Foodtech : quelles perspectives pour la souveraineté alimentaire ?

OPINION. En 1966 sortait un classique de la littérature de Science-Fiction : Soleil Vert, une dystopie qui imaginait les conséquences pour les habitants de New York d'une surpopulation et d'une surexploitation des ressources mondiale en 2022. Par Alison Imbert, Directrice d'Investissement à Partech
(Crédits : Isabelle Tresson)

Dans une ville surpeuplée la température ne descend jamais sous les 33°C, les habitants souffrent de la faim et la nourriture issue de l'agriculture devenue rare n'est réservée qu'à une élite riche. Nous sommes en 2022 et heureusement pour les habitants de New York, la situation n'est pas aussi sombre. Cependant, les effets du réchauffement climatique, l'accroissement démographique et plus récemment la guerre en Ukraine remettent en avant le sujet de l'exploitation des ressources naturelles et ravivent les craintes de pénuries alimentaires.

Partech, en tant que fonds de capital risque, cherche à identifier des tendances de fond au sein de la Foodtech qui pourraient permettre de nourrir une population mondiale grandissante en étant plus respectueux de nos ressources sans avoir à recourir au fameux Soleil Vert de Soylent Industries.

Des applications au service de la chasse au gaspillage alimentaire

Aujourd'hui on estime que 30% de la nourriture produite chaque année est jetée. Ce gaspillage a lieu à tous les niveaux, de la production à la distribution mais aussi au sein des ménages, et serait même responsable de 10% des émissions de gaz à effet de serre dans les pays développés.

Face à ce constat des startups se sont créées : en Europe, Too Good to Go lancée à Copenhague dès 2015 est devenue une référence auprès de nombreux consommateurs européens en permettant via son application l'accès à des invendus de grandes surfaces à prix cassés. En France, Phénix s'est spécialisé dans la mise en relation entre des associations (les Resto du Cœur, etc.) et des Grandes Surfaces. Ces start-ups permettent ainsi de sauver des dizaines de millions de repas chaque année rien qu'en France et continue à innover pour offrir de nouvelles solutions contre le gaspillage alimentaire. Plus en amont, Hors Normes, lancé en 2020, propose par exemple des paniers de légumes et fruits hors format qui ne peuvent être vendus en Grande Surface.

Une nouvelle vague dans les alternatives végétales à la viande

Depuis 50 ans, la consommation mondiale de viande a été multipliée par trois. Or, cette source de protéine majeure pour nombre de Français est très gourmande en ressources : selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement, trois à dix kilos de protéines végétales seraient nécessaires pour produire un seul kilo de protéine animale, et c'est ainsi que plus de 70% des céréales produites dans le monde sont utilisées pour l'élevage.

Conscient de ces enjeux, 30% des Européens ont fait le choix de diminuer volontairement leur consommation de viande sans pour autant se déclarer végétariens. Pour ces consommateurs, ce changement de régime n'est pas aisé et des startups proposent des alternatives à la viande, produites à base de protéines végétales.

Apparues à la fin du XIXe aux Etats-Unis - l'un des précurseurs ne fut autre que le Dr John Harvey Kellogg lui-même, végétarien et créateur de la fameuse marque de corn-flakes - la production d'alternatives à la viande n'a réellement pris son essor que dans les années hippie 1960-70 en lien avec l'apparition des mouvements végétariens en Californie. On a ainsi vu apparaître les premiers « steaks végétaux » fabriqués à base de soja, de pois ou de champignons. Longtemps réservé à un marché de niche, ces produits - souvent loin d'imiter la saveur de la viande - ont connu récemment des progrès importants, afin de satisfaire un public plus large et moins disposés à transiger sur le goût et la texture.

En 2021, ce sont près de 5 milliards de dollars qui ont été investis dans le secteur afin de développer des recettes innovantes et de se rapprocher de saveurs bien connues ; on retrouve ainsi aujourd'hui des équivalents végétaux de steak de bœuf, de nuggets de poulet ou même de lardons.

L'américain Beyond Meat a été précurseur de cette nouvelle vague et ses steaks végétaux sont désormais bien connus aux USA. En France, la marque Garden Gourmet de Nestlé se retrouve de plus en plus dans nos rayons au côté de belles startups françaises comme LaVie, ou HappyVore.

Mais au-delà du goût, une question se pose souvent aux consommateurs tentés par ces alternatives à la viande : quand est-il de la qualité nutritionnelle de produits par nature transformés ? La question est légitime quand on regarde la longueur de certaines listes d'ingrédients, mais les progrès sont notables. Par exemple, une marque comme LaVie et son bacon végétal (qui a fait le buzz récemment avec sa campagne de pub et son partenariat avec Burger King), contient seulement 6 ingrédients, tous d'origine naturelle, et est sans graisse saturée ni nitrite, et avec la même teneur en protéine que du bacon, les fibres en plus. De plus, LaVie s'engage à acheter 90% de ses ingrédients en Europe et produit en Vendée.

Demain, une viande sans élevage ?

Les substituts à la viande sont un bon moyen de consommer des protéines en limitant l'impact sur les ressources. Mais, même si des progrès importants ont été réalisés sur le goût et les qualités nutritives, celles-ci ne pourront jamais complétement imiter le goût de la viande ou son apport en protéines, notamment pour les produits à base de « fibres musculaires » comme un blanc de poulet, une côte de bœuf ou un filet de saumon.

La prochaine vague qui se profile semble être celle de la viande cultivée ou dite de cultures cellulaires. La méthode est simple, au moins sur le papier : il s'agit de prélever des cellules animales (dîtes souches), de leur procurer des nutriments au sein d'une cuve spéciale (bioréacteur) pour en favoriser la multiplication et ainsi obtenir des fibres musculaires. Cela permettrait par exemple, à partir de prélèvements de cellules d'un oeuf de produire des millions de blanc de poulet.

Ces techniques, à l'origine développées pour la médecine notamment dans le cas de greffes, sont désormais testées par différentes start-ups à travers le monde comme Upside et BlueNalu aux Etats-Unis, Mosa Meat et Meatable au Pays-Bas, ou encore Gourmey en France, et sont aujourd'hui en mesure de produire des steaks, du saumon ou encore du foie gras en tout point similaires aux produits traditionnels.

A grande échelle, cette viande sans élevage présente de très nombreux avantages : elle permettrait d'économiser les ressources naturelles (notamment en eau et en terres agricoles), de diminuer l'émission de gaz à effet de serre liée à l'élevage, de mettre fin à la souffrance animale, de favoriser la souveraineté alimentaire via une production locale limitant le recours aux importations étrangères (46% du poulet consommé en France est importé d'Ukraine ou du Brésil), de diminuer les risques sanitaires (épidémies, etc.), d'améliorer la traçabilité des produits et de supprimer l'usage des hormones et des antibiotiques.

L'enjeu pour cette filière naissante est désormais d'investir pour arriver à passer de petites productions à une production industrielle à grande échelle, pour être en mesure de commercialiser cette viande à un prix comparable à la viande d'élevage. En parallèle les cadres réglementaires doivent s'adapter à cette nouvelle offre ; Singapour a été précurseur en permettant à Eat Just de commercialiser des nuggets fabriqués à partir de viande cultivée, alors que les Etats-Unis et l'Europe continuent à travailler sur le sujet.

Quelles perspectives pour la souveraineté européenne ?

Partout dans le monde, les initiatives se multiplient dans la Foodtech afin de répondre aux enjeux de l'agriculture de demain. Aucune solution miracle n'existe pour faire face aux défis qui nous attendent mais ce sont l'ensemble de ces initiatives en plus de celles des filières agricoles traditionnelles qui permettront en combinant savoir-faire et technologie de relever ces défis. Et si 5 milliards de dollars ont été investis en 2021 pour développer des protéines alternatives (végétales ou de culture) dans le monde, on déplore que la majeure partie de ces investissements soient américains.

Si nous voulons garantir notre souveraineté alimentaire, il est nécessaire que les fonds d'investissement européens soutiennent financièrement les startups qui s'attèlent à relever cet enjeu, en France comme en Europe.

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