La poire d’angoisse budgétaire

OPINION. la poire d’angoisse est un instrument de torture qui n’aurait jamais existé. Mais qu’il nous faut décrire, tant son action produit l’image la plus expressive de la tragédie budgétaire en cours. Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : DR)

Chaque tentative de raboter le déficit budgétaire semble contre - productive. Le gouvernement annonce une réduction, et c'est l'inverse qui se produit. Une mécanique contradictoire qui semble traverser tous les âges de la politique. Comme s'il ne fallait pas toucher, au risque d'aggraver la douleur. La question budgétaire serait ainsi devenue une véritable poire d'angoisse, cet instrument de torture du moyen - âge qui vous afflige davantage encore à chaque tentative de vous en débarrasser.

Imaginez une boule en forme de poire insérée dans la bouche, et qui par certains ressorts intérieurs venait à s'élargir davantage à chaque tentative de l'enlever. La boule c'est le déficit budgétaire, que l'État tente d'élimer, mais qui par cette action provoquerait un déficit plus grand encore. Exactement l'effet contraire de l'effet voulu. Une véritable poire d'angoisse budgétaire.

L'image est excessive. Mais elle semble fidèle au ressenti. À chaque fois qu'une réduction de déficit est annoncée pour les années à venir, c'est comme si tout l'univers conspirait à contrarier les plans du gouvernement. Qu'il s'agisse de la contingence d'évènements hostiles avec la survenue de crises majeures, subprimes en 2008, crise de la dette souveraine en 2011, crise sanitaire en 2020. Ou qu'il s'agisse de la réaction quasi épidermique de l'homo economicus dont les poils s'hérissent à la moindre allusion aux dépenses publiques ou aux impôts. Le remède est alors pire que le mal, la croissance économique n'est pas celle attendue, les recettes budgétaires s'effondrent, les dépenses s'envolent, le déficit prend la mouche.

D'ailleurs, nous disposons d'un exemple dont la chair est encore à vif, même 10 ans après : la Grèce.  À l'époque, le Grexit est sur toutes les lèvres, et seule la Troïka véritable hydre institutionnelle (Banque centrale européenne, Commission européenne, FMI) offre une porte de sortie aux Grecs. À condition de supporter un régime draconien conjuguant assèchement des dépenses et taxes confiscatoires. Problème, les experts sous - estiment alors la capacité de l'homo economicus grec à supporter l'antidette, il la sous - estiment de moitié. Le FMI reconnaitra une erreur d'appréciation. Résultat, l'économie s'effondre et le déficit budgétaire s'envole, avant que de se réduire péniblement par la suite.

Le surplus budgétaire, cet obscur objet du désir

Nous ne sommes pas dans la situation de la Grèce il y a 10 ans. Notre mal est bien moins profond, mais les symptômes sont les mêmes. Il y a du grec en nous. La moindre annonce d'une réduction des dépenses ou d'une hausse des impôts semble nous darder en plein porte - monnaie, tétanisant nos cartes bleues. Si bien que la croissance économique semble s'essouffler avant même que d'avoir subi le choc. Sommes-nous devenus inaptes à vivre sans déficit ? Sommes - nous condamnés à l'exubérance ? Il est vrai que l'histoire ne plaide pas en notre faveur. Depuis près de 50 ans, nous avons surtout brillé par notre capacité à produire du déficit année après année. Comme si toute tentative d'assainir les comptes de la nation était devenu une forme de quête inachevable. Il se pourrait bien que le surplus budgétaire soit devenu cet obscur objet du désir.

Là encore, l'image est excessive. Si le patient semble souffrir d'un mal chronique, on ne peut accuser simplement le guignon ou l'apathie du concerné. C'est aussi qu'il est accablé par un certain dilettantisme politique. Rien de bien neuf. Il flotterait dans l'air comme une forme de paresse budgétaire, une flemme qui saisit le politique et dont il ne peut se défaire. En économie, ce mal chronique est renommé structurel. Le déficit structurel est ce qu'il reste de déficit une fois qu'on a gratté le déficit conjoncturel expliqué par les seuls cycles économiques. Ne restent alors que les dépenses dites de trop, et les recettes dites fuyantes.

Mais le politique peut avoir des circonstances atténuantes

Par exemple, lorsque les taux d'intérêt sont jugés trop faibles pour ne pas saisir l'opportunité de s'endetter davantage encore. Une aubaine qui aura duré presque trois décennies en vérité. Nulle faiblesse dans cette démarche, juste une rationnelle attention. En effet, la charge d'intérêt rapportée au PIB a décru de près de 1 % au cours des 20 dernières années, malgré un ratio de dette sur PIB qui grimpait de près de 70 % à plus de 110 %. Pourtant La Fontaine est sceptique. D'après la fable du poète, lorsque l'il est dit que les raisins sont trop verts pour être ramassés, on feint notre incapacité à les ramasser. Pour la dette, c'est pareil. L'argument des raisins trop verts serait l'argument des taux trop bas, qui n'incitent pas à rembourser sur le moment. « Les raisins de la dette sont trop verts ! » sauf que d'après La Fontaine, cet opportunisme voilerait un manque de volonté du sujet, dont le tempérament serait davantage du type Oblomov que Don Quichotte.

D'ailleurs n'y a-t-il pas une forme de pari irrationnel à conditionner l'avenir de la dette à la trajectoire imprévisible des taux d'intérêt ? En théorie, les taux sont censés suivre, accompagner, voire égaler le taux de croissance de l'économie. Or le cœur de l'investisseur a ses raisons que la raison ignore. Et l'histoire récente nous a rappelé que les taux peuvent être amenés à monter subitement, menaçant la solvabilité même d'un pays. L'initié relèvera qu'il est préférable de parler du taux apparent, qui reflète davantage la structure de la dette contractée que le taux de marché. Mais le message est le même. Les taux bas ont longtemps constitué une aubaine pour les politiques, comme une forme de talent indu. Mais est - il fondé de miser sur un talent qui peut vous fuir du jour au lendemain ? Le héros du Bavard de Louis - René des Forêts nous fait part de ses doutes, quand l'inspiration rend une visite inattendue à l'écrivain :

« Comment s'engager à donner ce qu'on ne possède pas et qui, à tout moment, peut vous faire défaut ? »

Qu'importe, la question ne se pose plus

Avec le retour des taux à 10 ans à près de 3 %, presque au niveau de la croissance économique en valeur, il n'y a plus le choix. Il nous faut réduire le déficit primaire (dépenses moins recettes sans tenir compte des intérêts) si l'on veut pouvoir stopper la hausse du ratio de dette sur PIB. Un message que l'on a déjà entendu bien souvent, mais cette fois - ci serait la bonne dit-on. Alors, sommes-nous à l'aube d'une réduction du déficit de type quoi qu'il en coûte ? L'économiste fait des hypothèses, le politique fait des promesses. La promesse est un retour à l'équilibre budgétaire en 2032. Quant aux moyens d'y parvenir, ils viendront avec le temps. On peut douter de cette promesse, ou bien y croire.

« Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l'une et l'autre nous dispensent de réfléchir », Henri Poincaré.

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Commentaire 1
à écrit le 03/04/2024 à 10:08
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"Mais le politique peut avoir des circonstances atténuantes" Non il n'en a pas, un larbin ne fait pas un dirigeant.

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