L'économie de fonctionnalité : une opportunité aussi pour les entreprises traditionnelles ?

L'économie de la fonctionnalité, où la vente de l'usage d'un bien se substitue à la vente physique, peut intéresser de plus en plus d'entreprises. Par Xavier Pavie, ESSEC Business School

Le modèle d'économie de fonctionnalité est régulièrement présenté comme une alternative pérenne, face aux évolutions contemporaines de la concurrence et du développement durable. Si ce modèle économique semble s'adapter aisément aux organisations de services, on peut se demander dans quelle mesure l'économie de fonctionnalité peut-être aussi une opportunité pour les entreprises traditionnelles ?

L'économie de fonctionnalité est un modèle de transaction où la vente de l'usage du bien se substitue à la vente du produit physique [1]. C'est le choix pris par Xérox dans les années 70 lorsqu'il oriente son business model vers des contrats de services de photocopies. Alors même que ses appareils en leasing sont en bon état ou ne nécessitent que quelques réparations, leur recyclage coute cher, et ce sans compter le gaspillage conséquent de matière et d'énergie.

Dans ce nouveau modèle économique il n'y a pas de transfert de propriété entre le fabricant et le client : les produits restent la propriété des fournisseurs. Sur le long terme, cette organisation optimise la maintenance des produits et donc leur durée de vie tout en permettant une gestion de leur traitement final, conduisant ainsi à un réel contrôle des consommations de ressources. Ce contrôle écologico-économique permet aux entreprises d'augmenter et de restructurer leurs gains financiers sans nécessairement induire la croissance des consommations, des flux de matières premières et d'énergie.

Les nouveaux enjeux de cette économie

Adopter ce nouveau modèle économique signifie donc principalement adapter le business model de son entreprise [2]. Se traduisant dans un premier temps par le renouvellement de la valeur proposée sur un segment de marché, cette stratégie permet avant tout l'instauration d'une relation de confiance entre l'offre et la demande, qui assure ainsi une contractualisation pérenne en adéquation avec le besoin d'usage client. Michelin propose par exemple un suivi kilométrique à ses clients, suivi dépendant donc de l'utilisation faite par les clients de leur véhicule, et qui, par la satisfaction engendrée, fidélise le client de manière durable.

Cette stratégie de différenciation fonctionnelle offre aux entreprises un avantage concurrentiel non négligeable dans un contexte où la mondialisation est source de vives concurrences interindustrielles qui dépassent les limites des modèles post-fordiens hérités du passé et trop orientés sur la consommation de masse [3]. En ce sens, le modèle d'économie de fonctionnalité présente des avantages indéniables, mais on peut s'interroger quant à sa capacité à être appliqué au secteur des entreprises traditionnelles, encore très réticentes au changement, et dont le mode de gestion se prête a priori peu à une telle exploitation.

L'économie de fonctionnalité, une opportunité qui devient incontournable pour les entreprises traditionnelles

On distingue l'entreprise traditionnelle des organisations de services ou des start-up par une structure encore très hiérarchisée, voire archaïque, et une définition de la valeur orientée sur le produit vendu et éventuellement sur les services ajoutés d'après-vente ou optionnels qui viennent accroitre la marge. En se recentrant sur la valeur et sur l'usage final du client, l'entreprise traditionnelle sera en mesure de réorienter son business model.

Ainsi, dans un secteur très concurrencé, comme par exemple celui de l'électroménager, où plus de 96% [4] des ménages sont équipés, on se demande pourquoi Bosch, Electrolux ou encore Siemens ne développent pas une nouvelle stratégie de vente orientée sur l'usage ? Dans le cas du marché des machines à laver, la valeur offerte au client est de laver son linge. On peut donc, sur ce principe, concevoir un modèle économique fondé sur la location de machine à laver chez-soi, qui permettrait un renouvellement continu de gamme. Voire même aller plus loin et imaginer une offre de lavage, par l'intermédiaire d'une collecte du linge par un professionnel sur la base d'offres bouquet plus ou moins riches tels que le lavage simple, le lavage couplé au repassage etc. Cette seconde proposition pourrait même voir le jour dans les pays émergents où s'allient problèmes de moyens pour acquérir un tel équipement et enjeux écologiques. Cette nouvelle stratégie d'usage répond à ces deux problématiques. Enfin, ce modèle, appliqué au marché du gros électroménager, pourrait également permettre de cibler la population étudiante, clientèle souvent négligée mais qui représente un véritable potentiel de développement futur.

L'économie de fonctionnalité, fondée sur le principe du produit au service du service [5], est une nouvelle stratégie pour l'entreprise traditionnelle. Elle lui offre des gains de segments de marché et une fidélisation client plus pérenne, mais également une nouvelle source de revenus, atouts indéniables dans le contexte actuel de stagnation du marché du gros électroménager.

S'il peut sembler que toutes les organisations traditionnelles peuvent réfléchir à se réorienter ainsi, la transition vers un nouveau modèle économique induit des réticences au sein de ces organisations car elle nécessite la remise en cause de la valeur même de l'entreprise. Reste qu'aujourd'hui ce sont des solutions et non des produits qui sont recherchés, et c'est en ce sens que l'économie de fonctionnalité est une alternative d'avenir. Elle est même peut-être une alternative obligatoire pour les futurs modèles économiques d'organisation, et un levier de développement fort en accord avec les enjeux actuels de concurrence mondialisée et de développement durable.

Prof. Xavier PAVIE, ESSEC Business School

Julia SARRAZIN, Etudiante Mastère Spécialisé ESSEC Business School

Références :

[1] N.BOUGHNIM et B.YANNOU, Vers une économie des fonctionnalités : changer nos rapports avec le produit pour des économies d'échelle et des nouvelles logiques de responsabilités, 2006

[2]  F.BOONS et F.LUDEKE-FREUND, Business models for sustainable innovation: state-of-the-art and steps towards a research agenda, 2012

[3]   P.MOATI, Cette crise est aussi une crise du modèle de consommation, 2009

[4] GIFAM Groupement Interprofessionnel des Fabricants d'Appareils d'Equipement Ménager,   www.gifam.fr

[5] X. Pavie, Le design thinking au service de l'innovation responsable, 2015

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.