Génération Bataclan  : unis dans la douleur, inégaux face à l'emploi

Retour sur une étude-testing d'octobre 2015 montrant que, à compétences égales, les candidatures de Michel, Nathalie, Dov et Mohammed n'ont pas les mêmes chances pour le même poste. Par Youcef Bousalham, maître de conférences à l'Université de Rouen.

Les événements effroyables que nous avons vécus en 2015 rappellent de manière péremptoire à quel point les chercheurs doivent contribuer à éclairer le débat social. Après les larmes, l'émotion et notre aspiration commune bien légitime à la communion, il s'agit de s'interroger, interpréter, saisir les réalités sociales qui se cachent derrière l'horrible : Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre disait Spinoza.

Mais alors, par où commencer ? Chercheur ou pas, il semble bien difficile de comprendre les trajectoires de ces jeunes Français, de la même génération « Bataclan » que leur victime, et qui ont choisi de se faire les soldats zélés d'une idéologie cruelle et sectaire. Prétendre formuler une théorie valide respectant le principe de simplicité d'Ockham pour analyser et expliquer les racines d'un tel phénomène paraît bien illusoire. D'ailleurs, c'est ici que la multiplication des analyses fouillées, formulées par des chercheurs en sciences sociales (qu'ils soient issus de la sociologie, de la psychologie, de la géopolitique, historiens, politologues, philosophes, etc.) devient précieuse, voire indispensable.

Plus modestement, j'ai souhaité partager ici les résultats surprenants d'une étude portant sur le recrutement. Il me semble effectivement que, eu égard aux informations qu'elle dévoile sur notre société cette étude est passée relativement inaperçue. Publiée en octobre dernier par l'institut Montaigne, cette enquête sur les discriminations à l'embauche est la première dont le protocole expérimental permet d'isoler finement la variable « religion ».

Dans un souci de vulgarisation et sans trop insister sur les données chiffrées, je mets en scène les éléments de résultats qui, subjectivement, me semblent les plus saillants en laissant au lecteur le soin de voir, ou non, dans ce qu'ils révèlent, un lien avec les événements qui bouleversent notre pays.

Génération Bataclan : Michel, Nathalie, Dov, Mohamed...

Conduite en France avant les attentats de janvier 2015, cette enquête repose sur le traitement de plus de 6 000 offres d'emploi et permet de comparer les taux de convocation à un entretien d'embauche de Michel, Nathalie, Dov, Esther, Samira et Mohamed, six citoyens français de 27 ans avec le même diplôme et des expériences professionnelles identiques. Ces citoyens appartiennent tous à la génération Bataclan. Amis ou anciens camarades de classe, ces six Français (s'ils n'étaient pas fictifs) auraient très bien pu se retrouver assis ensemble à la même table ce vendredi 13 novembre...

Discriminations religieuses à l'embauche. Etude de Marie-Anne Valfort/ École d'économie de Paris. Institut Montaigne

Penchons-nous d'abord sur le cas de Michel et Dov. Que se passe-t-il quand ces deux amis posent leur candidature pour le même poste d'assistant-comptable. À compétence identique (pas égale mais bien identique), Dov (supposé de confession juive par les recruteurs sur la base de son prénom et de son passage par un collège confessionnel) doit envoyer six CV pour obtenir un entretien quand Michel (présumé catholique sur les mêmes bases) n'en envoie que quatre. Cette disparité de résultat ne repose sur aucun autre élément objectif que l'appartenance religieuse (juive) supposée de Dov.

Révoltante, cette inégalité objective, qui fait que Michel a 30 % de chance en plus d'être convoqué en entretien que son ami Dov est une première brèche dans l'idéal d'égalité républicaine qui se cache derrière la formule de génération Bataclan. Heureusement, cela n'empêche pas Michel et Dov d'être bons amis. D'ailleurs, c'est pour leur ancien camarade de promotion, Mohammed, que Michel et Dov se font du souci.

...et Mohammed

En effet, les résultats portant spécifiquement sur le cas de Mohammed, candidat masculin supposé (sur les mêmes bases que Michel et Dov) de confession musulmane, sont sans appel. Ce dernier, pour décrocher le même entretien que ses deux amis, doit envoyer... vingt candidatures, soit cinq fois plus de CV que Michel. Pour le formuler autrement, pour avoir la chance de recevoir une simple convocation à un entretien de recrutement, Mohammed doit envoyer deux fois plus de candidatures que Michel et Dov réunis. Là également, cette inégalité ne repose sur aucun autre élément objectif que l'appartenance confessionnelle supposée du candidat Mohammed.

Malheureusement, nous ne disposons pas d'étude précise qui se pencherait sur les taux de réussite aux entretiens de recrutement qu'auraient pu passer Michel, Dov et Mohammed pour ce même poste. Une telle enquête serait pourtant tout à fait instructive, tant les observations menées en psychologie sociale montrent que c'est souvent à cette étape décisive que les biais cognitifs, liés notamment aux stéréotypes, au paraître et au « savoir-être », sont les plus significatifs. Mais ce n'est pas tout. Pire que l'inégalité entre Michel et Dov, pire encore que les difficultés relatives que rencontre Mohammed dans sa recherche d'emploi, il est un autre phénomène, tout à fait déstabilisant que révèle cette étude.

emploi

Pourquoi rien ne sert d'être excellent quand on s'appelle Mohammed

L'introduction de « profil d'exception » parmi les candidatures tests permet effectivement de mesurer si finalement, en moyenne et selon toute logique, un Mohammed méritant est davantage convoqué en entretien qu'un Michel ou un Dov disons, « moyen », dans le cas exceptionnel où son profil met en avant des compétences « excellentes » dans toutes les rubriques du CV. Là encore, les résultats sont très sévères pour notre société d'égalité...

En moyenne, non seulement un excellent Mohammed n'obtiendra jamais autant de convocations que ses amis Michel, Nathalie, Dov, etc., mais, bien loin de favoriser les réponses positives, le profil d'exception de Mohammed à tendance, étrange paradoxe d'Icare, à jouer en sa défaveur. Car Mohammed, qu'il soit doué, expérimenté ou tout simplement laborieux n'est, selon les termes de l'étude : « jamais autant discriminé » que « lorsqu'il apparaît excellent ».

Il s'agit là sans doute d'un phénomène social à analyser en profondeur tant il paraît révélateur des présupposés des recruteurs, et, à travers ces derniers, d'un mal profond qui touche notre société. En tout cas, pour ses amis (Michel, Dov, Nathalie, etc.) ce paradoxe explique peut-être pourquoi Mohammed, d'habitude si enthousiaste tient pour la première fois un discours défaitiste face à l'emploi. Résigné, il envisage même de tenter sa chance ailleurs : au Canada, à Londres, à Singapour ou encore à Dubaï. Dans un pays qui valorise la réussite sociale de ses enfants par le mérite et l'excellence, un tel phénomène a effectivement de quoi décourager...

Pour une prise de conscience citoyenne

En définitive, au moment où le pays s'engage dans une guerre lointaine, coûteuse et incertaine contre la barbarie, ces données froides sur les discriminations à l'embauche, pour certaines bien pires que les résultats obtenus lors de tests similaires sur les discriminations des communautés hispanique et afro-américaine aux États-Unis suggèrent l'existence d'une autre forme de violence sociale contre laquelle il faut lutter tout aussi fermement. Un autre front, intérieur, citoyen, moins spectaculaire. Au-delà des discours de RSE et des lois anti-discrimination, ce type de résultats doit effectivement susciter une prise de conscience citoyenne, nous interpeller sur nos rôles : RH, recruteurs en tout genre, professeurs, chercheurs, journalistes, formateurs, responsables pédagogiques, associatifs et politiques ; et nous amener à défaire la violence banale que produit potentiellement une société au sein de laquelle les mêmes citoyens qui, de fait, sont tenus à l'écart (ici de l'accès à l'emploi), se voient souvent, simultanément, accusés de repli communautaire.

Trouver sa place dans sa propre société, notamment quand on est citoyen méritant est, non seulement une condition incontestable de l'intégration (quelle que soit la définition que l'on accorde au terme) mais c'est peut-être aussi la modalité fondamentale d'une république où Dov, Esther, Mohammed, Michel, Nathalie et Samira continuent à s'épanouir et à vivre ensemble sereinement.

The Conversation_______

 Par Youcef Bousalham, maître de conférences, Université de Rouen

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 18
à écrit le 07/09/2016 à 20:34
Signaler
a part tic et tac, boule et bill, titi et grosminet qui se battent sur l'assiette des commentaires, aucune évolution? pour en revenir au sujet, l'article est dans sa raison : l'embauche de base en france est une cata. a cela s'ajoute la dose de ...

à écrit le 09/05/2016 à 6:14
Signaler
L'etude semble oublier qu'il y ( encore) plus de chrétiens que de juifs et que de musulmans. D'où sans doute les chiffres de recrutement. Mais aussi la determinination et la préparation individuelle de chacun dès l'enfance, et le rôle des parents pri...

à écrit le 01/04/2016 à 0:15
Signaler
la charia n'est pas un CV !

à écrit le 05/03/2016 à 23:49
Signaler
Au stagiaire qui me censure, merci de remettre mon post.

à écrit le 03/03/2016 à 16:45
Signaler
J'ai un copain avec un prénom du genre Mohammed, qui est devenu CRS. Sur Paris il se faisait contrôler ses papiers 15 fois par jour du coup au final il a fini par poser sa carte de CRS derrière son pare brise et de suite c'est allé beaucoup mieux...

le 03/03/2016 à 20:26
Signaler
Pourquoi donc les musulmans français continuent-ils de prénommer leurs nouveaux nés en choisissant délibérément des prénoms musulmans? S'ils veulent vraiment s'intégrer à la république, qu'ils commencent donc l'assimilation en choisissant pour leurs...

le 04/03/2016 à 9:14
Signaler
"Pourquoi donc les musulmans français continuent-ils de prénommer leurs nouveaux nés en choisissant délibérément des prénoms musulmans?" Parce que ça fait parti de leur culture vous voulez dire que vous avez appelé vous vos enfants Samia et Moust...

le 26/03/2016 à 18:58
Signaler
les USA ne sont absolument pas ue réussite en terme de melting-pot , les communautés vivent côte à cote mais surtout pas ensemble. Et en Fance nous en prenons le même chemin

à écrit le 03/03/2016 à 15:32
Signaler
Pas besoin de s’appeller Mohamed pour en arriver là. Français « de souche », je n’ai pas vu un recruteur depuis 2 ans. Je ne trouve que quelques miettes d’interim et le reste se fait par téléphone pour des petits CDD. J’ai 29 ans, autodidacte en inf...

le 03/03/2016 à 16:41
Signaler
Vous n'avez pas lu l'article et du coup êtes complètement hors sujet mais c'est pas étonnant pour un français " de souche" comme vous dites. Au passe pourriez vous nous dire ce qu'est un français de souche je vous prie ? Vous ne serez pas venu po...

le 03/03/2016 à 17:15
Signaler
@Bernardo Zorro : L'article parle de ceux qui n'ont pas accès au marché du travail, en particulier quand ils s'appellent "Mohamed". Je sous entends dans mon commentaire que ça fait déjà un bon moment que nous vivons dans une france où l'on a plus bes...

le 04/03/2016 à 8:48
Signaler
Bonjour Damien, Pourquoi avoir envisagé le front du Donbass ? (Avec nos médias ce serait plutôt les gentils ukrainiens qu'il faudrait défendre..) Ma question est sans host imite, j'ai voyagé en Crimée et c'était beau et très agréable. Sinon avez v...

le 04/03/2016 à 9:04
Signaler
"Mon ancien et actuel conseil régional a voté son augmentation de salaire (les seuls a avoir voté contre sont le FN)" Je n'invente rien, vous nous arrosez de "français de souche" et ensuite vous nous dites que seul le front national refuse de se ...

le 04/03/2016 à 12:23
Signaler
@Toto "Oui, c’est l’Europe, depuis l’Atlantique jusqu’à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde." :-) @Bernardo Zorro : - Pourriez-vous m'écrire noir sur blanc que les conseillers régionaux méritent de voter ...

le 04/03/2016 à 15:21
Signaler
"Pourriez-vous m'écrire noir sur blanc que les conseillers régionaux méritent de voter leur propre augmentation de salaire pendant qu'ils instaurent toujours plus de précarité pour les populations ?" Vous détournez complètement le sujet, je vous ...

le 04/03/2016 à 15:54
Signaler
Cette discussion ne servait a rien et vous avez lamentablement déformé les seuls faits que vous avez rapportez. N'importe qui pourra le constater en deux minutes de recherche. Vous pouvez retourner sur ce forum dont vous parlez ou sur les réseaux soc...

le 04/03/2016 à 16:11
Signaler
"Cette discussion ne servait a rien et vous avez lamentablement déformé les seuls faits que vous avez rapportez." Je n'ai rien déformé tout est là il est très facile de constater qui dit tout et n'importe quoi de nous deux. J'attends des répo...

le 26/03/2016 à 19:05
Signaler
un "français de souche " , ça n'existe pas . Il y a une catégorie de français qui n'existe pas , qui n'a pas de réalité . Pour exister un France , il faut appartenir à une minorité visible, les autres ne sont que des esclaves qui doivent juste bosse...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.