L'économie mondiale de la mer, un enjeu majeur du 21e siècle

OPINION. La mer est au cœur de l'actualité : allocution du président de la République sur les explorations marines, conflits en Indo-pacifique, tensions en Arctique ou encore rivalité franco-britannique sur les accords de la pêche post-Brexit. Quels sont les enjeux de l'économie maritime ?  La France est-elle aujourd'hui une grande puissance de la mer ? En a-t-elle le potentiel ? Quels sont les impacts des nouvelles technologies marines et quel profit peut-elle en tirer ? Par Charaf Louhmadi, ingénieur financier au sein de Natixis France, auteur de l'ouvrage « Fragments d'histoire de crises financières », et Mariem Brahim, enseignante-chercheuse à Brest Business School.
Un bateau britannique dans le port du Havre (photo). Dix mois après l'accord commun post-Brexit au sujet de la pêche, les relations franco-britanniques sont très tendues. Au cœur du conflit : la série de refus d'octroi de licences de pêche par le gouvernement britannique.
Un bateau britannique dans le port du Havre (photo). Dix mois après l'accord commun post-Brexit au sujet de la pêche, les relations franco-britanniques sont très tendues. Au cœur du conflit : la série de refus d'octroi de licences de pêche par le gouvernement britannique. (Crédits : Reuters)

La mer représente le deuxième secteur d'activité humaine après l'agroalimentaire, elle génère plus de 1.500 milliards de dollars à l'échelle mondiale, plus d'un demi-milliard de personnes en vivent directement ou indirectement[1]. Résultat d'une longue évolution à l'échelle planétaire lors des dernières années, plus de 3 individus sur 5 se sont rapprochés du littoral pour y vivre et ce à moins de 150 kilomètres de la mer. C'est dans un tel contexte que la France doit agir afin de se positionner pour les décennies à venir. Et, à ce titre, quatre données sont à prendre en compte.

La mer : un océan de richesses

On estime aujourd'hui à plus d'un milliard de tonnes la présence d'êtres vivants dans la mer, dont 700 millions de poissons[2] pour la grande majorité d'entre eux comestibles par l'Homme. Or, ce dernier consomme en moyenne à ce jour plus de 20 kg de poisson par an, soit deux fois plus qu'en 1960.

Le forage du pétrole sous-marin représente en 2017 l'équivalent 30% de la production mondiale. La mer regorge par ailleurs d'immenses réserves d'hydrocarbures et d'une abondance de métaux stratégiques dans ses eaux profondes. Le golfe Persique, bordé de puissances régionales rivales à l'image de l'Arabie Saoudite et de l'Iran, renferme plus de 60% des réserves mondiales d'hydrocarbures. Enfin, l'Arctique, dont les traités internationaux n'interdisent pas l'exploitation à la différence de l'Antarctique, est riche en réserves pétrolières sous-marines.

En outre, l'océan est porteur de multiples énergies renouvelables à travers la force des courants, du vent et du mouvement des marées.

La pêche fait enfin vivre plus de 10% de la population mondiale. Mais, c'est dans les eaux chinoises qu'opèrent le plus grand nombre de bateaux de pêche si bien que l'empire du milieu est le principal exportateur des produits de la pêche. En outre, l'aquaculture chinoise  progresse de manière fulgurante.

La prépondérance du commerce maritime

L'essentiel du transport des marchandises et des données se fait par voie maritime. La valorisation du commerce maritime mondial est estimée à 130 milliards de dollars en 2016, contre à peine 8 milliards en 1976. A travers des accords adoptés et ratifiés par les Etats membres, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a permis l'allègement des protocoles et des coûts douaniers. De fait, le transport maritime est largement moins onéreux que le routier ou l'aérien.

Le transport des hydrocarbures est tout d'abord fortement lié à la mer. L'or noir est convoyé à l'échelle mondiale par voie maritime à hauteur de 75%. La mer Méditerranée occupe par exemple un rôle central dans le transport des hydrocarbures : elle assure le transit de plus de 75% du gaz naturel importé dans l'Hexagone. De manière générale, plus de 30% du commerce mondial y circule.

Il y a aujourd'hui une prédominance indiscutable de la Chine dans les secteurs maritimes : le pays détient les plus grands ports. De Chine provient à l'échelle mondiale le plus grand nombre de matelots : près de 150.000 en 2017.

Reste que le commerce maritime est actuellement profondément désorganisé. Non seulement le prix du fret a explosé mais les porte-conteneurs doivent attendre, parfois plusieurs jours, avant d'être déchargés, notamment à Anvers et Los Angeles. Désorganisant les lignes de transport intérieur, la pénurie de camionneurs l'explique parfois. Au-delà des conséquences de la crise sanitaire qui a désorganisé le jeu de l'offre et la demande, le blocage de l'Ever-Given dans le canal de Suez  en mars 2021 a par ailleurs marqué les esprits. Tout cela a montré la fragilité des chaînes d'approvisionnement. Avec pour conséquence, une flambée inédite des prix des conteneurs.

La mer, épicentre des nouvelles technologies

A plusieurs milliers de mètres de la surface et à l'abri des regards courent aussi les informations. Pivots technologiques indispensables aux liaisons et communications numériques intercontinentales, les câbles sous-marins assurent le transport des données, notamment entre les principales plateformes financières mondiales. Ils relaient plus de 98% du trafic internet mondial. Depuis octobre 2021, un nouveau câble dénommé « Peace » permet la liaison entre Marseille et Gwadar au Pakistan, dont le port a été financé en grande partie par la Chine en 2007. Ainsi ce câble reliera dès 2022 l'Europe aux deux continents asiatique et africain. C'est pourquoi les géants du numérique, comme Google ou Facebook, pilotent et financent l'installation de plusieurs centaines de câbles sous-marins, en partie pour connecter l'Afrique à l'aide de liaisons haut-débit.

De surcroît, les « biotech marines » commencent à émerger et se développeront fort certainement lors des prochaines décennies. A l'instar des fintechs ou des biotech, ces start-ups de l'océan concentrent un fort potentiel d'innovation. Elles devraient contribuer à l'essor de l'exploration marine et à la sophistication des transports maritimes. En termes d'avancées technologiques, le port de Rotterdam est une locomotive européenne. Premier port d'Europe et hissé dans les 15 premiers ports mondiaux en termes de flux de marchandises, son centre de recherche s'est doté d'un laboratoire 3D et un de ses terminaux tourne exclusivement à l'aide d'énergies renouvelables.

Géopolitique de la mer et conflits maritimes associés

Bien loin de l'idée de liberté, la mer est devenue symbole de puissance. De nombreux pays se disputent ainsi des territoires maritimes. Le Danemark revendique sa souveraineté sur l'île de Hans, petit îlot situé entre le Canada et le Groenland que contrôle le royaume danois. Le pôle Nord est revendiqué par la Russie, ce qui accentue les tensions avec les Américains car les deux puissances rivales sont les deux plus gros producteurs mondiaux de gaz naturel. L'océan Arctique suscite également les convoitises russes. Moscou y accentue sa présence militaire. Non seulement, il contient d'importantes réserves d'hydrocarbures mais se dessinent de nouveaux canaux de transport plus courts car désormais accessibles avec la fonte des glaces suite au réchauffement climatique. C'est pourquoi, dans l'Arctique canadien, une alliance canado-britannique s'est tissée afin de contrer l'influence et la menace croissante sino-russe. Et, dans le bassin indopacifique, l'alliance militaire tripartite AUKUS formée du trio Etats-Unis-Royaume-Uni-Australie se renforce en vue d'y contrer les ambitions chinoises.

La question de la pêche entre la France et le Royaume-Uni

Dix mois après l'accord commun post-Brexit au sujet de la pêche, les relations franco-britanniques sont très tendues. Au cœur du conflit : la série de refus d'octroi de licences de pêche par le gouvernement britannique. C'est pourquoi les eaux territoriales des îles britanniques de Jersey et Guernesey, toutes deux très proches des côtes françaises et particulièrement poissonneuses, sont au centre des discussions. L'accès à ces eaux est vital pour un certain nombre de pêcheurs français. Parce que ces refus sont jugés incompatibles avec l'accord signé par Paris, Annick Girardin, ministre de la Mer, et Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, ont « menacé » le Royaume-Uni de réelles mesures de rétorsion, essentiellement liées aux débarquements en France des cargaisons britanniques et au renforcement de leurs contrôles. Le gouvernement estime qu'il manque plus de 50% des licences attribuées sur ces zones, alors que 210 licences ont été accordées. Paris estimait fin octobre qu'il en manquait plus de 244. D'où l'appel de la France auprès de Bruxelles et des pays membres de l'UE pour faire bloc face au comportement du gouvernement britannique jugé inacceptable par Paris. Conformément à l'accord signé post-Brexit, Londres était censée n'accorder des licences sur certaines zones du littoral britannique qu'aux bateaux prouvant une activité de pêche antérieure au Brexit, un véritable casse-tête pour les bateaux de petite taille, privés d'un matériel informatique développé et donc onéreux.

Emmanuel Macron et Boris Johnson se sont néanmoins longuement entretenus à deux reprises : lors du G20 à Rome et à l'occasion de la COP 26 à Glasgow. Le président a fini par reculer sur les sanctions annoncées précédemment par le gouvernement français. Une décision appréciée par le gouvernement britannique.

Quels sont les atouts de la France ? Ses défis ?

- Premier atout : la France détient le deuxième plus vaste espace maritime du monde (11.710.417 km² - derrière les États-Unis qui totalisent 12.234.403 km²). Mais elle le doit en grande partie à son outre-mer. A cela s'ajoutent une marine nationale déployée sur tous les océans, des côtes appréciées du tourisme, des armateurs de taille internationale, une diplomatie active et des professionnels reconnus dans tous les secteurs des services. La France est aujourd'hui, et depuis des années, le premier constructeur européen de bateaux de plaisance, le deuxième mondial. En outre, plus de 300.000 emplois directs touchent au secteur maritime au sein du territoire français. Fleuron de l'économie maritime française, l'entreprise CMA-CGM fait partie des trois plus grandes entreprises mondiales du transport de conteneurs par voie maritime. Présent dans 160 pays, ce mastodonte dessert plus de 80% des ports de commerce de la planète et entre de plain-pied dans le marché nord-américain.

- Deuxième point favorable : la France dispose d'une recherche scientifique reconnue, d'excellents organismes de formation de valeur et d'une pêche de qualité.

- De surcroît, la France fait partie du conseil de l'Arctique et y siège, aux côtés du Japon, de la Chine, du Royaume-Uni, de l'Italie et des Pays-Bas, comme observateur permanent, ce qui accentue son influence maritime régionale.

- Selon le rapport du ministère de la Mer de 2021 (La Finance bleue), le développement de cette finance doit être inséré dans des enjeux de compétition industrielle internationale et d'influence géopolitique. Pour la faire prospérer, la France possède bien des atouts. Tout d'abord, un écosystème d'innovations technologiques nées dans différents centres de recherche et start-ups. Ces innovations peuvent être développées à une très grande échelle par de grands acteurs industriels, sachant que la transition écologique fait aussi partie de leurs préoccupations. Certes, l'enjeu est écologique mais la décarbonation des ports n'en offre pas moins une opportunité économique.

 Le 21e siècle s'annonce donc décisif sur les questions maritimes. Cinquième puissance économique mondiale, la France est dans l'obligation de s'appuyer sur ses atouts et de relever ses défis qui garantiront à la fois son essor et sa survie. Dans la mesure où la mer a de fortes chances d'être à l'origine d'une nouvelle révolution industrielle et économique, mais aussi sociale et culturelle, elle doit se positionner par rapport aux enjeux en termes de santé, d'alimentation ou de réchauffement climatique. Elle doit par ailleurs s'attaquer à de nombreux chantiers d'ordre maritime : inclure l'île de la Réunion dans les nouvelles routes de la soie reliant l'Asie et l'Europe tout en assimilant le contexte géopolitique particulièrement complexe du 21e siècle ; renforcer la position géostratégique du port de Cayenne en Amérique latine ; trancher la question de la Nouvelle-Calédonie ; explorer les espaces maritimes français, particulièrement prometteurs en Guyane, à Mayotte et en Nouvelle-Calédonie ; participer à la renaissance et au rayonnement des ports du Havre et de Marseille respectivement au-delà des 65e et 100e positions mondiales et les porter au niveau du trio Rotterdam-Anvers-Hambourg ; renforcer l'axe Seine (Paris-Rouen-Le Havre) ; prendre part de manière significative au marché mondial des câbles sous-marins ; (ré)aménager enfin les ports pour en augmenter l'offre touristique et pour en réindustrialiser leur périphérie dans le cadre d'une relance de l'économie.

Le Président priorise l'exploration des grands fonds marins

Emmanuel Macron a priorisé l'exploration des profondeurs marines en annonçant la mobilisation de deux milliards d'euros sur un horizon de cinq ans, dans le cadre du plan d'investissement « France 2030 ». Lors de son allocution d'octobre dernier, il a souligné l'incroyable potentiel des profondeurs maritimes (les deux tiers de la planète a-t-il-martelé), leur densité en métaux rares et l'essor technologique que les explorations pourraient engendrer, notamment dans le secteur de la santé.

Le président de la République a précisé toutefois qu'il s'agirait d'exploration et non d'exploitation. Sa déclaration intervenait, il est vrai, quelques semaines après l'adoption d'un moratoire par l'Union internationale sur la conservation de la nature et l'exploration des grands fonds marins. Alors même que des multinationales, comme Google ou Samsung, annonçaient qu'elles n'utiliseraient pas les ressources issues des profondeurs marines et ne participeraient pas à leurs exploitations.

La robotisation et l'automatisation des moyens techniques d'exploration marine représentent un défi technologique pour les entreprises maritimes françaises, notamment l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Organisme public fondé en 1984 et dont le siège social est à Plouzané, à proximité de Brest, c'est un des pionniers nationaux. Ainsi l'Ifremer dispose-t-il de moyens technologiques prometteurs en lien avec l'exploration en eaux profondes. Compte tenu des propositions formulées par le Président, on s'attend naturellement à ce que ces questions relatives à l'économie de la mer intègrent par ricochet les débats qui animeront la présidentielle de 2022.

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[1] L'économie de la mer en 2030, OCDE

[2] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/interactif-la-vie-sur-terre-pese-550-milliards-de-tonnes-de-carbone_124225

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Commentaires 2
à écrit le 16/11/2021 à 16:18
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Economie de la mer négligée-ignorée par chaque Président de 1969 à 2022. Macron laisse la Chine télécommander les Kanak, pour lui offrir, en toute indifférence la riche Nouvelle Calédonie. Lors du deuxième référendum il a permis aux indépendantistes,...

à écrit le 16/11/2021 à 15:42
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Entièrement d'accord et complètement sous exploitée en France alors que nous sommes la deuxième puissance maritime mondiale et que l'économie de notre pays s'érode inexorablement. Maintenant qui dit économie maritime dit souveraineté politique or la ...

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