La métamorphose des villes portuaires en villes-monde

A l'occasion de la 16e conférence mondiale des villes et des ports, qui se tiendra au Québec (Canada) du 11 au 14 juin 2018 (*), la Tribune publie une série d'articles sur ce thème. Aujourd'hui, comment les villes portuaires sont devenues le moteur économique de tous les enjeux et de toutes les stratégies. Par Gaetan Siew, membre du Conseil de gouvernance de l'ONU-Habitat.
Gaetan Siew.
Gaetan Siew. (Crédits : DR)

« Dans le port d'Amsterdam, y a des marins qui chantent... », chantait Jacques Brel. Chantent-ils toujours dans chaque port ? De villes portuaires ouvertes sur le monde, elles se sont métamorphosées en villes-monde, voire même en pays. Les villes prennent une place incontournable. Les ports, lieux stratégiques par excellence multiplient la connectivité au-delà de la mer. Véritable hub air-terre-mer et numérique, c'est là où tout se passe, où tout se joue, où l'avenir des territoires, des pays et voire même des continents se dispute. Les villes portuaires sont aujourd'hui devenues le moteur économique de tous les enjeux et de toutes les stratégies. Ce texte pose le contexte mondial des villes portuaires, observe les tendances globales et leurs conséquences sur notre futur.

Un monde urbain

En 2020, les deux tiers de la population vivront en ville. Aujourd'hui, certaines villes ont déjà une superficie, une économie et une population supérieures à certains pays (le PIB de Tokyo est sensiblement égal à celui de l'Australie). Quelques villes sont déjà en concurrence avec leur gouvernement central - et parfois même entre-elles dans le même pays : Barcelone/Madrid, Pékin/Shanghai, ou encore Sao Paulo/Rio de Janeiro qui représentent à elles deux un tiers du PIB du Brésil. Au G20, certaines pourraient s'asseoir à la place de l'Argentine ou de l'Indonésie.

Un monde mobile

Nous vivons dans un monde globalisé de contrastes où se côtoie une double volonté : harmoniser et uniformiser d'une part, et préserver les différences identitaires d'autre part sans cesse bousculées par toutes les mobilités. Celles des personnes, des marchandises, des services, des capitaux et des idées. Une mobilité pour ceux en quête d'un meilleur avenir (travail/étudiants, guerre, climat), d'une meilleure qualité de vie (expatriés), ou de loisirs (tourisme, retraite). Avec une croissance du commerce mondial et l'émergence d'une classe moyenne qui veut découvrir le monde, le transport aérien, terrestre et maritime explose comme jamais avant. Le tourisme génère aujourd'hui 3,4 milliards de dollars par jour. La Chine réinvente la Route de la soie, et la décline dans sa version maritime avec son collier de perles de ports. Le transport maritime représente 80% du transport global, avec une croissance de plus de 400% en 30 ans. Le transport devient intermodal intégrant l'hinterland. Autant de challenges pour ces cités portuaires ouvertes sur la mer et la terre.

Les flux de capitaux sont de plus en plus virtuels ; le cloud défie la fiscalité, le volume des transferts de fonds des émigrés africains dépasse l'aide internationale à l'Afrique. Le chiffre d'affaires des GAFA est supérieur au budget de certains pays. Si cette mobilité souligne de plus en plus la faiblesse et l'impuissance des Etats, en revanche, elle booste l'innovation créative des villes d'accueil. Selon Forbes, 40% des meilleures sociétés des Etats-Unis appartiennent à des immigrants ou des fils d'immigrants, à l'instar de Steve Jobs (Syrie) et de Sergey Brin (Russie). La diaspora indienne se crée une Silicon Valley à Bangalore. Dubaï se pare de son cosmopolitisme pour attirer davantage de talents et d'investissement, les deux FDI, Foreign Direct Investment et Foreign Direct Intelligence.

Dans cette mondialisation sans bornes se dessine une nouvelle géographie, une connectographie, selon Parag Khanna. Les connectivités air-terre-mer-digital se mesurent en milliards. Les frontières nationales ne dépassent guère les milliers de kilomètres. Les ports deviennent aujourd'hui une infrastructure innovante à la recherche de connexion durable pour le commerce, l'énergie et les personnes. Il nous faudrait davantage de connexions, et d'infrastructures et moins de murs.

Villes-monde

Alors émergent les « villes-monde ». Elles se positionnent à travers un savant « branding » de leurs atouts pour attirer les meilleurs talents créatifs et l'investissement qui les accompagne : I Love NY - I Am-sterdam - Only Lyon. Cette nouvelle catégorie d'expatriés et de HNWI (High Net Worth Individuals) se permet le luxe de choisir les villes qui offrent une world class éducation/santé. Une exigence de qualité de cadre de vie, un environnement sain avec un régime fiscal avantageux. Riches de ce nouvel afflux de talents, les « villes-monde » deviennent les moteurs de la nouvelle créativité et de l'innovation. Elles représentent des hauts lieux de diversité : on parle 800 langues à New-York et 300 à Londres ; Dubaï compte 84 % d'expatriés, Amsterdam, Marseille et Singapour frôlent les 50%. Cette classe est aussi très demandeuse d'une offre culturelle de niveau international. D'où l'effet Bilbao : icône de l'esthétisme architectural contemporain et emblème incontestable de la ville, le Musée Guggenheim de Bilbao a transformé une vieille ville industrielle en déclin en destination touristique de renommée internationale. Précurseur de cette « acupuncture culturelle », Sydney a été mis sur la carte du monde grâce à son opéra. La course est lancée. Hong Kong développe son district culturel à West Kowloon avec 17 projets dont l'opéra cantonais et le musée du XXIe siècle. Marseille a construit son MUCEM et Abu Dhabi inaugure le Louvre. La culture devient le soft power des villes portuaires avec 2.900 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel.

Des laboratoires urbains

La troisième génération des villes-monde est déjà en marche. Le couplage avec la technologie de l'information permet à ces villes-laboratoires de tester de vraies solutions technologiques, d'inventer de nouvelles gestions urbaines de l'énergie, de l'eau, du trafic, de la sécurité. Dublin a lancé les Silicon Docks qui représentent 40% du PNB de l'Irlande.

Sujet et objet, les villes portuaires sont les deux à la fois. Le problème devient opportunité et solution. What is a city, but the people ? La ville est-elle autre chose que le peuple ? disait Shakespeare en 1608. Et toute la population se remet à chanter avec les marins.

(*)

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