La "Grande démission", un phénomène passager ou une nouvelle tendance du monde du travail ?

OPINION. 4 millions d'Américains ont quitté leur emploi en août 2021, ce phénomène, baptisé la "Grande démission" (ou Great Resignation), fait suite à la crise sanitaire et au dégel des emplois qui a suivi. Par Julia Cames, Directrice Marketing France, HubSpot
(Crédits : DR)

La réaction est conjoncturelle : avec le redémarrage de l'économie, les salariés, qui ont eu le temps de se questionner sur leurs choix de carrière, sautent le pas et quittent leur entreprise. Mais c'est aussi un phénomène générationnel. Les travailleurs des générations Y et Z sont prêts à changer d'emploi facilement quand celui-ci ne répond plus à leurs attentes, ils recherchent également une fonction qui s'aligne avec leurs valeurs.

Cette tendance tend à s'inscrire sur le temps long et pourrait profondément changer le marché du travail, pas seulement outre-Atlantique : 71% des étudiants en commerce français ont des sentiments négatifs vis-à-vis de leur entrée sur le monde du travail[1]. De nombreux phénomènes socio-économiques de ce type ont touché les États-Unis avant d'atteindre l'Europe, la France doit-elle aussi s'y préparer ?

Les salariés français sont-ils prêts à suivre le mouvement ?

Côté français, on observe déjà d'importantes pénuries de main d'œuvre dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration très touché en 2020-21. Plus généralement, en septembre 2021, les ruptures conventionnelles ont augmenté de 9 % par rapport au mois de septembre 2019.

Les démissionnaires déclarent rechercher de meilleures conditions de travail, salaire, perspectives de carrières, mais aussi un meilleur équilibre entre leurs vies professionnelles et personnelles. Ils peuvent également être à la recherche de sens et de valeur dans leurs missions. Et en effet, au-delà des simples démissions, les réorientations gagnent également du terrain : un Français sur deux songerait à se reconvertir.[2]

Ce rejet du monde de l'entreprise est néanmoins à modérer dans l'Hexagone où la plupart des démissionnaires qui changent de poste restent toutefois dans le même secteur d'activité. En France, les mouvements de salariés sont aussi limités par le taux de chômage (8%) et les inquiétudes liées aux nouvelles règles pénalisantes de l'assurance chômage, entrées en vigueur au 1er décembre 2021. Autant d'éléments dissuasifs pour des salariés français

toujours en quête de sécurité dans un marché du travail fortement impacté par la crise sanitaire.

Au sein des entreprises, ce sont également les managers qui peuvent faire la différence : la majorité des étudiants considère que leurs encadrants (à 67%) ont conscience qu'il est difficile pour eux d'intégrer une entreprise aujourd'hui.[3]

Que peuvent faire les entreprises pour éviter une grande démission à la française ?

Outre les freins structurels à une Grande Démission dans le pays, les entreprises et les managers ont aussi leur rôle à jouer. Au-delà de la recherche de sens, ces départs en cascades peuvent être le symptôme d'un manque d'écoute et de réponses appropriées aux (nouvelles) attentes des salariés : intégration dans l'entreprise, missions, organisation du travail...

Le droit du travail français est très protecteur vis-à-vis des salariés, mais les employeurs ne doivent pas pour autant considérer que leurs équipes leur sont acquises. Comme toute relation, elle doit être entretenue. Le confort du CDI ne peut pas servir d'excuse aux managers pour ne pas fixer d'objectifs motivants à leurs collaborateurs, leur offrir des bonus ou des primes et, plus généralement, des outils pour leur permettre de progresser dans leur carrière.

En entreprise, particulièrement avec les nouvelles pratiques de télétravail, les salariés doivent se sentir accueillis, formés à leur prise de postes, et soutenus dans leur travail quotidien, avec la mise en place des politiques systématiques d'onboarding et de formation. Il sera également essentiel de mettre en place des outils de coopération adaptés aux fonctions des salariés pour leur permettre de centraliser leurs informations et d'échanger avec leur équipe en présentiel ou à distance, renforçant ainsi le sentiment d'appartenance à l'entreprise.

Comme le montrent les mouvements sociaux actuels chez Decathlon, Labeyrie ou Leroy-Merlin, les employés souhaitent que les bons résultats obtenus par leur entreprise se reflètent dans leur rémunération. Le salaire reste un facteur essentiel, tout comme, désormais, la flexibilité sur le télétravail et l'équilibre vie professionnelle et personnelle. Les avantages traditionnels peuvent rassurer des salariés qui pourraient avoir envie de changement et une prise en compte de la situation individuelle de chaque employé renforcerait leur attachement à l'entreprise.

Il serait imprudent pour les entreprises françaises d'ignorer les nouvelles aspirations de leurs salariés, particulièrement les plus jeunes générations. Les Millenials représentent désormais 50% des travailleurs, suivi par une génération Z tout aussi prête à changer d'emploi en cas d'insatisfaction. Pour éviter les démissions et conserver les talents, ce sont désormais aux entreprises de se montrer flexibles.

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[1] Étude HubSpot/OpinionWay, octobre 2021
[2] Selon une étude du site nouvelleviepro.fr, novembre 2021
[3] Étude HubSpot/OpinionWay, octobre 2021

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Commentaires 2
à écrit le 23/12/2021 à 12:22
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Si la quête de sens revêt une valeur importante pour un nombre croissant de salariés, il reste que la dimension alimentaire de l’emploi reste essentielle pour la grande majorité. Dès lors, si l’on veut bien considérer que le marché du travail est un ...

à écrit le 09/12/2021 à 8:54
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Je me souviens ici d'une interview d'un chef d'entreprise qui déclarait il y a quelques années" Les jeunes veulent donner un sens à leur travail". Il est bien évident que ce sens ne se trouve pas dans le BTP, ni dans l'encodage, ni dans la formation,...

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