Des bonnes intentions de la directive CSDD aux réalités de la mondialisation

OPINION. Connue sous l'acronyme CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence), la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises vise à responsabiliser les sociétés dans la gestion de leurs chaines d'approvisionnement. Après une longue séquence de consensus politique et la surprise d'un premier vote négatif, les Vingt-Sept viennent finalement de valider une version moins contraignante. La prochaine étape est celle du Parlement européen, qui devra voter le texte avant les élections. Par Pierre Theobald, senior manager chez Finegan
(Crédits : DR)

En France, la loi de 2017 a instauré un devoir de vigilance. En pratique, le législateur français exige un dispositif complet dans un champ d'application large. Le texte vise toutes les multinationales françaises employant 5.000 salariés en France ou 10.000 dans le monde. La moralisation de ces dernières y trouvait ainsi un premier régime juridique, circonscrit au droit français, mais voué à inspirer. C'était chose faite en 2021 : le Parlement européen actait le principe d'une directive.

 Peu explicite dans ses attendus, la loi française souffre d'une nature incantatoire. Combinée depuis 2016 à la loi « Sapin 2 » pour la transparence et la lutte contre la corruption, le devoir de vigilance est venu généraliser la responsabilisation des entreprises et poser les bases d'un cadre commun au traitement de ces risques. La directive CSDD reprend le flambeau au niveau européen et répond aux lacunes françaises en améliorant les définitions juridiques, qui matérialisent pour l'entreprise et le juge, la vigilance attendue. Elle introduit notamment la notion d'incidence négative, y compris potentielle, comme facteur de responsabilité et renvoie à une longue liste de normes internationales sur les droits humains et environnementaux.

Un tel catalogue juridique va indiscutablement éclairer les futures procédures de vigilance, mais on peut s'interroger sur l'ampleur de cette liste et la capacité des entreprises à tout couvrir. Il faut aussi noter, qu'en transposant dans la directive CSDD ces textes internationaux, l'Union européenne sort de son propre droit. Elle aurait pu se référer à sa Charte des droit fondamentaux ou au mieux disant des droits nationaux des Vingt-Sept. Or, en préférant les traités internationaux pour établir le régime de responsabilité européen, elle reprend à son compte l'esprit universaliste du texte français. À quand un traité international sur le devoir de vigilance ?

Des bonnes intentions aux réalités

Finalement la dernière version de la directive ne vise plus que les sociétés de plus de 1000 salariés, avec un chiffre d'affaires de 450 millions d'Euros. Si bénéficier d'un cadre harmonisé est une amélioration en soi, comment ne pas y voir une distorsion de concurrence au profit des économies non européennes ? La directive instaure un désavantage objectif pour les entreprises du continent. Les coûts de mise en conformité risquent de passer en pure perte, sauf à valoriser la transformation sociale sous-jacente. La Chine et les Etats-Unis vont-ils s'aligner sur de telles contraintes ? En attendant ce grand soir du commerce international, les entreprises européennes risquent de porter seules la charge de la vigilance.

L'impact de la directive CSDD reste à donc prouver. Voter à Paris ou Bruxelles a-t-il un impact en Inde ou au Pakistan ? Non ! Légitimes et universelles d'un point de vue européen, nos valeurs ne sont pas automatiquement transposables ailleurs. Les bonnes intentions ont leurs limites et la mondialisation n'est pas autre chose qu'une optimisation des facteurs de production. C'est sa raison d'être. Quant à la portée de cette directive, elle se mesure à l'aune des nombreux textes internationaux plaidant pour davantage d'humanisme. Loin des réalités, il est donc probable que la directive CSDD échoue dans ses ambitions. Au passage, elle va pénaliser les entreprises européennes, par des coûts et des procédures supplémentaires, dont la valorisation par le consommateur demeure très incertaine. Probablement faut-il en conclure, que c'est l'intention qui compte...

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Commentaire 1
à écrit le 26/03/2024 à 8:04
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"Les coûts de mise en conformité risquent de passer en pure perte, sauf à valoriser la transformation sociale sous-jacente. La Chine et les Etats-Unis vont-ils s'aligner sur de telles contraintes ?" Attention, nous voyons bien qu'argent public et pri...

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