L'assurance vie contrainte de revoir son modèle

Les taux d'intérêt très faibles mais aussi les nouvelles normes de solvabilité bousculent le modèle traditionnel des assureurs vie. Par Cyrille Chartier-Kastler, Fondateur de GoodValueforMoney.eu

Les nouvelles normes Solvabilité II applicables à l'assurance-vie conjuguées à des taux historiquement bas obligent l'assurance-vie à se transformer en profondeur.
Imaginées à une époque où les taux d'intérêt étaient significativement plus élevés, les normes prudentielles Solvabilité II se révèlent contreproductives pour la profession de l'assurance-vie. Face à un risque de pertes financières à un horizon de 3 à 5 ans sur leurs fonds en euros, les compagnies n'ont d'autre choix que de juguler la collecte sur ces supports sécurisés.

 De nouvelles normes de solvabilité

Inconnues du grand public et pourtant hyper-structurantes pour l'assurance-vie, les nouvelles normes Solvabilité II applicables à compter du 1er janvier 2016 modifient en profondeur la mesure des risques inhérents à cette activité. Hier, un assureur-vie pouvait prendre (ou non) des risques à l'actif afin de délivrer un rendement meilleur à ses assurés sur leur fonds en euros, par exemple :
- Décider d'acheter des obligations bénéficiant d'un moins bon rating (par exemple : BB au lieu de AAA pour l'État allemand), mais avec un meilleur rendement (en contrepartie d'un risque potentiel de faillite de l'émetteur plus élevé) ;
- Investir jusqu'à 12 % en actions (au lieu de 7 à 8 % en moyenne) afin de pouvoir tirer profit d'une hausse des marchés actions...
Hier, une telle « prise de risques » à l'actif sur un fonds en euros était de la seule responsabilité d'un assureur-vie, notamment en cas de forte chute des marchés actions ou de faillite d'une société (ou d'un État) dont on ait acquis des obligations. L'exigence du besoin en marge de solvabilité était la même pour tout le monde, à savoir 4 % des encours des fonds en euros.

Un risque de faillite une fois tous les 200 ans

Demain, les normes Solvabilité II obligent à évaluer l'exposition globale en risque d'un fonds en euros afin d'aligner derrière la marge de solvabilité idoine. Le principe d'ensemble est de n'avoir un risque de faillite qu'une seule fois tous les 200 ans. Chaque fonds en euros va désormais être « pesé » à l'aune de ses risques financiers :
- Risque de faillite de l'émetteur d'obligations ;
- Risque de chute des marchés actions ;
- Risque de liquidité des placements immobiliers...

Un schéma de guerre des changes

Depuis l'été 2015, nous sommes rentrés dans un schéma de guerre des changes au plan international. L'une des conséquences est la baisse de leur taux directeur par plusieurs banques centrales afin de doper les exportations de leur pays et de relancer leur économie tournant au ralenti. Si l'OAT à 10 ans était remontée à 1,30 % début juillet 2015, elle est désormais redescendue à 0,78 %. En considérant que ce rendement doit être en capacité, le cas échéant, d'absorber une baisse de - 40 % des marchés actions, cela ne permettrait pas à un assureur-vie d'avoir davantage que 2 % d'actions en portefeuille, sauf à accepter d'aligner des fonds propres supplémentaires à hauteur du risque pris. C'est logiquement ce que vont faire la plupart des assureurs-vie en conservant globalement 7 % d'actions dans leurs fonds en euros ; mais ils en « paieront » le prix avec une exigence accrue de marge de solvabilité.

L'échec des fonds euro-croissance

Si les fonds euro croissance (issus du Rapport Berger-Lefebvre) ont été imaginés comme alternative aux fonds en euros « classique », le niveau actuel des taux d'intérêt rend leur montage très difficile. Face à ce constat d'échec, le législateur pourrait autoriser le transfert d'une partie des obligations « à taux plus élevés » détenus dans des fonds en euros classiques. Mais :
- Cela revient à « déshabiller Pierre pour habiller Paul ».
- Cela revient également à rompre la confiance des français vis-à-vis de l'assurance-vie, la richesse constituée hier via leurs versements étant détournée au profit d'autres épargnants.

Ce que peuvent faire les assureurs

Dans une situation où nous sommes probablement entrés dans une ère durable de taux bas, les assureurs-vie sont dans l'obligation de changer en profondeur leurs offres d'assurance-vie. Que peut-on en attendre ? Probablement, un mixte de tout ou partie des évolutions suivantes :
- la fermeture probable des contrats mono supports en euros existants encore sur le marché (c'est-à-dire des contrats ne proposant qu'un fonds en euros à l'exclusion de toute unité de compte), leur coût en fonds propres devenant exorbitant,
- une réorientation très forte des offres et du marketing des assureurs-vie tant sur les unités de compte que sur la préparation à la retraite (un engagement à long terme de l'assuré permettant de diversifier les actifs du fonds en euros vers des actions, de l'immobilier, de l'investissement dans des infrastructures comme des centres commerciaux ou des voies de TGV...),
- une forte baisse du rendement délivré aux épargnants afin de renforcer les provisions pour participations aux bénéfices (permettant d'absorber des chocs financiers éventuels et donc aussi de prendre davantage de risques à l'actif),
- une chute probablement plus rapide des taux servis au cours des prochaines années que ce à quoi devrait conduire le rendement « naturel » des fonds issu des investissements réalisés au cours des années passées.

 Un rendement moyen de 2,25% pour 2015?

La publication des taux 2015 des fonds en euros sera intéressante à observer. Il est hautement probable que certains assureurs-vie veuillent à la fois « marquer le coup » en termes de baisse et utiliser le levier de la provision pour participation aux bénéfices (PPB) pour soutenir une capacité à prendre quelques risques financiers.
Rappelons que notre hypothèse pour les rendements 2015 est celle d'un taux moyen (net de frais et brut de prélèvements sociaux) de 2,25 %. A titre de comparaison, notre mesure du taux servi pour 2014 est de 2,48 %.

Cyrille Chartier-Kastler
Fondateur de GoodValueforMoney.eu

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