Défense européenne : finissons-en avec la fragmentation de la base industrielle et technologique de défense européenne !

OPINION. La conférence de Munich sur la sécurité 2024, à laquelle j'ai eu l'occasion de participer, n'a pas dissipé les inquiétudes sécuritaires en Europe. La conjoncture politique actuelle, avec le possible retour de Donald Trump plus isolationniste que jamais, ne doit pas nous tromper sur le changement d'époque que nous vivons dans nos relations multilatérales de plus en plus dégradées. Par Sabine Thillaye, Députée Indre-et-Loire (5e circonscription) (MoDem et Indépendants).
(Crédits : DR)

L'UE et ses États membres ont longtemps négligé les sujets de défense, préférant profiter des dividendes de la paix et s'appuyer sur la superpuissance américaine. Les États-Unis, gendarme du monde, ont toujours maintenu un haut niveau de dépenses dans leurs armées et un outil industriel suffisamment robuste.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes

Les exportations d'armement américaines s'élèvent en 2023 à 238 milliards d'euros, 40% des exportations mondiales. Les dépenses militaires des pays de l'UE atteignaient 270 milliards d'euros en 2023, contre 858 milliards d'euros pour les États-Unis la même année. Même si le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a été un choc pour les pays européens, réalisant que le budget de leurs armées ne peut plus être une simple variable d'ajustement, la plupart ont consacré moins de 2% de leur PIB à leur budget de défense en 2023.

De son côté, l'UE multiplie les initiatives pour fortifier la posture de la défense européenne. Seulement, depuis 2022, 78% des acquisitions de défense des États membres ont été effectuées en dehors de l'UE, 63% provenant directement des États-Unis. En 2019, l'Europe c'était : 17 types de chars de combat lourds ; 29 types de destroyers et de frégates et 20 types d'avions de chasse différents. Pour les États-Unis, la cohérence est de mise : un seul type de char de combat lourd ; 4 types de destroyers et de frégates et 6 types d'avions de chasse.

Soyons lucides

Si nous voulons à terme construire une véritable défense européenne autonome des États-Unis, il faut mettre fin à cette fragmentation capacitaire en privilégiant l'armement européen et en augmentant de manière significative nos capacités de production.

Cet élan pourrait être donné par la Commission européenne qui, le 5 mars 2024, a présenté sa stratégie industrielle de défense européenne (EDIS) pour accroître la production militaire européenne à l'horizon 2030. Trois objectifs sont clairement visés :

  • Augmenter l'achat de défense intra-UE pour qu'il représente au moins 35% du marché total de la défense en Europe d'ici 2030 ;
  • Encourager les États membres à allouer au moins 50% de leur budget de défense à des acquisitions au sein de la BITDE d'ici 2030 et 60% d'ici 2035 ;
  • Intensifier la collaboration entre les nations pour que 40% des achats d'équipements de défense soient réalisés conjointement d'ici 2030.

Pour nous rendre compte du chemin qu'il nous reste à parcourir, il suffit d'observer le théâtre de guerre ukrainien. Les Ukrainiens utilisent en moyenne 100.000 obus par mois. Il faudrait qu'ils en produisent 250.000 de plus par mois pour atteindre une efficacité maximale sur le terrain. De leur côté, les Européens ont une capacité de production de 25.000 obus par mois. L'EDIP porte l'ambition de production à 1,4 million d'obus par an en 2024 et 2 millions d'ici fin 2025.

La montée en puissance de notre BITDE sera longue et coûteuse, mais, à terme, une plus grande coopération des Européens pourra nous permettre d'économiser 24,5 à 75,5 milliards d'euros par an selon une étude du Parlement européen.

Soyons sans illusion

La guerre en Ukraine n'est pas à nos portes, elle est déjà chez nous : manipulation de l'information, désinformation massive, cyberattaques sur les infrastructures sensibles civiles et militaires, ingérence ... La guerre hybride n'est pas une chimère, mais une réalité. Nous ne pouvons plus nous permettre de tergiverser sur la nécessité d'aller vers une véritable défense européenne. Pour une défense européenne efficace face à la haute intensité, il nous faut des armées européennes parfaitement interopérables, évoluant sur les mêmes types d'armement et soutenues par une BITD solide.

Dès demain, et contre cette fragmentation qui nous désunit, les États membres devront donc « investir davantage, mieux, ensemble, et européen ».

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Commentaires 3
à écrit le 11/04/2024 à 17:46
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Ils serait temps !

à écrit le 11/04/2024 à 14:16
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Oui, ce serait bien, mais ça ne fonctionne pas ainsi parce qu’une analyse rationnelle prouve que c’est la bonne voie. Cela ne fonctionnera que si les européens ont confiance les uns dans les autres. La clef de voûte de la confiance repose sur des bom...

à écrit le 10/04/2024 à 15:03
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Les peuples qui composent "l'Union Européenne" n'ont aucune confiance vis a vis de la classe sociale qui a pris le pouvoir en coalition !

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