Fâcheux malentendus concernant l'épargne des ménages

OPINION. En économie, les termes les plus employés ne sont pas nécessairement les mieux compris. Ainsi en est-il de la notion d'épargne et, plus spécifiquement, de l'épargne des ménages. On cite souvent les Français comme champions de l'épargne parce que leur taux d'épargne par rapport à leur revenu est élevé (environ 15%), mais à quoi servent vraiment les quelque 200 milliards d'euros associés à ce flux par nos comptables nationaux ? Par André Babeau, professeur des universités.
(Crédits : CC0 Creative Commons/Pixabay.)

Il existe pourtant une définition rigoureuse de cette épargne. Excédent du revenu sur la consommation, il s'agit de la composante principale de la croissance en volume (hors évolution des prix) des actifs patrimoniaux des ménages, nets de leur passif. La croissance du patrimoine ainsi définie peut donc aussi bien provenir de celle des actifs financiers ou non financiers des ménages, que de la réduction de leur passif. Il y a donc bien trois types d'épargne.

Pourtant, quand la presse économique commente l'évolution de l'épargne des ménages, elle oublie constamment deux de ces emplois et n'en commente qu'un : l'évolution de leurs seuls placements financiers. Jamais un mot sur la contribution de l'épargne courante à la constitution des « apports personnels » à l'occasion de l'acquisition d'actifs non financiers et moins encore sur les remboursements d'emprunts effectués au cours de la période considérée. Précisons que ce type « d'oubli » n'est pas spécifiquement français, mais qu'il est, à proprement parler, universel.

Un manque de données disponibles

Quelle est la raison d'une lacune aussi grave et aussi générale ? Si les informations existaient dans les deux domaines oubliés, la presse bien évidemment les commenterait. Or nulle part les instituts statistiques ne publient d'informations sur le financement des apports personnels par l'épargne courante, pas plus que les banques centrales ne fournissent de statistiques sur le poids des remboursements d'emprunts dans cette même épargne.

Là encore, il doit bien y avoir une raison, car si de telles informations étaient aisément accessibles, les institutions concernées les publieraient, évidemment. La raison est simple : ces statistiques ne peuvent être obtenues qu'en rapprochant un très grand nombre de sources dont certaines, même à l'heure des big data, sont inexistantes. Chacun des trois types de décisions mentionnés ci-dessus peut, en effet, être financé non seulement par l'épargne courante et le recours au crédit, mais aussi par des opérations de gestion de patrimoine aujourd'hui ignorées de tous. Par exemple, au moment de la retraite dans les pays avancés, la réduction de la taille du logement peut permettre le remboursement anticipé d'emprunts ou la constitution d'une rente viagère.

Pour un pays comme la France, en l'état actuel de nos connaissances, il faut alors enchaîner plusieurs conjectures pour arriver à la conclusion que, peut-être, les remboursements d'emprunts pourraient représenter près de 40% du flux d'épargne des 200 milliards mentionnés plus haut, la part des placements financiers étant du même ordre de grandeur et le solde contribuant à la formation des « apports personnels ». Ainsi, si les Français sont, comme on dit à satiété, les « champions de l'épargne », ce pourrait être en raison du poids des remboursements.

La BCE doit orchestrer les travaux nécessaires à la mise en parallèle des données

Deux conclusions ressortent clairement de ce qui précède. La première concerne l'avenir : il faut dès maintenant que, par exemple, la BCE en liaison avec Eurostat lance auprès des ménages et des établissements de crédit des enquêtes suffisamment complètes et précises pour permettre la mise en correspondance des trois modes de financement (épargne courante, crédit, épargne pré-constituée) avec les trois types d'affectation de l'épargne courante que nous avons distingués (épargne financière, épargne non financière, remboursements). Il y faudra probablement un lustre.

La seconde conclusion est pour aujourd'hui : sous peine d'incohérence, il faut bien sûr se garder de rapprocher des commentaires concernant les seuls actifs financiers des ménages de leur taux d'épargne macroéconomique qui, quant à lui, couvre les trois affectations de cette épargne.

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Commentaire 1
à écrit le 24/01/2019 à 11:05
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La nouvelle donne veut que l'on investisse son épargne, non pas pour faire des bénéfices, mais, pour limiter ses pertes futures! La sécurité remplace la confiance!

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