la vieille alliance entre incertitude et extrémisme serait ressuscitée.»

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NOTE SUR L'AUTEUR

Marc Endeweld, auteur de L'ambigu Monsieur Macron (Éditions Flammarion), et de Le grand manipulateur - Les réseaux secrets de Macron (Éditions Stock), tiendra désormais chaque semaine une chronique politico-économique dans La Tribune intitulée "Politiscope".

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Commentaires 2
à écrit le 18/10/2019 à 10:36
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Habitant Rouen, je commence à être exaspérer par tous les articles et commentaires se rapportant à cet accident. Si la gestion de cette catastrophe a été désastreuse par les autorités, cela n'autorise pas les commentateurs et autres journalistes a ra...

à écrit le 18/10/2019 à 9:23
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Non il s'agit d'une question d'anticipation. Encore une fois, la pensée de constat est la alors qu'il me paraît nécessaire de former des équipes multi disciplinaires qui peuvent intervenir en soutien des pompiers sur le terrain, mais aussi avoir l'an...

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