L’élevage bovin français ne perd pas pied à cause des accords de libre-échange

OPINION. Face aux manifestations d'agriculteurs, Macron s'est engagé pour que l'accord entre l'Union européenne et quatre pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay) ne soit « pas signé en l'état ». Pour Bruno Le Maire, « Tel qu'il est, [cet accord] n'est pas bon pour nos éleveurs. » Par Pierre Buigues, TBS Education (*)
(Crédits : DR)

Le sujet le plus sensible de cet accord porte sur le quota de viande bovine qui serait importé de Mercosur et exempté de droit de douane. Dans Le Monde, Nicolas Girod, ex-porte-parole national de la Confédération paysanne, déclare « Le secteur de la viande bovine est dérégulé et livré au marché mondial. La concurrence venant des pays sud-américains (Argentine et Brésil) et nord-américains est rudeLeurs niveaux de compétitivité et de coût ne sont pas les mêmes et mettent en difficulté les élevages bovins français. »

Il est vrai que la production bovine sud-américaine est très compétitive, les exploitations sont de très grandes tailles, bien plus grandes que celles de l'Union européenne, ce qui leur donne un avantage de coût de production, et qu'elles ont moins de normes sanitaires et environnementales à respecter.

Cependant, la question est de savoir si le secteur de la viande bovine est vraiment mondialisé et si ces accords de libre-échange expliquent la crise de l'élevage des bovins en France.

Cette crise se caractérise à plusieurs niveaux :

  • En premier lieu, les revenus des exploitations agricoles qui se consacrent à l'élevage bovin pour la viande rapportent le moins comparé aux autres exploitations agricoles, 11.340 euros de revenu disponible annuel en moyenne en 2018, note l'Insee.
  • En second lieu, la production française de bovins reste la première d'Europe, 16,99 millions d'animaux pour le cheptel bovin français, loin devant l'Allemagne 10,99 millions, mais le cheptel bovin français baisse depuis plusieurs années consécutives, et cette baisse du nombre de bovins français est plus forte que celle des autres pays européens. Entre 2016 et 2022, le nombre de bovins a diminué de 6,1% dans l'Union européenne, mais de 12,3% en France ! Conséquence, le nombre d'exploitations détenant des bovins continue de baisser. Il a reculé de 27,8% entre 2011 et 2020. Cette baisse s'accompagne d'un accroissement de la taille des cheptels. En 2021, un élevage bovin compte 118 animaux en moyenne, contre 94 en 2011.
  • En troisième lieu, les exportations de viande bovine française ont reculé alors que les importations augmentent, afin de répondre à la consommation de viande bovine en France. En 2022, le déficit du commerce extérieur français de viande bovine s'est creusé fortement en volume, la France importe plus qu'elle n'exporte de viande bovine.

Il y a donc bien une crise majeure de l'élevage bovin en France, baisse continue de la production de bovins français, déficit commercial en volume, et faible revenu des exploitations agricoles se consacrant aux bovins.

Cependant, c'est la compétitivité de l'élevage bovin français vis-à-vis des autres pays européens qui est en cause, pas sa compétitivité hypothétique vis-à-vis du Brésil ou de l'Argentine. Ce ne sont pas les pays hors de l'Union européenne qui sont nos fournisseurs de viande bovine, mais les Pays-Bas, l'Irlande, et l'Allemagne. Ce ne sont pas les pays hors de l'Union européenne où nous exportons de la viande bovine, mais l'Italie, l'Allemagne et la Grèce. La crise de l'élevage bovin en France est une crise de la compétitivité de l'élevage bovin français vis-à-vis de ses partenaires européens.

Le modèle des exploitations agricoles françaises, qui se consacrent à l'élevage bovin, est généralement familial, et la taille des exploitations reste limitée, en particulier par rapport à leur taille dans les pays du nord de l'Europe. On se souvient du débat enflammé autour de la « ferme des mille vaches » en France quand l'Allemagne en comptait un grand nombre. Le modèle français est rentable si la prime à la qualité est acceptée par les consommateurs et donc des prix plus élevés, car les coûts français sont plus élevés que ceux des autres États membres de l'UE. Cependant, à ce jour, les consommateurs  sont surtout sensibles aux prix et la consommation de viande bio est même en recul.

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(*) Pierre Buigues est professeur à l'Université de Toulouse. Avant de rejoindre le monde académique, il a travaillé pendant 20 ans à la Commission européenne comme économiste. Il est l'auteur de plus de 40 articles académiques et son dernier ouvrage en économie est « le décrochage industriel » co-écrit avec Elie Cohen chez Fayard.

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Commentaires 5
à écrit le 20/02/2024 à 14:56
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Totalement opposé à cette tribune. Vous oubliez de dire, oups..., que le marché de la viande en France est entre les mains de deux personnes. "Partout où quelque chose ne va pas quelque chose est trop gros" Kohr. On peut donc se dire que si le marché...

à écrit le 20/02/2024 à 14:52
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L'auteur parle de la prime à la qualité de fait un éleveur me disait que vendre sous label représentait pour lui une réelle plus value ; label rouge , veau de l'Aveyron , viande d'Aubrac .

à écrit le 20/02/2024 à 13:46
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La France n'est pas concurrentiel face aux autres pays européens mais ca va bien se passer avec l'Amérique latine ?? C'est sur que le poulet brésilien aide les agriculteurs et notre économie. Soit l'auteur touche des subventions d'industriel soit l'a...

à écrit le 20/02/2024 à 11:54
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On ne voit pas à quoi peut bien servir "le libre échange" si ce n'est de faire de la surproduction pour que certain irresponsables s'en mettent plein les poches !

le 20/02/2024 à 13:18
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Il parait que certains accords ont faire croitre de façon significatives nos exportations (UE), c'est le but affiché, généralement, afin de se mettre d'accord sur des taxes réduites voire annulées sur certains produits (genre "troc"). Mais si on ne v...

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