L'immobilier, ce parasite de la croissance

Les pouvoirs publics ont encouragé les banques à accorder des crédits immobiliers. Au détriment du reste de l'économie. Par Michel Santi, économiste

La mièvre croissance européenne -souvent qualifiée d'anémique - provient d'un excès d'épargne. La stagnation devient en effet séculaire à partir du moment où l'argent ne circule plus, c'est-à-dire dès lors que l'épargnant le conserve précieusement sur son compte et que sa banque n'est plus en mesure de le recycler vers des secteurs productifs de l'économie. De ce point de vue, les banques constituent le bras armé de la croissance, et lui sont essentielles dans la transmission, sous forme de prêts aux entreprises, de l'épargne privée. Voilà pourquoi, suite à une crise financière qui affecte et qui infecte les bilans bancaires, la croissance régresse sévèrement à la faveur de l'interruption du robinet du crédit. Voilà également pourquoi il n'est pas seulement important que les banques prêtent: il est aussi crucial qu'elles prêtent bien, en faveur du bon destinataire et pour les bonnes raisons !

Les banques ne prêtent quasiment plus aux entreprises

A cet égard, ne nous faisons aucune illusion car, y compris hors période de crise, les banques ne prêtent quasiment plus aux entreprises. Les années 1970 ont effectivement été témoins d'un bouleversement de la fonction originelle des banques occidentales qui ont progressivement destiné 60% de leurs crédits vers les transactions immobilières, au détriment évidemment des entreprises et des commerces. Aujourd'hui, nos banques seraient assimilables à des fonds de placement immobiliers géants qui parviennent à financer leurs opérations grâce aux dépôts de leurs épargnants. Du coup, on comprend mieux pourquoi la bonne tenue du marché immobilier est devenue vitale pour le système financier qui ne doit pourtant s'en prendre qu'à lui même. Cette croissance aberrante de la masse des crédits immobiliers (en Europe et aux Etats-Unis) conduisant évidemment aux bulles immobilières. Préoccupation de tous les instants des régulateurs et des banques centrales, l'instabilité financière provient donc - très banalement - de la masse phénoménale des crédits corrélés à l'immobilier.

Les crises financières deviennent prévisibles

Le corollaire étant qu'il est désormais relativement aisé de prédire une crise financière en mesurant la progression des endettements hypothécaires. En outre, de multiples études et recherches ont attesté sans équivoque que les récessions provoquées par des épisodes d'endettements excessifs liés à l'immobilier étaient plus longues et que les reprises qui s'ensuivaient moins spectaculaires, la crise présente des subprimes comme le gigantesque bulle espagnole étant là comme preuves suprêmes.

Une tendance orchestrée par les pouvoirs publics

Néanmoins, tout a été fait et orchestré par les pouvoirs publics pour forcer la main des banques à se montrer généreuse en termes de prêts immobiliers, comme pour motiver les achats à crédit de la part des citoyens. En effet, si les déductions fiscales accordées aux contribuables stimulent à l'évidence les acquisitions - voire la spéculation - immobilières. C'est les modifications des règles prudentielles dès les années 1970, et surtout dès 1988 (Bâle I), qui jetèrent littéralement les banques dans le précipice des crédits hypothécaires, à la faveur d'un assouplissement notable des ratios capitalistiques exigés pour toute opération immobilière, considérée nettement moins risquée par le régulateur qu'un prêt consenti à une entreprise.

Un redressement spectaculaire des crédits immobiliers aux Etats-Unis


Dès lors, il allait de soi que le système bancaire occidental canaliserait tout naturellement le gros de ses crédits vers la pierre au détriment d'autres secteurs d'activités monopolisant plus de réserves, et donc moins générateurs de profits. Voilà pourquoi l'exposition à l'immobilier des banques atteint des records potentiellement dévastateurs, y compris auprès des établissements allemands et suisses, pays où traditionnellement le nombre de propriétaires est le plus bas du monde occidental. Voilà également pourquoi, à la faveur de la reprise économique américaine actuelle, les statistiques indiquent clairement un redressement spectaculaire des crédits immobiliers (et donc du marché immobilier US) au détriment des prêts consentis aux PME.

Les PME manquent de crédit

En effet, si les entreprises de taille importante, tant aux États-Unis qu'en Europe, se financent traditionnellement sur les marchés obligataires, les PME sont pour leur part extrêmement dépendantes des prêts bancaires. Phénomène aux conséquences regrettables et pour la croissance et pour la productivité quand on sait que c'est les petites et moyennes entreprises qui sont traditionnellement les moteurs du progrès et de l'innovation au sein de nos économies intégrées. Pour faire court, les prêts hypothécaires et la préférence manifeste accordée par nos autorités à l'immobilier parasitent - et sont même aujourd'hui sur le point d'étouffer - notre croissance.

Michel Santi est macro économiste et spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience" et "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique".

Vient de publier "Misère et opulence", préface rédigée par Romaric Godin.

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Commentaires 25
à écrit le 18/06/2015 à 12:18
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1)Personne ne veut investir en France depuis plus de 10 ans. L'immobilier n'a rien à voir la dedans, mais le Socialisme 2)Vous voulez nous refaire les subprimes 3)L'immobilier parasite ? Alors que L'Abbée Pierre parle de 10 million de gens sans log...

à écrit le 27/05/2015 à 11:56
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L'analyse est intéressante mais incomplète. Le secteur du bâtiment emploie beaucoup de monde, ce qui peut jouer effectivement sur la croissance. Ce n'est pas qu'une question de crédits hypothécaires, il y a un vrai secteur d'activité derrière. Mais c...

le 27/05/2015 à 13:14
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@Laurent "Le secteur du bâtiment emploie beaucoup de monde, ce qui peut jouer effectivement sur la croissance" Vous ne devez pas avoir vu beaucoup de chantiers dernièrement. Le patron de la boîte est Français, et éventuellement un chef de chantier....

le 29/05/2015 à 11:52
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Cela confirme qu'il y a un vrai secteur d'activité derrière le bâtiment. Le fait que les normes actuelles surenchérissent le coût de la construction ou que certains constructeurs (mais pas tous) fassent appel à de la main d’œuvre étrangère moins chèr...

à écrit le 27/05/2015 à 1:14
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Le choix de l'immobilier au détriment de l'investissement industriel a été la pire erreur des quinquennats précédents. Avec un coût immobilier deux fois plus élevé qu'en Allemagne, la France a donnée a l'Allemagne un véritable avantage compétitif.

à écrit le 26/05/2015 à 18:46
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Tout le monde s'accorde pour dire qu'il y a abondance de liquidités, on ne peut donc pas dire que l'immobilier en absorbe trop et que cela assèche le crédit aux entreprises ! S'il y a abondance de liquidités et que celles-ci ne vont pas aux entrepris...

à écrit le 26/05/2015 à 17:07
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les banques ne prêtent pas aux entreprises parce que les entreprises ne demandent plus de crédit pour investir, une croissance anémiée réduisant à sa plus simple expression le retour sur investissement On le constate tous les jours, les grandes ent...

le 26/05/2015 à 18:47
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"les banques ne prêtent pas aux entreprises parce que les entreprises ne demandent plus de crédit pour investir" : Les patrons de PME potentielle crament des dizaines de milliers d'euro sous forme d'apport pour l'achat d'un logement. Il ne faut pas ...

le 18/06/2015 à 12:20
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Les grandes entreprises sont des multinational : la France n'a pas d'importance.

à écrit le 26/05/2015 à 16:16
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Il faut que cet économiste nous explique comment acheter un bien sans recourir au crédit. Par ailleurs , une fois propriétaire, vous avez plus de possibilités et de garanties pour obtenir un prêt à la consommation ( qui favorise la croissance). Souv...

le 26/05/2015 à 16:29
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Tout simplement par le fait que s il n y avait pas tant de credit ce qui est vendu aujourd hui 100 serait vendu 50 ou meme moins. donc pas besoin de s endetter autant. C est exactement ce qui c est passe aux USa avec les subprimes (ou en france avec ...

le 18/06/2015 à 12:29
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"Tout simplement par le fait que s il n y avait pas tant de credit ce qui est vendu aujourd hui 100 serait vendu 50 ou meme moins." Ah ? La majorité du prix ce sont des impôts et autres régulations, donc vous les payerai quoiqu'il arrive. Par ail...

à écrit le 26/05/2015 à 15:56
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Les prix sont sur-evalués en France et plus particulierement en Ile-de-France. Mais le vent est entrain de tourner : là où je loue, une personne a mit un an en vente sa maison sans trouver preneur(et sans baisser le prix de vente affiché)

à écrit le 26/05/2015 à 15:04
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d'accord sur le fait que l'immobilier a un poids un peu trop important ( surtout en matiere de prix, d'ailleurs!) le fait qu'il soit atrophie est lie aux politiques fiscales en vigueur, au fait que tt le monde sait ou va le systeme des retraites, au...

à écrit le 26/05/2015 à 14:25
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Les entreprises en France ne sont pas demandeuses de crédits car elles n'investissent plus. Ceci car elles n'ont pas confiance en l'avenir. Le gouvernement a détruit la croissance alors pourquoi produire plus si la demande n'est pas au rendez-vous?

le 26/05/2015 à 16:50
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Effectivement, on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Ce n'est pas un problème de banques qui ne prêtent pas.

le 26/05/2015 à 17:48
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+1 : 80% d PME obtiennent les crédits demandés à leur banque et 35% du financement se fait via les marchés. Pas 1 pb d offre, mais de demande

le 22/06/2015 à 12:08
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On ne peut pas nier que les normes prudentielles (Bâle I, II, III) incitent les banques à plus de prudence (!) et ipso facto à investir dans les emprunts immobiliers au coût du risque inférieur. Cela signifie qu'avec le même capital dans leurs caisse...

à écrit le 26/05/2015 à 14:16
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... De ces "économistes" donneurs de leçons. Le BTP en France c'est 150 milliards et 1,5 millions de salariés et artisans. Si les loyers sont hors de prix dans les bassins d'emplois c'est du fait de la rareté et si le secteur de la rénovation ne pro...

le 26/05/2015 à 18:50
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"Le BTP en France c'est 150 milliards et 1,5 millions de salariés et artisans" : 100 000 euros engouffré dans la bulle et relocalisé au Portugal, ça ne sert pas le bâtiment. Marre des enrichis sans cause de l'immobilier qui expliquent qu'il est bon ...

le 18/06/2015 à 12:22
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"Les enrichis sans cause de la bulle immobilière forment un grand groupe d'électeur " Aucun "enrichissement", simplement les impôts, taxe, réglementation, travaux obligatoire augmentent sans cesse, ce qui évidement se répercute sur les prix finaux...

à écrit le 26/05/2015 à 14:07
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Accorder des prets immobiliers est normal . Subventionner l'ancien pour entretenir des rentiers l'est beaucoup moins . Le problème de l'immoblier ce sont les prix , gonflés artificiellement par des aides massives de l'etat qui aurait du injecter cet ...

à écrit le 26/05/2015 à 14:01
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Pouarh, ça pue l'interventionnisme sur les marchés cette rubrique. D'un côté, vous dites qu'"il est aussi crucial qu'elles prêtent bien, en faveur du bon destinataire et pour les bonnes raisons !" et de l'autre vous relevez que "Néanmoins, tout a été...

le 05/06/2015 à 8:42
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En clair le débat porte sur la destination de l'épargne et l'investissement productif. Le fait est que l'épargne des français fait rêver l'Europe contrairement à d'autres pays de la même zone. Mais , structurellement, cette épargne est en majeure par...

le 18/06/2015 à 12:26
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"Le fait est que l'épargne des français fait rêver l'Europe contrairement à d'autres pays de la même zone. " N'importe quoi. L'épargne des français finance la dette de l'Etat. Elle est donc indisponible, sauf à ce que l'Etat rembourse.. Les aut...

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