De l'art d'être un élu local à l'heure de la data

OPINION. N’y a-t-il donc que les startups du numérique, les géants de la donnée, les créateurs d’applications grand public pour maîtriser l’usage de l’information ? Les collectivités territoriales semblent condamnées à la passivité ou à la réaction tardive devant les conséquences des nouveaux usages que le numérique produit. Pour que les acteurs publics retrouvent l’audace de la décision, la donnée non personnelle issue des activités des entreprises doit aussi leur être accessible dans un cadre d’échange organisé, sécurisé et économiquement viable. Par *Laurent Lafaye, cofondateur et co-CEO de Dawex.
(Crédits : Damien Meyer/Pool/AFP)

Expression d'une vocation et aventure humaine, le mandat confié aux élus locaux relève de la quadrature du cercle. Représenter les citoyens, agir dans l'intérêt local, délibérer en gestionnaire avisé, arbitrer avec probité, pour un territoire intimement imbriqué aux multiples contextes nationaux et internationaux, requiert des talents d'équilibriste.

A ce cadre protéiforme s'ajoute une transition numérique qui n'a pas bouleversé que l'économie marchande. Elle impacte pleinement la sphère publique, particulièrement sur la question de la donnée qu'elle génère mais aussi sur la donnée qu'elle n'a pas.

Si les grandes entreprises du numérique ont compris très tôt toute la valeur qu'elles pourraient tirer de la donnée, il a fallu attendre une réaction européenne et la structuration de l'open data pour que les acteurs publics s'emparent du sujet.

Une profonde remise en question

Reste que pour proposer des services publics en ligne avec la véritable «Smart City», en passant par la numérisation des bâtiments et des réseaux, les collectivités territoriales ne sont pas toutes égales face aux technologies. Elles doivent en outre agir avec l'action simultanée de nouveaux opérateurs économiques, qui ne sont pas soumis aux mêmes obligations open data que les grands opérateurs historiques et dont les intérêts peuvent heurter directement les questions d'intérêt local.

Face à de très nombreux constats d'impuissance des autorités locales vis-à-vis des nouveaux usages numériques au sens large, les décideurs publics interrogent à juste titre la réalité de l'exercice de leurs compétences et leur capacité à pouvoir encore décider en connaissance de cause.

L'open data encore incomplet

L'état des lieux de la souveraineté et de l'indépendance numérique de la France et de ses territoires est contrasté. Le cadre général de l'ouverture des données publiques et l'accélération de la transformation numérique des services publics ont favorisé le mouvement open data, en particulier auprès des grandes collectivités. C'était une étape indispensable mais elle se montre incomplète.

Les acteurs publics ne disposent d'aucun moyen de connaître l'utilisation qui est faite de la mise à disposition de la donnée et encore moins d'évaluer les besoins en la matière.

En outre, et en dehors des mêmes obligations open data faites aux délégataires et concessionnaires de services publics, la réciproque est absente dans le monde de l'entreprise, qui privilégie l'échange commercial de son information.

De son côté, l'Europe affirme son leadership sur l'enjeu de la protection des données à caractère personnel, lequel a profité d'une importante publicité. Mais moins connue et surtout non contraignante, la réglementation "free flow of non-personal data" a principalement une vocation pédagogique, dans le cadre plus large du marché unique numérique européen.

Si ce choix s'explique par la volonté de la Commission européenne de ne pas alourdir la charge des opérateurs, des textes plus incitatifs et contribuant à une meilleure circulation de l'information favoriseraient l'accès à la data par le secteur public notamment.

Parallèlement, le vote du Cloud Act américain montre à quel point l'enjeu des prochaines années se concentrera sur les besoins de gouvernance, d'échange, de valeur et de circulation de la donnée.

Ces aspects, c'est important de le comprendre, sont au cœur du pouvoir de gestion et de décision des acteurs publics. Or, pour l'heure, les rapports entre le secteur public et les acteurs économiques restent encore trop déséquilibrés.

De l'urgence d'infrastructures essentielles de la donnée

En dépit de l'absence d'une réglementation contraignante applicable à la circulation de la donnée non personnelle, de nombreux exemples montrent que des acteurs de filières ont su s'organiser pour reprendre la main sur leurs données jusqu'ici exploitées par d'autres.

Le secteur de l'agriculture ainsi a très tôt appris à partager son information entre exploitants, tout en la sécurisant techniquement, dans un cadre contractuel clair et explicite. D'autres organisations partageant un intérêt réciproque se réunissent maintenant au sein d'un écosystème public - privé très favorable, respectant les règles et les principes qu'ils se sont fixés.

C'est aussi par la mise en place d'un espace de confiance indispensable à la circulation de l'information que l'acteur public maintiendra sa souveraineté et son indépendance sur son information. En prenant le rôle de tiers de confiance, il peut initier à la hauteur de ses attentes une infrastructure à la fois technique, contractuelle et économique dans laquelle chaque participant identifié peut accéder à la donnée et en fournir. Ce sera demain le cadre nécessaire à la passation de marchés publics innovants et de partenariats d'innovation, dont la concrétisation passe par la fourniture de données publiques et privées fiables, sourcées et sécurisées.

La circulation et le partage de la donnée s'imposent au-delà des textes pris en leur faveur. Ce sont des principes fondamentaux, à appliquer pour qui veut évaluer la valeur de son information et en tirer intelligemment parti. Les nouveaux décideurs publics seront ceux qui créeront les conditions de ce partage et sauront l'organiser au bénéfice des territoires qu'ils administrent et de la population toute entière.

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