God save the tweet

HOMO NUMERICUS. Pendant ses soixante-dix années de règne, la reine Elizabeth II s'est toujours montrée curieuse des nouvelles technologies et de leurs inventeurs, elle qui fit entrer, au début des années 2000, la Couronne britannique dans l'ère de la monarchie 2.0. Son successeur, Charles III, saura-t-il reprendre le flambeau ? Par Philippe Boyer, directeur relations institutionnelles et innovation à Covivio.
Philippe Boyer
Le 12 février 2009, lors d'une cérémonie au palais de Buckingham, à Londres, pour le lancement du nouveau site web de la monarchie britannique, la reine Elizabeth II reçoit Sir Tim Berners-Lee, ce chercheur du MIT qu'elle a élevé en juillet 2004 au grade de chevalier commandeur (le deuxième grade le plus élevé de l'ordre de l'Empire britannique) pour son rôle éminent dans l'invention du World Wide Web.
Le 12 février 2009, lors d'une cérémonie au palais de Buckingham, à Londres, pour le lancement du nouveau site web de la monarchie britannique, la reine Elizabeth II reçoit Sir Tim Berners-Lee, ce chercheur du MIT qu'elle a élevé en juillet 2004 au grade de chevalier commandeur (le deuxième grade le plus élevé de l'ordre de l'Empire britannique) pour son rôle éminent dans l'invention du World Wide Web. (Crédits : Reuters)

Depuis sept années et près de cent quatre-vingt chroniques qui relatent l'avènement du numérique sous de multiples angles, je réalise que j'ai eu assez peu d'occasions de m'arrêter sur les grands de ce monde en tant qu'utilisateurs du numérique, que ces derniers se classent parmi les thuriféraires de ces technologies ou parmi ses plus farouches détracteurs. Bien sûr, mes textes furent parfois l'occasion de croquer quelques « gourous » de la Tech (Elon Musk, Peter Thiel, Steve Jobs...), mais jamais une personnalité mondialement connue telle que le Pape, le président d'un grand pays ou encore la reine Elizabeth II.

«E-lizabeth II»

Pour cette dernière, autant admiratif que respectueux de sa personnalité et de ce qu'elle a incarné pour le Royaume-Uni pendant son long règne, j'ai préféré forcer le trait en imaginant une fable cocasse sur la façon dont le numérique aurait pu bouleverser le quotidien de cette figure intemporelle de la monarchie britannique. Un peu plus qu'une chronique, il en est ressorti un roman, « God Save the Tweet », publié en 2019[1]. Bien sûr, il s'agit-là d'un récit imaginaire qui décrit une souveraine qui se passionne pour la chose numérique jusqu'à devenir une « geek » insatiable, aidée en cela par un jardinier du palais de Buckingham qui l'initiera notamment aux réseaux sociaux.

Allant jusqu'à faire le buzz sur Twitter via son compte secret «@BrendaofEngland», cette «E-lizabeth II» ira même jusqu'à proposer à sa Première ministre (Theresa May) une modernisation de l'Habeas Corpus, pilier des libertés publiques anglaises, pour que soit rajoutée une dimension visant à la protection des libertés menacées par les réseaux sociaux. Bref, la description romanesque d'une reine technophile, proche de ses sujets (ce qu'elle fut tout au long de son règne) et engagée dans les préoccupations de son temps. Bref, l'exact opposé des paroles de la chanson « God save the Queen » des Sex Pistols en 1977 : « God save the Queen, she ain't no human being[2]" (Dieu sauve la reine, elle n'est pas un être humain).

Monarchie 2.0

Dans la réalité, et pendant ses soixante-dix années de règne, Elizabeth II s'est toujours montrée curieuse des nouvelles technologies et de leurs inventeurs comme en témoigne le fait qu'elle a décoré plusieurs de ses concitoyens à l'instar de Tim Berners-Lee, considéré comme le principal inventeur du Web, Tony Hoare, concepteur de l'algorithme de tri rapide encore utilisé de nos jours, ou l'ingénieur-entrepreneur Clive Sinclair, qui a démocratisé l'informatique familiale avec son ZX80.

Certes, la souveraine n'a jamais été à ce point férue de nouvelles technologies tel qu'imaginé dans « God save the tweet » mais, il n'empêche, tous ses biographes attestent qu'elle avait pour habitude d'utiliser deux iPod, dont l'un fut offert par le couple Obama lors d'une visite d'État en 2009. L'histoire ne dit pas si le PC offert par le président Ronald Reagan, quelques années auparavant, trouva grâce à ses yeux...

Outre l'envoi, en 1976, de son premier courriel via le réseau Arpanet (ancêtre militaire d'Internet), la reine fit véritablement entrer la Couronne britannique dans l'ère de la monarchie 2.0 au début des années 2000 avec l'ouverture de la chaîne officielle YouTube en 2007 (The Royal Family)[3] puis, en 2010, avec la création de la page officielle de la Couronne sur Facebook[4] (NB: sur cette page, impossible de demander la reine en "ami"...). Et ce fut le 24 octobre 2014 que la reine posta son tout premier tweet, inaugurant au passage le compte officiel de la royauté à l'occasion de l'ouverture d'une nouvelle galerie du Musée des Sciences de Londres : « It is a pleasure to open the Information Age exhibition today at the @ScienceMuseum and I hope people will enjoy visiting. Elizabeth R."[5]

Plus récemment, la royauté s'intéressa bien sûr à tous les autres réseaux sociaux qui comptent, y compris Instagram[6] : à date, 13 millions d'abonnés suivent en images et en vidéos l'actualité de la famille royale. Enfin, et au rang de cet intérêt royal pour les nouvelles technologies, il y eut, en 2008, la visite remarquée de la reine au siège londonien de Google, à tel point que la firme américaine décida d'afficher sur sa page d'accueil un "doodle" spécifique à son effigie[7], tout comme, au lendemain de l'annonce de son décès, furent ôtées toutes les couleurs du logo si connu[8].

Charles III, roi connecté ?

Charles III pourrait-il devenir le personnage principal d'une suite romanesque s'il décidait, à son tour, de reprendre le flambeau numérique de la reine Elizabeth II ? L'avenir le dira. Il n'empêche que, dans la réalité, le nouveau roi, même s'il hérite d'une monarchie qui a survécu à tout depuis plusieurs siècles, devra rapidement endosser les habits du souverain, c'est-à-dire tout faire pour se faire apprécier par son peuple. Pour cela, utilisera-t-il les nouvelles technologies, y compris les réseaux sociaux avec leurs forces et leurs dangers ?

À tout le moins, les sujets qui lui tiennent à cœur et qui sont d'une brûlante actualité - changement climatique, biodiversité, déforestation... - sont autant de leviers sur lesquels le nouveau roi pourra s'appuyer pour prouver, via l'usage des nouvelles technologies, qu'il est un monarque qui connaît les transformations profondes du monde et qui agit, à l'instar des deux millions d'emplois créés grâce à ses initiatives Prince's Trust et Business in the Community à l'adresse des jeunes chômeurs en voie de réinsertion. Bref, une vie de roi bien remplie et sans doute propice à un éventuel futur roman qui, logiquement, pourrait s'intituler « God save Humanity »... En attendant, God Save the King !

___

NOTES

God save the tweet, 172 pages, Éditions Kawa (2019) https://www.editions-kawa.com/home/250-god-save-the-tweet.html

1 https://www.parismatch.com/Royal-Blog/La-reine-Elizabeth-II-veritable-geek-sous-la-plume-de-Philippe-Boyer-1642151

2 https://genius.com/Sex-pistols-god-save-the-queen-lyrics

3 https://www.youtube.com/c/TheRoyalFamilyChannel/videos

4 https://www.facebook.com/TheBritishMonarchy

5 https://time.com/3536368/queen-elizabeth-first-tweet/

6 https://www.instagram.com/theroyalfamily/

7 https://www.google.com/doodles/queen-elizabeth-ii-visits-google-london

8 https://www.nzherald.co.nz/technology/queen-elizabeth-death-google-doodle-pays-tribute-to-the-monarch/JUDIJBSSQNRLMXPVM3SFQUYRUY/

Philippe Boyer

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Commentaire 1
à écrit le 13/09/2022 à 20:04
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Et entre autres Alan Sugar ( Amstrad ) nommé pair à vie à la chambre des lords ( Baron ). Sinclair, Amstrad etc... Quelle époque bénie ! Avoir pour le fun un cpc 464 en 8 bits 4 MHz et 4 mo de rom aujourd'hui encore est so british !

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