La quatrième révolution industrielle sera verte ou ne sera pas !

Le déploiement d’une « quatrième révolution industrielle verte » permettrait la relance durable de l’économie mondiale. Par Patrick Criqui, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire GAEL axe Économie du développement durable et de l’énergie (EDDEN), Université de Grenoble Alpes
La première révolution industrielle avançait au charbon… Quid de la prochaine ?

La première révolution industrielle, au XIXe siècle, aura été celle de la vapeur, du charbon et des chemins de fer ; la deuxième, un siècle plus tard, celle de l'électricité, du pétrole et de l'automobile. La troisième, celle des technologies de l'information et de la communication (TIC), n'aura pas entraîné de transition énergétique, renforçant même les industries en place par des progrès technologiques (notamment pour l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels). Quarante ans après le premier choc pétrolier, les énergies fossiles représentent toujours plus de 80 % de l'approvisionnement énergétique mondial.

Or l'horizon est aujourd'hui clairement celui de la décarbonation profonde, à atteindre avant 2050. Cette nouvelle transition suppose le remplacement accéléré d'une grande partie du stock d'infrastructures et d'équipements énergétiques. Les efforts pour y parvenir constitueront-ils un frein à la croissance ou, au contraire, le support d'une nouvelle croissance, dans une quatrième révolution industrielle « verte » ?

Cette question cruciale se pose alors même que les économistes sont aujourd'hui divisés dans leur appréciation des risques de crise systémique ou de ralentissement structurel de la croissance. Le débat sur la « stagnation séculaire » en témoigne. Évoquer la possibilité d'une quatrième révolution verte nécessite donc de reconsidérer les grandes tendances de l'économie mondiale. On a toutefois toutes les raisons de penser que son déploiement serait la meilleure option, et peut-être la seule, pour une relance durable - dans les deux sens du terme - de l'économie mondiale.

Les ondes longues de Schumpeter

Joseph Schumpeter fut le premier économiste à éclairer le rôle du changement technique dans la dynamique de la croissance. Dès 1935, en pleine « grande dépression », il fournit tous les éléments pour une interprétation des cycles longs de l'économie repérés par Nikolaï Kondratiev  : environ 25 années de croissance forte et de hausse des prix, suivies par 25 autres de croissance ralentie.

Pour expliquer cette alternance, Schumpeter introduit la distinction entre l'invention, qui survient de manière continue et aléatoire, et l'innovation, ce processus de conjonction et de diffusion des avancées techniques par « grappes » (clusters). Schumpeter souligne aussi que la date à laquelle il écrit se trouve au milieu d'une phase de croissance faible, ce qui laisse anticiper la possibilité d'une nouvelle phase de 25 ans de croissance forte pour les années 1950. La prédiction s'avère juste et après les Trente Glorieuses - soit un cycle de Kondratiev plus tard et à nouveau au mitan d'une crise profonde - L'Expansion publie en 1982 un numéro spécial, fortement inspiré des théories schumpetériennes, intitulé « L'an 200 de la révolution industrielle » ; on y trouve le schéma qui suit, au pouvoir prédictif manifeste.

Schéma extrait de « L'an 200 de la révolution industrielle » (« L'Expansion », octobre 1982). Author provided

Ondes longues ou stagnation séculaire ?

Au début du XXIe siècle, la croissance très forte des années 1998-2008 s'explique à la fois par l'entrée des pays émergents dans le monde de la deuxième révolution industrielle et par l'essor de la troisième révolution industrielle, celle des TIC. La crise financière de 2008 marque l'entrée dans une nouvelle phase, qui se prolonge aujourd'hui dans la rechute de l'économie mondiale. Le débat en cours sur la « stagnation séculaire » ne fait pas référence à la théorie des ondes longues. Il oppose les tenants d'une hypothèse purement macroéconomique, en termes de mauvaise gestion monétaire et budgétaire, et les tenants de la thèse des « vents contraires ». Pour Robert Gordon, le ralentissement structurel de la croissance aux États-Unis n'est pas tant dû à celui de l'innovation technologique, qu'à quatre vents contraires : démographie, éducation, inégalité des revenus et augmentation de l'endettement public.

Apparaît parallèlement, pour les pays émergents, le concept de « trappe de croissance » dû à la contradiction forte entre des consensus sociaux fondés sur l'accès à la consommation et la nécessité de maintenir un niveau élevé d'investissement pour les infrastructures nécessaires à la croissance. Dans des pays comme le Brésil, l'effondrement du prix des matières premières depuis 2014 n'arrange rien. Parmi les contributions les plus récentes à ces analyses, on remarquera l'étude que vient de publier France Stratégie sur la croissance dans la décennie 2017-2026. Elle permet d'intégrer de manière très cohérente la thèse des vents contraires, au Nord comme au Sud.

Estimations France Stratégie, à partir des prévisions des données WEO., Author provided

Vers un sixième Kondratiev ?

Baisse de la croissance mondiale à moins de 3 % ou retour à 4 % annuels dans la prochaine décennie, telle est la question posée par France Stratégie. Et si, après une fin de crise vers 2020, une quatrième révolution industrielle permettait de s'engager dans un sixième cycle de Kondratiev ?

Dès 1999, c'est-à-dire avant même le boom des pays émergents, The Economist publiait un article fondé sur une analyse de l'accélération des processus de diffusion des nouvelles technologies. Cet article intitulé « Catch the wave » prévoit une crise avant 2010 et la fin du cinquième Kondratiev vers 2020. Là encore, on ne peut qu'être impressionné par sa puissance prédictive.

Schéma extrait de « Catch the wave » (The Economist, 1999). Author provided

Quels seraient les ressorts d'une reprise durable de l'économie, une fois la crise surmontée ? Plusieurs rapports, issus du monde des affaires, proposent aujourd'hui des réponses. Le plus récent est celui élaboré par le World Economic Forum : « The Fourth Industrial Revolution » (2016). D'une certaine manière, il répond aux objections de Robert Gordon, qui souligne le caractère finalement très inessentiel de bien des innovations apportées par les TIC (« Entre votre smartphone et le tout-à-l'égout, que choisiriez-vous ? », demande-t-il à ses étudiants).

Car la thèse de la quatrième révolution industrielle s'appuie sur l'application possible des technologies de l'information pour une gestion du monde matériel qui soit plus efficace, plus intelligente, plus économe en ressources et environnementalement plus performante : l'intégration massive des énergies renouvelables, les smart grids, l'Internet des objets, les biomatériaux, l'écologie industrielle, sont autant de composantes essentielles de cette révolution à venir.

On reviendrait alors, à travers cette nouvelle révolution industrielle, à la perspective évoquée en introduction : celle de la transformation des systèmes sociotechniques à la fois comme opportunité et comme condition d'une nouvelle croissance. Une croissance qui devra être « respectueuse de l'environnement et socialement inclusive » (Ignacy Sachs), sans quoi elle se heurterait aux crises sociales et environnementales ainsi qu'à la raréfaction des ressources.

The Conversation_____

Par Patrick Criqui, Directeur de recherche au CNRS, laboratoire GAEL axe Économie du développement durable et de l'énergie (EDDEN), Université de Grenoble Alpes.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation

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Commentaire 1
à écrit le 22/03/2016 à 7:49
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L'économie, c'est la démographie, le capital humain et l'efficacité énergétique. L'informatique doit être classée avec le capital humain et non avec l'outillage (le capital). On a toujours l'énergie dont le role reste primordial.

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