Décarbonation du transport de marchandises : le secteur routier a du chemin à faire

OPINION. Le temps industriel est différent du temps politique et la décarbonation a un coût et un temps... Par Bruno Kloeckner, Directeur Général de XPO Logistics
(Crédits : DR)

Il y a urgence ! D'ici 2025, la quasi-totalité des villes françaises seront équipées de zones à faibles émissions (ZFE), or plus de 98% des 616.500 poids lourds actuellement en circulation utilisent du diesel. Les camions représentent près de la moitié de ces poids lourds, et à ce jour, seulement 53% d'entre eux répondent aux CRIT'AIR E, 1 ou 2(1). Le secteur du transport routier est-il prêt pour cette transition ?

Il y a beaucoup à faire. À sa décharge, ce secteur se heurte à un certain nombre de freins : manque d'attention politique et délais de fabrication des véhicules plus long, notamment. De nombreuses solutions sont entre les mains de décideurs extérieurs au secteur, qui ne mesurent peut-être pas pleinement les défis que représentent les pénuries de carburant, la difficulté de financement des flottes commerciales à faibles émissions et le manque d'aides suffisantes à la décarbonation des opérations de transport de marchandises. Les représentants de la filière sont régulièrement reçus par le gouvernement pour évoquer ces questions, mais les avancées restent limitées. L'heure est venue d'agir, en commençant par des signaux forts indiquant que des aides seront apportées.

Aujourd'hui, lutter contre le changement climatique n'est plus une option. Les poids lourds sont responsables de 24% des émissions de gaz à effet de serre du secteur du transport routier en France, et le gouvernement s'est engagé à réduire les émissions de GES de 35% d'ici 2030(2) et à porter le nombre de ZFE à 45, contre 12 aujourd'hui. Le secteur n'a pas de solution unique et systématique à adopter pour respecter ce calendrier. Dans deux ans, près de quatre camions sur dix risquent d'être exclus de l'accès aux ZFE(1).

Conscients de l'importance de ces enjeux, certains transporteurs lancent des initiatives afin de réduire les émissions au niveau de l'entreprise. Il s'agit notamment de former à l'écoconduite, brider les moteurs pour limiter la vitesse, assister les collaborateurs avec de nouvelles technologies, optimiser les chargements, mais aussi et surtout renouveler le parc automobile au profit de véhicules utilisant des sources d'énergie alternatives.

Un décalage entre temps industriel et temps réglementaire

Aujourd'hui, un camion électrique peut coûter trois à quatre fois son équivalent diesel. Les subventions disponibles sont lentes à venir et sont généralement loin de couvrir la charge financière. Poussées par la nécessité d'agir plus rapidement, les entreprises de transport les plus innovantes mettent en place des stratégies pour trouver des moyens de contourner ces obstacles.

D'autres aides pourront se matérialiser à l'avenir, mais si les entreprises de transport veulent satisfaire aux exigences des ZFE dans les délais prévus, elles doivent passer commande de véhicules alternatifs au diesel et investir dans de nouvelles infrastructures dès maintenant. Les capacités de production sont encore limitées, les délais sont longs et la production annuelle ne répond pas aux besoins de ceux dont la flotte compte des centaines ou des milliers de véhicules.

Au niveau macro, la double dynamique de l'inflation et de la crise de l'énergie entraîne une réorientation de l'aide gouvernementale vers le diesel. Cela répond à un besoin immédiat, mais ne tient pas compte de la nécessité de signaux forts de la part du gouvernement concernant les énergies alternatives. En l'état actuel des choses, les objectifs ambitieux qu'il se fixe pour les immatriculations des poids lourds à faibles émissions semblent inatteignables.

La formation : une composante essentielle de la solution

Les progrès sont plus marqués dans le domaine de la formation, où les récentes initiatives du gouvernement apportent plus de lisibilité sur l'électrique, le gaz naturel liquéfié (GNL), le biogaz, l'huile végétale hydrogénée (HVO) et le B100. Chaque énergie correspond à des usages différents et nécessite une connaissance spécifique. Le gaz, par exemple, est adapté à la circulation en centre-ville, car il limite la pollution aux particules fines, particulièrement nocives pour l'homme. En revanche, le gaz ne réduit pas les émissions de CO2, contrairement aux véhicules électriques.

Les options se multipliant pour les chargeurs, les équipes commerciales des transporteurs désormais être capables de conseiller leurs clients sur le choix d'énergies optimum, adaptées selon le trajet, les éventuelles restrictions réglementaires, et les possibilités d'approvisionnement qui varient selon les régions. Quelques entreprises de transport sont pionnières dans cette approche de conseil et on peut s'attendre à ce que la demande augmente avec le développement de solutions multimodales et multi-énergies. Le secteur du transport routier joue en effet un rôle majeur en offrant aux clients de nouvelles options de transport utilisant plusieurs énergies pour déplacer leurs produits - comme les combinaisons route, rail, mer et fleuve - afin d'optimiser chaque étape du voyage.

Nous entrons dans l'ère des multi-énergies

Ce qui se joue est essentiel pour le transport routier : le secteur doit accélérer sa transition d'un système mono-énergétique - le diesel - à un système multi-énergies. Ce changement de paradigme devrait encourager les transporteurs à revoir l'ensemble de leur stratégie en adaptant leur flotte mais aussi l'ensemble de leurs opérations, de la logistique à la formation en passant par la technologie et la facturation. C'est la seule façon de relever avec succès les défis de la décarbonation à long terme.

À court terme, cette transformation émergente peut être amplifiée par des changements de process. Par exemple, les émissions de carbone peuvent être considérablement réduites en améliorant la façon dont les camions sont chargés - trop de camions partent avec une charge partielle pour répondre aux demandes des consommateurs qui souhaitent des délais de livraison plus courts. Un camion plein, empruntant un itinéraire optimisé est plus économe en énergie, quel que soit le type de carburant. De grands progrès ont été réalisés par les spécialistes du secteur pour optimiser le chargement et l'acheminement et digitaliser le tracking.

Le secteur du transport routier participe volontiers aux profonds changements - stratégiques, structurels et réglementaires - qui contribueront à définir les actions en faveur du climat en France dans les années à venir. Les entreprises de transport savent qu'il y a encore beaucoup de travail à faire. En pensant "multi" plutôt que "mono", en privilégiant le temps long, le secteur aura un rôle clé à jouer pour permettre à la planète de se régénérer.

__________

(1) SDES - Données sur le parc automobile français au 1er janvier 2022.
(2) Ministère de la transition écologique - objectif de réduction par rapport à 2015

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Commentaires 2
à écrit le 17/02/2023 à 14:57
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Les camions à essence seraient Crit'Air 1 mais on n'en fabrique pas, ça consommerait trop vs la puissance utile ? Pourquoi n'y a-t-il pas de camions à essence ? Voire E85, flex-fuel. Je me demandais pourquoi y a un bouton 'camion' sur les pompes gaz...

à écrit le 16/02/2023 à 16:17
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La relocalisation de l'essentiel est une priorité pour éviter les déplacements inutiles !

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