
De l'art de réécrire l'histoire... « Les marchés ont plutôt bien réagi à notre décision », a affirmé lundi au micro de France Inter Charles Michel, le président du Conseil européen, au sujet de l'accord obtenu vendredi par les Vingt-Sept pour contrer le choc énergétique qui secoue le Vieux Continent depuis plus d'un an. Qualifié de frileux par de nombreux observateurs, puisqu'il ne s'apparente qu'à une feuille de route à l'issue incertaine, cet accord aurait, au contraire, montré directement ses effets : « Si c'était quelque chose d'a minima, le marché n'aurait pas réagi comme il a réagi car, dans les heures qui ont suivi cet accord, les prix du gaz ont baissé ! », a-t-il affirmé.
Et pourtant, dans les faits, aucun impact significatif n'a été observé, puisque les cours ont suivi peu ou prou la même tendance que lors des deux derniers mois. En réalité, le lien de cause à effet semble se lire dans le sens inverse : vendredi, un timide accord européen n'a pu émerger que grâce à la chute préalable des prix du gaz, laquelle s'est, par la suite, poursuivie.
Paradoxalement, c'est même cette accalmie qui pourrait finir par tuer dans l'œuf toute velléité de plafonnement des prix du gaz par l'Union européenne. Car la baisse observée promet de servir d'argument aux États préconisant de ne pas intervenir sur les marchés, l'Allemagne en tête.
Températures douces, stocks remplis et embouteillage de méthaniers
En effet, cela fait depuis le 26 août dernier que le prix du gaz dégringole, même s'il reste très élevé : alors qu'il atteignait ce jour-là 140 euros le mégawatheure (MWh) sur la principale Bourse du gaz du continent, le Title Transfer Facility (TTF), il flirte aujourd'hui avec les 100 euros le MWh. Or, contrairement à ce qu'affirme Charles Michel, cette baisse apparaît comme presque continue : son rythme n'a pas connu de variation particulière la semaine dernière par rapport aux précédentes.
[Le cours du gaz sur le TTF depuis le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février dernier. Source: Trading Economics. Cliquer sur le graphique pour l'agrandir.]
Et ce phénomène trouve d'abord son origine dans la météo : du fait des températures anormalement douces, la demande de gaz pour le chauffage augmente beaucoup moins vite que prévu, ce qui détend forcément le marché.
Par ailleurs, les pays de l'Union européenne sont parvenus à remplir à temps leurs réserves souterraines de gaz et à diversifier en partie leurs importations de cet hydrocarbure, éloignant le spectre d'une pénurie, au moins pour les prochaines semaines. Au point que des dizaines de navires méthaniers remplis de GNL bouchonnaient, cette semaine, aux larges des côtes espagnoles et britanniques pour débarquer leur précieuse cargaison. Autant de relatives bonnes nouvelles qui offrent aux Vingt-Sept un répit dans leurs efforts pour contenir la crise de l'énergie, et calment par là-même les acteurs sur les Bourses d'échange.
Pas de plafonnement sans marché calme, dit la Commission
Or, selon la Commission, il était nécessaire de parvenir d'abord à cet état d'apaisement du marché avant de tenter toute intervention, aussi limitée soit-elle. « Au printemps, on savait qu'on ne pouvait pas s'offrir le luxe » de mettre en place un mécanisme de plafonnement des prix du gaz issu de l'électricité, a même précisé mardi la commissaire européenne à l'Énergie, Kadri Simson - mécanisme sur lequel les Vingt-Sept n'ont d'ailleurs toujours pas réussi à s'entendre.
Même un encadrement limité des prix sur le TTF, comme l'ont approuvé vendredi les États membres, n'aurait pas pu émerger au moment le plus critique pour l'Union européenne. Et pour cause, cette stratégie comporte un risque majeur en cas d'échec : celui d'aggraver le choc d'offre en braquant les producteurs de gaz, lesquels pourraient décider de livrer ailleurs qu'en Europe à un prix libre. « Cela revient à dire : on s'interdit d'acheter du gaz sur la Bourse au-delà d'un plafond. Autrement dit, l'UE, qui est acheteur mais qui ne produit pas de gaz, entend forcer la main au vendeur », explique l'économiste Jacques Percebois.
Par conséquent, « sans un marché calmé, il n'aurait pas été possible de présenter cette proposition », a clarifié mardi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au moment d'exposer le plan approuvé quatre jours plus tard par le Conseil. De quoi expliquer pourquoi, après avoir été brièvement évoquée, l'idée d'un encadrement du TTF avait disparu des radars au plus fort de la crise...
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