L'entreprise, dernier lieu de confiance et d'autorité ?

OPINION. La jeunesse et les banlieues ressurgissent cet automne dans l'actualité. Le gouvernement vient de leur consacrer un plan de mesures visant à rétablir l'autorité après l'épisode d'émeutes de l'été 2023. L'ambition de ce plan est louable : rétablir l'autorité... Par Natasha Pouget, ancienne membre de la mission Grand Paris pour le Président de la République et ancienne directrice du développement de l'Institut de l'entreprise.
(Crédits : DR)

Les moyens alloués sont réels : mise en place de « Forces d'actions républicaines » qui doivent concentrer dans certains quartiers des moyens en matière de sécurité, mais aussi des réponses judiciaires, éducatives ou sociales. L'ambition de ce plan est louable : rétablir l'autorité.

Malheureusement pour notre pays, les actions de minage de l'autorité, de violence et de destruction du cadre dans lequel nous vivons ne sont pas l'apanage de la jeunesse et des quartiers. La mise à mal des figures d'autorité qui s'est exprimée avec fièvre le 30 juin dernier est une question de société qui nous concerne tous, bien au-delà de nos classes d'âge, de nos lieux de vie ou de nos origines. Un sondage conduit par l'IFOP en mars 2023 montre ainsi qu'une large majorité de Français (85%) considéraient que « l'autorité est une notion qui se perd en France de nos jours ».

Pour mesurer la profondeur du phénomène, quelques chiffres doivent nous interpeler : Le nombre de violences verbales et physiques contre les élus est passé de 1.720 à 2.265 en 2022, en progression de 31% selon les chiffres du ministère de l'Intérieur publiés en mars 2023. En 2021, environ 27 000 refus d'obtempérer ont été enregistrés par les forces de l'ordre, soit une hausse de près de 50 % en dix ans, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur.

L'autorité médicale n'échappe pas plus aux phénomènes de violence dans l'exercice de ses missions. Une enquête menée auprès d'un échantillon de Français et de personnels soignants en février 2023 note que les professionnels de santé sont deux fois plus nombreux que l'ensemble de la population active à subir des incivilités et des violences physiques ou verbales au travail. 37% des professionnels de santé hospitaliers disent même subir régulièrement des agressions physiques.

Face à ces atteintes à l'autorité, il est intéressant de mettre en contrepoint la dégradation de la confiance des Français envers ces institutions. Dans sa dernière édition de février de 2023, le Baromètre de la confiance politique de Sciences Po Cevipof évaluait le niveau de confiance des Français vis-à-vis des partis politiques à 16% (-5% vs baromètre précédent), la police à 69% (en recul de 3%) et les hôpitaux à 78% (-4%). En tête de ce classement se situent les artisans qui caracolent avec un degré de confiance évalué à 83% et les petites et moyennes entreprises à 79%, un niveau quasiment stable par rapport à la vague précédente (80%). Avec cette enquête, il est manifeste que les Français saluent chez les artisans et entrepreneurs, leur capacité à prendre des décisions, à les mettre en œuvre et à en être responsable.

Des « chefs sachant cheffer » !

Sur ce modèle de la confiance qui s'exprime de manière plus saillante dans le monde économique de proximité que dans d'autres assemblées, il serait intéressant d'examiner les modes de prises de décision et de l'exercice de la responsabilité qui y prévalent pour s'en inspirer plus largement. Dans les petites structures économiques, quand le chef réussit, il est célébré, quand il faillit, il disparait et est tenu responsable de l'échec. C'est lui aussi qui détient le pouvoir d'exclusion de ceux qui contreviennent aux règles collectives fixées par le Code du travail ou le règlement.

C'est cette figure du leader responsable et respectueux de l'application impartiale des règles qu'il faut réintroduire dans les services régaliens, dans nos écoles, dans nos hôpitaux et instances démocratiques. Pourquoi ce que nous acceptons tous collectivement comme mode de fonctionnement en entreprise ne serait pas applicable dans d'autres organisations ? Sur ce modèle de l'entreprise quand la sanction tombe, elle doit être appliquée immédiatement et l'exclusion peut être décidée à titre temporaire ou définitif. Ainsi, il s'agit de permettre au détenteur de l'autorité d'exprimer pragmatiquement notre refus collectif que son pouvoir qu'il tire de ses devoirs soient niés. Bien entendu des recours sont possibles à postériori afin de permettre de rétablir des droits qui auraient pu être bafoués par une lecture inappropriée de la loi ou du règlement. Il ne s'agit pas de mettre à mal l'état de droit. Au contraire, l'enjeu est de le renforcer.

Il faut en effet considérer « l'autorité comme un lien anthropologique consubstantiel de l'existence de l'espèce, en même temps qu'un principe régulateur du lien social » comme la définissaient les sociologues Marcelli, Gauchet, Blais et Ottavi. Alors, réhabilitons au plus vite les « chefs sachant cheffer », avec du pouvoir à la hauteur de leurs responsabilités, et pas seulement en entreprise. La société et ses figures d'autorité doivent incarner et porter ces valeurs pour que la jeunesse y soit associée et les respecte aussi.

_____

(*) Natasha Pouget a débuté sa carrière en banques d'affaires et en salle de marché ce qui l'a conduite à contribuer au rapport de l'ONU sur la « Recherche de solutions pratiques pour l'assainissement des marchés financiers » dont elle a intégré le comité de réflexion. À l'issue de ces travaux, elle a rejoint le think tank patronal l'Institut de l'entreprise comme directrice du développement. En parallèle elle était tuteur pédagogique à Sciences Po et professeur en finance d'entreprise en Prep ENA gérée par l'IGPDE (Institut de la gestion publique et du développement économique du ministère de l'Économie et des Finances). En 2018, elle est membre de la Mission du Grand Paris et a contribué au rapport pour le Président de la République. Depuis janvier 2019, elle est Senior Manager en charge des Engagements extérieurs de Philip Morris France.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 22/11/2023 à 11:17
Signaler
confiance et autorité ?!? alors que ce sont les entreprises qui ont franchement dégradé l'avenir des petits jeunes. et qu'elles sont en fait les assistés (on le voit notamment dans l'immobilier/BTP ou la transition écologique/énergétique). Philip Mor...

à écrit le 22/11/2023 à 9:26
Signaler
On est proche du darwinisme social avec cette réflexion profonde; où est la distinction entre autorité et autoritarisme dans cet article ? Du pur jus d'élite à la française.

à écrit le 22/11/2023 à 9:11
Signaler
Il est bien triste, et assez révélateur, que l'on accepte que l'autorité émanent du contrat social se fasse piétiner (comme ledit contrat social), et que l'on accepte comme ersatz l'autorité du capital ou, peut-être pire encore, d'un middle manageme...

à écrit le 22/11/2023 à 9:10
Signaler
le bon peuple de gauche a methodiquement installe une societe ou ceux qui votent bien et ne respectent rien sont les rois ( mais pas ceux qui votent mal, hein, ceux la doivent obeir, faire le travail et remplir les caisses), puis quand le bon peuple ...

le 30/11/2023 à 0:57
Signaler
La droite française fait en général bien plus pour les idées de gauche que la gauche elle-même... Prenez par exemple Eric Ciotti prônant le rétablissement du service militaire et qu'on prend tout de suite moins au sérieux quand on apprend qu'il s'y é...

à écrit le 22/11/2023 à 9:00
Signaler
"Un sondage conduit par l'IFOP en mars 2023 montre ainsi qu'une large majorité de Français (85%) considéraient que « l'autorité est une notion qui se perd en France de nos jours »" Disons que l'autorité est ce qui a mené à ce monde cauchemardesque à ...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.