Dans l'éducation, la « basse besogne » continuera d'être faite

OPINION. L'exfiltration, dès la première occasion venue, de l'éphémère ministre de l'Education nationale Amélie Oudéa-Castéra devenait à la fois une évidence et une nécessité. Il fallait simplement que l'opération ne prenne pas (trop) les allures d'un renvoi en bonne et due forme. Par Francis Daspe, secrétaire général de l'AGAUREPS-Prométhée (*)
(Crédits : DR)

La nomination de Nicole Belloubet vise pour partie à redonner un minimum de sérénité que la morgue et le mépris de caste exprimés par sa devancière, tant par ses déclarations à l'emporte-pièce que par ses actes antérieurs réalisés hélas en pleine connaissance de cause, ne permettait plus.

vNicole Belloubet vise à restaurer une certaine sérénité

Pour autant, aucune inflexion dans la politique qui sera menée n'est à attendre rue de Grenelle. Même François Bayrou l'avait très bien compris, estimant qu'il n'aurait disposé d'aucune marge de manœuvre en la matière. Une double conception de la Macronie, de nature purement politique et idéologique, quant bien même serait-elle cernée par la confrontation au réel et assiégée par la montée des contestations, détermine le contenu des orientations fondamentales assignées au service public d'éducation. Celle de la res publica assimilée à une start up nation d'abord ; celle de l'école réduite au triptyque entreprise / marché / marchandise ensuite. La nouvelle ministre ne bénéficiera d'aucun espace d'autonomie significatif, en dehors de quelques sujets relevant du simple cosmétique dans une optique de dérisoires artifices de communication destinés à sauver quelques apparences ou à ménager des égos, ceci pour tenter de donner le change. C'est en effet ce que Nicole Belloubet a laissé percevoir avec netteté à plusieurs occasions. Ainsi, même si elle n'est pas une partisane convaincue des bienfaits des groupes de niveaux ou de l'uniforme, elle devra en organiser l'application pour complaire au duo de l'exécutif. De la même manière, elle devra composer avec les coupes budgétaires qui viennent d'être annoncées, d'un montant de 700 millions d'euros sonnants et trébuchants, avec leur cortège de postes désormais plus financés, handicapant de la sorte l'ambition d'un hypothétique « choc des savoirs » notoirement survendu...

Le projet de société macronien continuera en effet à constituer la toile de fond. Imposition d'une gestion managériale désincarnée, application inconditionnelle de la loi d'airain de l'austérité, invitation aux différentes catégories de personnels à cogérer la pénurie, obsession jamais démentie de démanteler méthodiquement les statuts des enseignants, multiplication d'injonctions paradoxales contribuant à accentuer la perte du sens du métier, poursuite du prof bashing sans doute sous des formes moins grossières que celles utilisées à « l'insu de leur plein gré » par Amélie Oudéa-Castéra ou Jean-Michel Blanquer, apologie de la mise en concurrence des établissements scolaires ou des matières disciplinaires, voici quelques-uns des éléments qui scanderont le quotidien des prochains mois de l'École de la République. Rien de véritablement engageant et mobilisateur pour les différents cercles de la communauté éducative ! Peut-être la nouvelle ministre y apportera-t-elle sa contribution singulière, elle qui a déjà montré son intérêt par le passé pour une « école des territoires » aux antipodes de la conception républicaine de l'égalité territoriale fondée sur des cadrages nationaux, si imparfaits soient-ils en raison des attaques en règle dont ils ont été régulièrement victimes depuis plusieurs décennies. À chaque ministre, ses marottes qui, malheureusement, aggravent la situation au lieu d'en atténuer les dégâts.

Aucun changement significatif dans la politique éducative à prévoir

Nous pouvons, dans la circonstance présente, être certains d'au moins une chose indiscutable. La basse besogne continuera à être effectuée. Elle pourra même se transformer en sale besogne, au regard des méthodes peu regardantes et des stratagèmes peu éthiques utilisés jusqu'alors. C'est qu'entre la basse besogne et la sale besogne le fossé est minime. Il équivaut en réalité à la taille des états d'âme de nos gouvernants et à leur niveau de préoccupation de l'intérêt général... Ils s'évertueront bien à nous faire croire qu'il y aurait des solutions individuelles à des problèmes collectifs de fond qu'eux-mêmes créent et alimentent puissamment, à charge de nous culpabiliser le cas échéant dans l'espoir insensé de s'en dédouaner à bon compte.

L'ultime échappatoire de ce gouvernement minoritaire au sein de l'Assemblée et parmi la population réside dans la volonté d'instiller le virus de la division pour mieux régner. Le piège est pourtant éculé. Ils osent cependant sans la moindre vergogne. Il s'agit pourtant d'une impasse tragique. Quand bien même  ses arguments et ses finalités ne sont pas les nôtres, et encore moins ses calculs politiciens et autres arrière-pensées, François Bayrou n'est pas tombé dans le traquenard, en estimant que « l'Éducation nationale ne peut pas se redresser dans un climat uniquement gestionnaire ». L'École mérite effectivement un autre de projet de société, faisant de l'égalité et de l'émancipation des principes s'incarnant dans le réel et le quotidien. Pas des paravents commodes pour justifier les méfaits d'une caste oligarchique totalement déconnectée des aspirations du peuple.

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Francis Daspe est secrétaire général de l'AGAUREPS-Prométhée et auteur de plusieurs livres sur l'éducation, dont le dernier « Blanquer à l'assaut de l'école de la République. Chronique militante d'un casse et d'une casse. » (Eric Jamet éditeur, décembre 2021). Il est également impliqué dans La France Insoumise.

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