L'open source, un atout caché pour l'Europe dans la course au leadership numérique

OPINION. L'impact de la filière européenne du logiciel libre sur la croissance du PIB et de l'emploi, et sur la souveraineté numérique, a été récemment mis en lumière par plusieurs études, rapports et propositions politiques de haut niveau. Il devient dès lors impératif de mettre en oeuvre des politiques industrielles délibérées destinées à favoriser et accélérer son développement. Par Stéfane Fermigier, CNLL, France; Peter Ganten, OSBA, Allemagne; Timo Väliharju, COSS, Finlande; Jonas Feist, Open Source Sweden, Suède; Gerardo Lisboa, ESOP, Portugal; Ronny Lam, NLUUG, Pays-Bas (*)
(Crédits : DR)

Selon une étude publiée récemment par la Commission Européenne, une promotion et un investissement plus proactifs dans les logiciels libres (aussi appelés open source software ou OSS) non seulement stimuleraient la croissance économique en Europe, mais seraient également un accélérateur d'innovation. Un secteur informatique plus prospère et créateur d'emplois pourrait ainsi émerger de ce vaste écosystème d'entreprises et de créateurs de logiciels libres de toutes tailles, permettant à L'Europe de gagner en autonomie stratégique et en capacité à façonner son propre avenir numérique.

Plus précisément, l'étude a démontré que le milliard d'euros environ que les entreprises de l'UE ont investi dans les logiciels libres en 2018 ont déjà généré entre 65 et 95 milliards d'euros de croissance économique. Elle prédit qu'une augmentation supplémentaire de 10% des contributions au logiciel libre, au sein de l'UE, générerait chaque année un gain de 0,4 à 0,6% de PIB, et permettrait la création de plus de 600 start-up supplémentaires. Ces chiffres confirment le potentiel très élevé du retours sur investissement dans les logiciels libres.

Le besoin d'autonomie numérique ainsi que les nombreuses externalités positives des contributions open source à l'économie justifient donc de passer un palier en terme d'engagement politique.

Les logiciels libres existent depuis l'émergence de l'informatique dans les années 1960, et reposent sur la possibilité offerte aux développeurs d'utiliser, d'étudier, d'améliorer et de partager librement ces logiciels. Cependant, depuis les années 1970, ce sont les logiciels propriétaires et leurs formats fermés qui se sont imposés sur le marché. Par des effets de réseau, les éditeurs de logiciels dominants ont verrouillé leurs positions au détriment des utilisateurs, que l'on parle d'individus, d'entreprises ou d'administrations.

Avec un logiciel propriétaire, l'utilisateur est dépendant et bloqué auprès d'un fournisseur particulier, dépourvu de la possibilité de rechercher des logiciels de meilleure qualité ou plus adaptés à ses besoins particuliers. Dans la pratique, le marché du logiciel est actuellement dominé par quelques très grandes entreprises non européennes. La dépendance vis-à-vis de ces entreprises augmente encore à mesure que les fournisseurs de logiciels propriétaires déplacent leurs offres vers le cloud, où ils ont encore plus de contrôle et peuvent en modifier les conditions d'utilisation à tout moment. Considéré d'un point de vue sociétal, ce verrouillage stratégique de toutes les industries et de toutes les administrations est au cœur de ce qui sape actuellement la souveraineté numérique de l'Europe.

Avec les licences open source, a contrario, les utilisateurs ont un vrai choix. Tout individu ou toute entreprise peut proposer des solutions innovantes qui sont mise à disposition de tous les développeurs et tous les utilisateurs intéressés, car l'open source n'impose aucun obstacle juridique ou contractuel à la coopération. En d'autres termes, les logiciels libres permettent à la concurrence et à l'innovation de prospérer. Les utilisateurs de logiciels des secteurs public et privé peuvent ainsi accéder plus facilement aux produits logiciels qui répondent le mieux à leurs besoins, à un coût raisonnable et sans verrouillage stratégique.

L'étude de la Commission confirme qu'il existe déjà une filière du logiciel libre dynamique en Europe, avec des PME à la pointe de la croissance sectorielle. C'est une fondation solide sur laquelle on peut s'appuyer. La question clé est donc d'identifier les politiques publiques, au niveau de l'UE et au niveau national, qui permettront à la filière européenne des logiciels libres de se développer davantage.

Au sein de l'APELL, l'Association Professionnelle Européenne du Logiciel Libre, nous pensons que les priorités des politiques publiques dans ce cadre devraient être :

  • Établir des stratégies open source spécifiques au niveau de l'UE et dans chaque État membres axées sur la stimulation de la croissance économique, de l'innovation et de la souveraineté numérique.
  • Donner la priorité à l'open source dans les achats de logiciels par les secteurs public et privé de manière à ce qu'il devienne impossible de créer une dépendance insurmontable envers les fournisseurs.
  • Promouvoir l'investissement dans les logiciels libres, par exemple avec un soutien aux PME pendant les phases précompétitives de développement de nouvelles technologies, et une généralisation des incitations fiscales aux contributions open source.
  • Augmenter le financement public de projets open source spécifiques et stratégiques, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, au travers des programmes existants et de nouvelles initiatives.
  • Placer l'open source au cœur des stratégies de développement des compétences numériques et de l'enseignement de l'informatique à travers l'Europe.

Les axes d'action ci-dessus permettront de jeter les bases d'une nouvelle industrie numérique européenne utilisant l'open source pour ce qu'elle fait le mieux : innover, adopter les technologies de rupture et assurer la souveraineté numérique. Dans tous les domaines du numérique, qu'il s'agisse du Cloud, de l'intelligence artificielle, de la cybersécurité ou de l'Internet des objets, les logiciels open source sont au cœur de l'innovation et l'Europe doit saisir cette chance de prendre la tête.

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(*) Signataires, les représentants des principales associations d'entreprises représentatives de la filière open source en Europe, réunies au sein de l'APELL (Association Professionnelle Européenne du Logiciel Libre).

  • Stéfane Fermigier, CNLL, France
  • Peter Ganten, OSBA, Allemagne
  • Timo Väliharju, COSS, Finlande
  • Jonas Feist, Open Source Sweden, Suède
  • Gerardo Lisboa, ESOP, Portugal
  • Ronny Lam, NLUUG, Pays-Bas

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Commentaire 1
à écrit le 28/11/2021 à 9:29
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C'est sûr que si les données de santé avaient dépendu d'un Linux cela aurait plus dure pour les hackers de les voler du moins ils les auraient vendu bien plus cher. Sous XP forcément... Bref ils ne doivent même pas savoir ce qu'est de l'open source ...

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