Épargne et actionnariat salariés : quels seront les impacts de la loi Pacte ?

Le gouvernement a annoncé des objectifs ambitieux pour la loi Pacte (Projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises). Qu'en est-il en matière d'épargne et d'actionnariat salariés ? La CFE-CGC Orange, 1re organisation syndicale d'un grand groupe et très impliquée sur le sujet, a passé le projet de loi au crible. Par Hélène Marcy, Stéphane Gourriou et Sébastien Crozier (*)

Plans d'épargne pour la retraite

La volonté de sécuriser l'épargne retraite des salariés est louable. On ne peut cependant rien évaluer à ce stade : les règles qui régiront les dispositifs concernés en matière de gouvernance des fonds, association des salariés aux prises de décisions, mise en place des produits, modalités de gestion et régime juridique applicable, sont renvoyés à de futures ordonnances, qui évacuent tout débat démocratique.

  • Harmonisation, transférabilité, choix du mode de sortie : 3 fois oui

La mise en cohérence des 4 dispositifs d'épargne retraite existants : Plan d'Épargne pour la Retraite Collectif (Perco), Plan d'Épargne Retraite d'Entreprise (PERE), dispositifs dits « article 83 », souvent réservés aux cadres supérieurs dans les entreprises, et dispositifs « Madelin », dédiés aux travailleurs indépendants non-salariés, est mieux documentée.

Permettre aux travailleurs de transférer leurs avoirs d'un plan d'épargne retraite vers un autre au fil de leurs changements professionnels est une mesure positive, qui évitera à chacun l'empilement des plans aux règles différentes au sein desquelles il est complexe de se repérer.

On se réjouira également que les titulaires conservent le choix d'une sortie en capital ou en rente viagère pour tous les versements volontaires ou issus de l'épargne salariale (intéressement, participation, abondements de l'employeur). En effet, compte tenu de la récence de ces dispositifs, le montant des rentes viagères reste anecdotique (quelques dizaines d'euros par mois, souvent moins), tandis qu'un capital de 15 à 20 000 euros constitue un apport appréciable, par exemple pour acquérir ou rénover sa résidence principale, qui constitue aussi une garantie pour la retraite.

  • À trop flécher l'épargne salariale vers le Perco, on risque d'en détourner les salariés

Certains observateurs voient dans la loi Pacte une inflexion vers la retraite par capitalisation, qui serait en effet un danger, démontré par quelques expériences malheureuses hors de nos frontières. La répartition apparaît comme le seul principe capable de garantir la solidarité entre les générations, mais aussi des plus favorisés vers les moins favorisés : si nous voulons continuer de « faire société », il ne peut être question de renvoyer systématiquement le citoyen à sa responsabilité individuelle.

La capitalisation ne doit donc rester qu'un complément optionnel. À ce titre, il n'apparaît pas judicieux d'abroger l'article L3334-5 du Code du travail, pour permettre aux entreprises de créer un Perco, bloqué jusqu'à la retraite, sans avoir mis en place un plan d'épargne à horizon plus court. C'est prendre le risque que les salariés boudent toute épargne d'entreprise : le blocage jusqu'à la retraite constitue un frein majeur au versement de son intéressement ou de sa participation dans un plan d'épargne salariale. Le Sénat, qui vient d'examiner le projet en Commission spéciale, nous suit sur ce point, et sauf nouvelle modification, il restera nécessaire de disposer d'un PEG (avoirs bloqués pendant 5 ans) pour mettre en place un Perco.

  • Ne pas durcir les règles de sortie anticipée du Perco

Le gouvernement avait promis de ne pas durcir les conditions de sortie du Perco, pour ne pas décourager la souscription. L'article 20 du projet de loi prévoyait la sortie anticipée en cas de décès, d'invalidité, de surendettement ou d'absence de ressources pour assurer la vie quotidienne, et pour l'acquisition de la résidence principale. La construction et la remise en état de la résidence principale, actuellement en vigueur pour le Perco, avaient été supprimées du texte. Elles sont partiellement réintroduites par les amendements examinés au Sénat, pour l'adaptation de la résidence principale à la perte d'autonomie, et la remise en état suite à une catastrophe naturelle. Il est regrettable de complexifier et de durcir les textes... alors qu'il aurait été tellement simple de ne rien modifier !!

Actionnariat salariés

  • L'article 59 de la loi Pacte vise à développer l'actionnariat salarié.

Les mesures proposées sont cependant modestes... et toutes issues d'amendements parlementaires : possibilité d'augmenter les décotes consenties sur le prix des actions (amendement 1629) lors des augmentations de capital, et clarification des règles de plafonnement des Attributions Gratuites d'Actions (AGA) par l'amendement 1636.

  • Les salariés actionnaires doivent exercer librement les droits de vote attachés aux actions qu'ils détiennent

Lorsque les personnels détiennent des actions de leur entreprise au sein d'un fonds commun de placement d'entreprise (FCPE), c'est le Conseil de surveillance du fonds qui exerce les prérogatives liées à la détention d'actions, en particulier le vote des résolutions présentées par le Conseil d'administration à l'AG des actionnaires, et éventuellement la proposition de résolutions alternatives. Malheureusement, dans l'état actuel de la loi, ce sont souvent les représentants de l'entreprise, présents dans ces Conseils de surveillance, qui font le vote.

Deux amendements issus de l'Assemblée nationale réglaient le problème... à condition d'être adoptés tous les deux : l'amendement 1801 prévoit que les représentants des salariés actionnaires constituent au moins la moitié des membres votant dans les Conseils de surveillance, tandis que l'amendement 1476 mettait fin aux conflits d'intérêts en indiquant que « pour l'exercice des droits de vote attachés aux titres émis par l'entreprise, les opérations de vote ont lieu hors la présence des représentants de l'entreprise. » (article 59ter).

Malheureusement, le patronat souhaite revenir sur ces dispositions... et pourrait y parvenir. Si l'amendement 1801 est maintenu, le très habile amendement COM-458 modifie profondément l'article 59ter, remplaçant la notion d'exercice des droits de votes attachés aux titres par une modification des règles de composition des Conseils de surveillance. En une seule petite phrase qui stipule que « d'une part, les salariés représentant les porteurs de parts sont élus sur la base du nombre de parts détenues par chaque porteur et d'autre part, le président du conseil de surveillance a voix prépondérante en cas de partage des voix. », cet amendement évacue les organisations syndicales des Conseils de surveillance, et laisse les représentants de l'entreprise voter sur les résolutions. Le fait que le Président du conseil de surveillance ait voix prépondérante ne garantit en rien qu'il ou elle ne sera pas « convaincu » par les représentants de l'entreprise d'adopter toutes les propositions du Conseil d'administration et uniquement celles-là.

Si la version de l'Assemblée nationale n'est pas maintenue pour la rédaction de l'article 59ter, les conflits d'intérêts persisteront, et les investisseurs pourront à juste titre se plaindre que les entreprises utilisent l'actionnariat salariés pour faire de l'autocontrôle déguisé.

  • Cessions des participations de l'Etat : peau de chagrin pour les personnels !

L'article 60 de la loi Pacte modifie les règles concernant les Offres Réservées aux Personnels (ORP) lorsque l'Etat se désengage des entreprises à capitaux publics.

La loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations prévoyait des dispositions particulièrement attractives, qui ont été appliquées aux personnels de France Télécom lors des opérations de privatisation de 1997 et 1998.

L'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique a abrogé toutes ces dispositions. La CFE-CGC Orange s'est battue pour les faire rétablir. Elles l'ont été, partiellement, dans la Loi Macron du 6 août 2015, via l'article 32-1 : décote et délais de paiement peuvent désormais être mis à la charge de l'entreprise...mais les actions gratuites ont disparu. Ces nouvelles dispositions étant plus floues, Bpifrance a pu se soustraire à la prise en charge de toute ORP dans le cadre de sa dernière cession de titres Orange, se défaussant intégralement sur l'entreprise pour organiser ultérieurement une opération... qui lésait les personnels français.

  •  Désormais, l'Etat veut bien encaisser le prix des cessions... mais pas payer les ORP !

Ce qui n'était qu'une possibilité dans la loi Macron de 2015 devient la règle : tous les avantages consentis aux salariés seront financés par l'entreprise.

Et en faisant définir par décret séparé les seuils de cession « significatifs » donnant lieu à l'organisation d'une ORP, il est d'ores et déjà évident que l'Etat s'organisera pour passer le plus souvent possible « sous les radars ». Le Conseil d'Etat ne s'y est d'ailleurs pas trompé : dans l'article 92 de son avis sur le projet de loi Pacte, il indique que la fixation de ces seuils pourrait tout simplement « vider cette obligation de l'essentiel de sa portée ». On ne saurait être plus clair !

La CFE-CGC Orange a fait part de ses analyses et de propositions d'amendements à plusieurs parlementaires. Souhaitons qu'elles soient prises en compte dans les textes définitifs.

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* Par Hélène Marcy, représentante au Conseil de Surveillance des fonds de l'Épargne salariale d'Orange, Stéphane Gourriou, président de l'Association pour la Défense de l'Épargne et de l'Actionnariat Salariés (ADEAS), et Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC Orange.

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Commentaires 2
à écrit le 29/03/2019 à 12:49
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une loi Pacte votée en fin de séance de nuit à L'Assemblée Nationale avec 57 députés présents est effectivement la preuve donnée de son importance . notre démocratie parlementaire affiche là toute sa valeur et le gage de sérieux de sa représentatio...

à écrit le 30/01/2019 à 9:03
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La CFE-CGC Orange est beaucoup plus à l’aise pour disserter sur les gros sous avec les dirigeants en toute complicité, son registre habituel, que pour défendre les salariés en souffrance, ce qu’elle ne fait pas. Ces derniers ne peuvent pas du tout co...

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