L'Afrique face au défi de l'intégration régionale de la ZLECAf : quel rôle pour l'UE à l'ère du New Deal euro-africain  ?

OPINION. La perspective du Sommet UE-Union africaine amène à s'interroger : quel rôle l'UE pourrait jouer pour soutenir l'évolution de la ZLECAf à l'heure d'une refonte du partenariat UE-Afrique ? Par Christina Castella, Directrice et Jérémie None, Consultant Senior,  International Development & Organizations - EY.
Christina Castella et Jérémie None
Christina Castella et Jérémie None (Crédits : DR)

Un potentiel d'intégration régionale à libérer

L'intégration régionale est sous-exploitée en Afrique, freinée par de faibles capacités de production, un déficit d'infrastructures, combinés à des obstacles tarifaires et non tarifaires, ainsi qu'à la faiblesse des exportations africaines destinées au marché intrarégional (14%, 70 milliards USD en 2019).

Face à ces défis, la ZLECAf, qui vise à établir une zone de libre-échange continentale, a connu des premiers succès, marqués par une adhésion large à son Accord commercial et le démarrage du libre-échange depuis 2021 pour les 39 pays qui l'ont ratifié sur 54 signataires.

L'adoption de Protocoles du commerce des marchandises et des services constitue aussi une avancée des négociations de la phase I. La libéralisation attendue de 90% des lignes tarifaires (d'ici 10 ans pour les PMA et 5 ans pour les autres) devrait servir de catalyseur aux exportations intra-africaines de biens dans un marché de 1,2 milliard de consommateurs et un PIB combiné de 2 400 milliards USD. En effet, d'ici 2025, la libéralisation partielle tarifaire prévue devrait accroître le potentiel d'exportation intra-africaine (+9,2 milliards de dollars, CNUCED) avec une hausse plus marquée (+50 à 69 milliards USD) d'ici 2040. Le commerce des services intrarégional pourrait augmenter aussi de 14% d'ici 2035 (Banque mondiale), alors que la ZLECAf a défini des listes d'engagements spécifiques dans 5 secteurs de services prioritaires et sur 7 autres services.

Enfin, 8,6 milliards de dollars d'échanges pourraient être réalisés à condition de lever un certain nombre de barrières non tarifaires, sources de tensions commerciales entre les pays. C'est pourquoi la ZLECAf s'est dotée d'un mécanisme pour la surveillance et l'élimination de ces barrières, ainsi que de dispositions commerciales portant notamment sur les règles d'origine, la facilitation des échanges, les obstacles techniques au commerce et les mesures sanitaires et phytosanitaires.

Un fonctionnement institutionnel plus partenarial et visible à rechercher

La ZLECAf s'est aussi munie d'un premier cadre institutionnel doté de plusieurs organes. Les efforts pour rendre son fonctionnement plus inclusif (à l'image du Conseil des entreprises) devraient être accentués pour « ne laisser personne de côté » et favoriser une meilleure acceptabilité auprès d'une diversité de parties prenantes, notamment en associant des parlementaires et d'autres représentants de la société civile. Afin d'optimiser ses partenariats et la division du travail avec les partenaires techniques et financiers, la ZLECAf gagnerait aussi à se doter d'une stratégie de relations extérieures et pour améliorer sa visibilité.

Faire de la ZLECAf la pierre angulaire du partenariat commercial euro-africain

La refonte attendue du cadre stratégique UE-Afrique est une opportunité pour mieux ancrer la ZLECAf dans ce partenariat. Alors que l'UE est le principal partenaire de l'Afrique en matière commerciale et d'investissements, des enjeux d'harmonisation de ses accords en Afrique seront à trouver avec les chapitres et dispositions commerciales de la ZLECAf. En effet, l'UE envisage de moderniser ses cadres commerciaux avec les pays d'Afrique du Nord d'une part - négociations à venir - et les pays d'Afrique sub-saharienne, d'autre part, dans le cadre du prochain accord Post-Cotonou, en termes notamment d'accords de facilitation des investissements, d'inclusion d'un chapitre développement durable, de cumul de règles d'origine, de cohérence réglementaire et de soutien à des chaînes de valeur euro-africaines. Cette coordination sera impérative pour aspirer à terme à une relation commerciale de bloc à bloc bâtie sur un accord de nouvelle génération. Pour cela, l'UE et la ZLECAf auraient intérêt à mettre en place une plateforme de coordination avec les parties prenantes concernées d'Afrique du Nord et subsaharienne, dans le même esprit que la coordination de la ZLECAf avec les 8 Communautés économiques régionales africaines.

Accompagner la ZLECAf comme moteur de l'intégration régionale et levier des transitions africaines en pérennisant l'aide pour le commerce européenne

Premier bailleur d'aide publique au développement en Afrique, l'UE a contribué fortement à la montée en puissance de la ZLECAf, avec 72,5 millions d'euros alloués sur 2014-2020. Son Aide pour le Commerce, en particulier aux côtés de ses États membres dans le cadre de l'Initiative Équipe Europe, est un vecteur clé, notamment pour renforcer la politique commerciale de la ZLECAf, des infrastructures commerciales durables et responsables ainsi que les capacités productives.

Ceci est aussi souhaitable pour accentuer l'effet catalyseur de la ZLECAf au service de transitions partagées entre l'UE et l'Afrique, notamment durables, résilientes et inclusives. La ZLECAf pourrait contribuer à une croissance plus durable avec des hausses attendues du PIB de l'Afrique de 28 à 44 milliards USD selon l'ambition d'ici 2040. Des discussions commerciales plus approfondies seraient opportunes au niveau de la ZLECAf, s'agissant notamment des investissements contribuant aux ODD, d'un chapitre commercial développement durable, de l'élargissement à l'environnement des secteurs de services prioritaires et au renforcement des normes environnementales.

Érigé parmi les objectifs de l'Accord, le soutien au développement et à la promotion des chaînes de valeurs africaines constituera aussi un vecteur à soutenir pour un développement plus résilient. À ce stade, 10 chaînes de valeur ont été identifiées par le PNUD et la ZLECAf, par exemple s'agissant de l'automobile, des industries culturelles et créatives, du cacao et du soja. Un potentiel existe en matière environnementale (ex : minéraux verts) et des réflexions sur la sécurisation des chaînes locales d'approvisionnement, notamment de vaccins, se posent dans le contexte Covid-19.

Par ailleurs, la libéralisation des services numériques et le commerce électronique devraient servir d'accélérateur à la transformation numérique du continent. Des synergies sont possibles entre le D4D Hub UE-Union Africaine et la ZLECAf, par exemple autour des compétences numériques, du commerce électronique, de la protection des données et de la digitalisation des services financiers. Enfin, la ZLECAf devrait œuvrer pour l'inclusion avec une hausse attendue de 7% pour les revenus d'ici 2035 et une sortie estimée de l'extrême pauvreté de 30 millions d'Africains selon la Banque mondiale. Absent à ce stade, l'appui à un protocole sur les femmes et le commerce serait judicieux.

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